Africa - West

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ARRESTATIONS ARBITRAIRES ET DÉTENTIONS À KOYAMA ET FASSANKONI

Contrairement à ce qui se passait à Ouet-Kama et Tekoulo, les réfugiés qui traversaient la frontière guinéenne à hauteur des villes de Yezou, Koyama et Fassankoni ont presque toujours été autorisés à chercher asile en Guinée et dans la plupart des cas protégés des tentatives de recrutement du LURD et du refoulement. Le seul cas de refoulement dans la zone dont Human Rights Watch ait la preuve s'est produit en avril 2002 quand une famille élargie de douze membres environ a été ramenée à la frontière par trois soldats guinéens en armes et cinq miliciens libériens non-armés, agissant au nom des forces de sécurité libériennes. Entre juin et août 2002, quelque 3.000 réfugiés ont traversé la frontière depuis ces trois villes, situées le long de la frontière à hauteur de Zorzor côté libérien. Peu après qu'ils avaient traversé la frontière, la plupart des réfugiés ont indiqué qu'ils étaient informés par les responsables guinéens qu'on les laisserait rester dans le pays. Cependant, de nombreux hommes et garçons ont été détenus dans des cellules de la police et de l'armée, sans charge pendant des jours, des semaines et parfois même des mois.

Un fermier de trente-huit ans originaire de Borkeza a raconté comment des soldats guinéens avaient empêché des rebelles du LURD de remmener des réfugiés au Libéria:

Après avoir fui le Libéria en juillet 2002, j'ai passé plusieurs jours à Koyama. Nous étions des centaines. J'ai vu les gens du LURD tous les jours. Quatre fois, ils sont venus là où nous étions gardés.. Ils étaient nombreux, peut-être une dizaine et ils étaient brutaux. Parfois ils nous frappaient avec leurs fusils. Ils disaient : « Vous ne pouvez pas partir. Vous devez rentrer au Libéria... vous êtes des gens de Charles Taylor. Il est temps que vous rentriez et que vous vous battiez. » Mais chaque fois, les soldats guinéens se disputaient avec eux et leur disaient : «Ces gens ne vont nulle part. Ces gens-là restent ici. Ce sont des réfugiés, pas des soldats. »

Un réfugié de trente-deux ans qui a été détenu à Koyama en juin 2002 a raconté comme un membre du LURD est entré dans la cellule où lui-même et d'autres étaient détenus avec l'idée de les ramener au Libéria mais n'a pas réussi à le faire :

Un jour, un combattant du LURD a frappé à la porte. Tout le monde a dû se lever. Un soldat guinéen lui a ouvert la porte. La type du LURD parlait anglais. Il a dit: « Je vais vous libérer et vous allez rentrer au Libéria, à Zorzor. » Nous avons dit non. Il portait beaucoup de grenades à la ceinture. Il portait des jeans, un tee-shirt camouflage et des bottes. Il avait un (fusil d'assaut) AK dans le dos et ses cheveux étaient tressés. Comme on a dit non, il est parti. Il n'est venu qu'une seule fois. Le soldat guinéen a assisté à toute la conversation.

Après avoir traversé la frontière à pied, les réfugiés rencontraient souvent des soldats guinéens qui parfois leur volaient leurs vêtements, leur argent et leurs autres biens. Ils étaient escortés jusqu'aux villes de Koyama et de Fassankoni, à environ une heure de là. La plupart des réfugiés arrivaient alors en groupes dans la mairie où ils étaient détenus, parfois pendant plusieurs semaines, jusqu'à être transportés au camp de réfugiés du HCR à Kouankan. Les hommes et les femmes étaient souvent triés et gardés dans des lieux séparés et étaient généralement gardés par des militaires guinéens qui ne les autorisaient pas à quitter la mairie.

A trois reprises au moins, des femmes ont été victimes de viols collectifs alors qu'elles étaient temporairement détenues par des militaires guinéens dans la mairie de Koyama. Ces cas de viols se sont produits sur une période de trois jours à la fin juin 2002, pendant laquelle plusieurs femmes ont été emmenées de nuit par des soldats guinéens armés puis violées par quatre soldats. Le commandant responsable aurait rapidement réagi et arrêté les trois soldats identifiés par les victimes. Selon le HCR, en octobre 2002, les trois soldats attendaient toujours leur jugement ; aucun autre cas similaire n'a été signalé à l'organisme des Nations Unies.10

La plupart des réfugiés interrogés par Human Rights Watch ont fait état de la présence des forces du LURD dans les deux villes ; c'était en fait pour beaucoup d'entre eux le premier contact avec les rebelles. De nombeux réfugiés ont raconté qu'ils avaient vu des camions chargés de riz, de munitions et d'autres marchandises passer de Koyama vers le Libéria. Cependant, à la différence de Ouet-Kama, les responsables militaires guinéens présents ont toujours, sauf dans un cas, protégé les réfugiés des tentatives du LURD de les recruter, de leur extorquer de l'argent ou de les harceler. Un ancien employé du Ministère des finances, âgé de quarante-deux ans, a raconté :

Nous avons été arrêtés à Koyama et confinés dans la mairie de la ville pendant vingt-trois jours. L'ONU nous a amenés ici. J'ai dû payer 2.000 FG (1 dollar US) pour pouvoir sortir de la mairie. Pendant ma détention, il y avait 162 hommes là-bas. Les femmes et les enfants étaient gardés séparément.

J'ai vu des gens (du LURD) quitter Koyama pour le Libéria. Ils étaient dix ou quinze dans un camion Toyota vert, comme un véhicule militaire. Ils contrôlent ce pays. Je les ai vus avec des fusils AK et des armes lourdes. Parfois, ils menaçaient de nous remmener. Le jour, ils demandaient aux autorités guinéennes de nous remettre à eux. Une fois, la nuit, la première semaine, ils ont garé leur camion dehors et nous ont demandé de venir. Nous avons refusé. Le commandant militaire guinéen n'approuvait pas cette conduite. Cette nuit-là, je n'ai pas dormi. J'avais peur qu'ils aient le feu vert pour me ramener.

Outre les réfugiés détenus dans les mairies de Koyama et Fassankoni, Human Rights Watch a discuté avec de nombreux réfugiés mâles qui avaient été arbitrairement détenus dans des cellules militaires ou de la police pendant des semaines et, dans certains cas, pendant des mois par les soldats guinéens et parfois par la police. La procédure de tri mise en palce par les forces guinéennes - déshabiller les hommes et rechercher les tatouages ou toute autre marque tribale signifiant un passé militaire - manquait sérieusement des garanties d'un processus en bonne et due forme et se traduisait par des arrestations arbitraires et des passages à tabac pour de nombreux réfugiés libériens. La plupart ont été arrêtés sous les accusations non fondées d'être partisans ou d'avoir combattu dans les rangs des forces gouvernementales libériennes. Les détenus étaient souvent gardés dans des petites pièces dans lesquelles ils étaient entassés, privés de nourriture, d'eau et de toilettes. Certains ont subi des brutalités et ont été battus par la police ou les soldats guinéens. Le processus de vérification, tel que Human Rights Watch a pu l'observer, ne protège pas les individus des arrestations arbitraires, de la détention prolongée ou des mauvais traitements et ne garantit pas non plus la protection de leurs droits. Human Rights Watch a les preuves d'au moins vingt cas dans lesquels les réfugiés ont été détenus dans ces conditions, la plupart n'ayant été libérés qu'après avoir versé des pots-de-vin aux responsables guinéens. Voici ce qu'a raconté un homme de trente-cinq ans, originaire de Borkeza et qui était arrivé en Guinée en mai 2002 :

Nous avons traversé la frontière près de Fassankoni. Nous avons passé environ un mois là-bas. Un garçon nommé Tawotawo, de Borkeza, est arrivé à Fassankoni. Il avait été arrêté par les autorités guinéennes à Koyama. Elles l'ont accusé d'être un combattant. Elles l'ont amené à Fassankoni dans un camion avec un autre homme, Korqur. J'ai été aussi arrêté là-bas. J'ai été amené à Koyama et j'ai passé une semaine en prison. Je ne pouvais pas voir la lumière. Il y avait au moins six Libériens détenus avec moi. Les autorités m'ont demandé si j'étais herboriste. J'ai dit oui et j'ai expliqué que j'étais guérisseur. Alors j'ai été ligoté et je ne peux toujours pas me servir de mes bras. Une dizaine d'entre nous ont été relâchés pendant ce temps mais d'autres sont restés. Certains avaient vingt, trente ans. Il n'y avait pas de femme. Tawotawo a été emmené à Nzerekore et à Macenta pour enquête. Je ne sais pas ce qu'il lui est arrivé. Quelqu'un a témoigné en ma faveur et j'ai été libéré au bout d'une semaine.

Un homme de trente ans qui était arrivé en Guinée en juin 2002 a raconté son expérience :

(Au Libéria) en juin, nous avons vu de la fumée dans la ville de Wakisu, près de Borkeza. Le LURD l'avait complètement incendiée. La nuit, nous nous sommes rapprochés pour voir. Ca brûlait toujours. Nous avons empaqueté nos affaires et décidé de partir dès le lendemain. De mon village, je me trouvais à une quinzaine de minutes de la frontière. De là, les soldats guinéens nous ont emmenés à Koyama, chez le préfet guinéen. Le 17 juin, ils nous ont emprisonnés pour plusieurs jours, dans un endroit sans lumière du jour. Nous étions quinze (tous des hommes) dans une pièce, assis les uns sur les autres. Nous ne pouvions pas toujours aller aux toilettes. Le matin, ils arrivaient avec une liste de « rebelles. » Ils demandaient si l'un d'entre eux se trouvait parmi nous. On disait non. Ils disaient que les noms sur la liste leur avait été livrés par des réfugiés précédents. Des gens venaient nous donner à manger, parfois on nous retirait la nourriture. Ils nous déshabillaient pour chercher des marques. Nous n'étions pas battus. Ils disaient qu'on était des combattants de Taylor, mais ils n'ont trouvé aucune marque. Il y avait de la vermine partout sur le sol et sur notre peau. Avant notre libération, le préfet guinéen a dit qu'il fallait payer 15.000 FG (7,50 dollars US) chacun. Nos familles ont payé pour nous. Après notre libération, l'ONU est venue et nous amenés ici en convoi.

Les soldats guinéens ont soumis des réfugiés détenus dans la prison de Koyama au travail forcé comme l'a raconté cet homme de trente-cinq ans :

Nous avons traversé (la frontière) le 23 juin. Les soldats nous ont attrapés dans la ville de Yezou. Nous étions quatre hommes et ils étaient six soldats guinéens. Ils nous ont pris chemises et pantalons et ont cherché des marques (sur notre corps). Ils ont dit : « Si vous êtes des combattants, nous le saurons. » Ils nous ont emmenés à Koyama et nous ont jetés en prison le jour même. Il y avait une trentaine de Libériens dans la prison, que des jeunes hommes. Les soldats guinéens nous ont donné un peu à manger. Le lendemain, ils nous ont envoyé travailler dans les marais. Ca a continué jusqu'au 27 juin. Ils ne nous battaient pas mais nous faisaient travailler tous les jours dans les marais. Ils m'ont interrogé et m'ont demandé si j'étais un rebelle. J'ai dit non. Ils m'ont questionné pendant toute ma détention. Il y avait des asticots dans la prison. Tout le monde était détenu dans la même pièce. C'était très petit. Nous dormions sur le sol. Il fallait uriner là. Il n'y avait pas de toilette. Vous pouviez appeler pour demander à aller aux toilettes mais ils ne vous laissaient pas toujours y aller. Nous ne pouvions pas nous laver.

10 Lettre du Représentant du HCR en Guinée à Human Rights Watch, 25 octobre 2002.

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