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Abus des Etats espagnol et marocain contre les enfants migrants
Violences et expulsions arbitraires sur des enfants non accompagnés : une banalité
(Madrid, 7 mai 2002) Les enfants marocains qui arrivent seuls en Espagne sont fréquemment battus par la police et violentés par le personnel ou les autres enfants dans des centres d'accueil surpeuplés et insalubres, a accusé l'organisation Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. L'Espagne procède également à l'expulsion arbitraire d'enfants, parfois âgés de onze ans seulement, vers le Maroc où la police les bat, les maltraite et les abandonne ensuite dans les rues.


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Communiqué de presse, 21 février 2002

Afrique du Nord
HRW documents en français

En anglais :

Nowhere to turn :
State Abuses of Unaccompanied Migrant Children by Spain and Morocco

Rapport, May 2002


Personne ne s'occupe de ces enfants. Les autorités espagnoles violent les droits humains de ces enfants migrants afin de les renvoyer au Maroc et les Marocains les punissent pour s'être sauvés.

Clarisa Bencomo, chercheuse à la Division des Droits de l'enfant de Human Rights Watch


 
Ce rapport de soixante-deux pages, intitulé: "Vers qui se tourner: abus des Etats espagnol et marocain contre les enfants migrants non accompagnés", fait état des nombreux abus perpétrés à l'encontre d'enfants marocains voyageant seuls dans les villes espagnoles de Ceuta et Melilla, situées sur la côte nord-africaine. Lors d'une enquête de cinq semaines au Maroc et en Espagne, Human Rights Watch a interviewé des dizaines d'enfants, actuels ou anciens migrants. Nombre d'entre eux avaient déjà été arbitrairement expulsés à plusieurs reprises.

"Personne ne s'occupe de ces enfants", a expliqué Clarisa Bencomo, chercheuse à la Division des Droits de l'enfant de Human Rights Watch. "Les autorités espagnoles violent les droits humains de ces enfants migrants afin de les renvoyer au Maroc et les Marocains les punissent pour s'être sauvés".

Les conditions de séjour dans les deux centres d'accueil espagnols, le centre de San Antonio à Ceuta et le Fort de la Purisima Concepcion (Fuerte de la Purisima Concepcion) à Melilla, étaient particulièrement mauvaises, dotés d'infrastructures vétustes, surpeuplés, sans services récréatifs ni distractions pour les enfants. Les enfants interrogés par Human Rights Watch ont témoigné de façon précise du fait que le personnel de ces centres les frappait fréquemment et les menaçait. Au centre San Antonio, le personnel disposait d'une "salle de punition" où il enfermait les enfants parfois pendant une semaine, sans matelas ni accès aux toilettes. Les plus petits et les plus jeunes ont raconté qu'ils avaient été attaqués et volés par des enfants plus grands et plus âgés dans ces centres, sans que le personnel témoin intervienne.

"Les enfants nous ont dit qu'ils se sentaient plus en sécurité dans la rue que dans ces centres d'accueil bondés et dangereux que l'Espagne met à leur disposition", a ajouté Mme Clarisa Bencomo.

Human Rights Watch a accusé l'Espagne de priver d'éducation la plupart des enfants migrants non accompagnés à Ceuta et nombre d'entre eux à Melilla et le personnel des centres de soins et des centres d'accueil de Ceuta, de priver les enfants malades ou blessés de soins médicaux.

La législation espagnole garantit pourtant soins et protection aux enfants étrangers non accompagnés sur la même base qu'aux enfants espagnols, y compris leur droit à l'éducation, aux soins de santé, à la résidence temporaire et les assure contre tout rapatriement qui les mettrait en danger. Les autorités locales à Ceuta et Melilla méprise régulièrement la loi en refusant arbitrairement aux enfants soins et protection. Les responsables du gouvernement central ont reconnu qu'ils ne surveillaient pas régulièrement la façon dont étaient traités les enfants ni ne traduisaient devant la justice les cas graves d'abus. Dans de nombreux cas sur lesquels Human Rights Watch a enquêté, les organismes chargés de la protection des enfants -- la police et le Département des affaires sociales -- se trouvaient à l'origine des abus commis.

"Le gouvernement espagnol dit qu'il accorde de l'importance aux droits de l'Enfant mais il fait peu, voire rien du tout, pour faire appliquer ses propres lois", a expliqué Clarisa Bencomo. "Chaque fois que nous avons demandé à des responsables du gouvernement ce qu'ils faisaient pour protéger les enfants, ils ont répondu que cela relevait de la responsabilité de quelqu'un d'autre".

L'Espagne a expulsé des enfants de Ceuta et Melilla en les remettant à la police marocaine qui les a battus et maltraités. La police du Maroc a ensuite relâché les enfants dans des rues qui leur étaient inconnues, souvent tard le soir. Même de très jeunes enfants ont été ainsi livrés à eux-mêmes parce que la police marocaine ne disposait pas des structures adéquates pour protéger les enfants qui vivent hors du cadre familial et, en général, les autorités marocaines ne sont intervenues que dans le cas où un enfant était suspecté d'avoir commis un crime au regard de la loi. Les soins dispensés dans la plupart des centres d'accueil du Maroc étaient généralement inadéquats, mais les juges avaient peu d'alternatives quand ils ne pouvaient renvoyer l'enfant en toute sécurité dans sa famille.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement espagnol à veiller à ce que les enfants migrants non-accompagnés aient accès à un lieu de prise en charge, à un enseignement, à des services d'urgence et autres soins de santé et à des papiers de résidence temporaire, comme l'exige la loi espagnole. Les centres d'accueil pour enfants migrants devraient correspondre aux normes de santé et de sécurité, apporter protection aux enfants et assurer les soins nécessaires à leur bien-être. L'Espagne ne devrait pas expulser ou rapatrier un enfant avant que le gouvernement se soit assuré qu'il sera rendu, dans son pays d'origine, à un membre de sa famille désireux de prendre soin de lui ou à un service social approprié et que son retour ne constitue aucun risque ni ne met en danger sa sécurité ou celle de sa famille.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement du Maroc à faciliter le retour au Maroc des enfants migrants non accompagnés quand c'est dans l'intérêt des enfants et à fournir les ressources nécessaires à leur entretien et à leur protection, notamment à désigner le service social qui devra prendre en charge les enfants renvoyés d'Espagne ou, dans les cas appropriés, les remettre à leur famille. Le Maroc devrait protéger les enfants migrants non accompagnés expulsés d'Espagne contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants et autres abus qu'ils subissent aux mains de la police.

L'organisation a également appelé les deux gouvernements à travailler ensemble de façon à s'assurer que les enfants ne soient rapatriés d'Espagne au Maroc que lorsqu'il y sont remis à des membres de leur famille désireux et aptes à les accueillir, ou à un organisme social approprié. "La police espagnole ou marocaine ne devrait pas être le service chargé du rapatriement des enfants migrants non accompagnés", a estimé Mme Bencomo.

Une copie du resume et recommendations complets, comprenant quatre-vingts recommandations détaillées à l'attention de l'Espagne, du Maroc, des pays donateurs, des Nations Unies, du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne, est disponible en français sur le site : http://www.hrw.org/french/reports/spnmorc/

TEMOIGNAGE D'ENFANTS MIGRANT NON-ACCOMPAGNES A CEUTA ET MELILLA :
(Par souci de protéger l'anonymat des enfants cités dans le rapport, Human Rights Watch leur a attribué des pseudonymes)

Abus policiers
Je me trouvais dans le port, tentant de traverser vers l'Espagne. Un policier (espagnol) m'a vu et a tenté de m'attraper mais trois fois j'ai réussi à m'échapper. Ensuite la police m'a attrapé, ils étaient six, ils m'ont poussé dans une voiture. (Dans la voiture), les policiers m'ont frappé sur les bras et les jambes et à la tête. Ensuite, un autre agent m'a emmené au poste et m'a frappé avec une canne (porra) et avec ses pieds. Ils étaient très en colère et comme fous. Ensuite, ils m'ont emmené au poste de la Garde Civile. Je hurlais tellement j'avais mal. Ils m'ont demandé si j'étais tombé mais j'avais peur de l'autre police. La Garde Civile m'a encore plus battu et m'a jeté dans une pièce pendant trois heures et ensuite m'a emmené à San Antonio. -Shihab R., 15 ans, décrivant comment la police espagnole l'a battu en octobre 2001, lui fracturant la main gauche. Ceuta, 6 novembre 2001.

Nous avons été emmenés à la frontière séparément. J'étais avec un autre gosse, âgé de dix ans. Il voulait sauter hors de la voiture mais je ne l'ai pas laissé faire. Ils ne nous disaient pas où ils nous emmenaient. Simplement, quand on s'est approché de la frontière, la police (espagnole) a dit, "Vous allez retourner dans votre famille". Il y avait deux agents de la police secrète dans notre voiture plus l'autre homme. Ils ne m'ont pas touché, mais ils ont fait mal à l'autre enfant parce qu'ils voulait sortir de la voiture. Ils l'ont giflé, lui ont tordu le bras et lui ont collé leurs poings dans son cou comme pour l'étouffer…

Au poste de police (marocain), un des policiers (marocain) a marché sur nos orteils avec ses bottes ; on portait des tongs. IL nous a demandé d'où nous étions et comment on était allé à Melilla et tout ça. Il nous a placés dans une réserve où il y avait de la bière et du vin. La police venait là tout le temps. Ils ne nous ont pas touchés jusqu'à la fin, quand ils nous ont libérés. Là, ils nous ont frappés avec un long bâton, un stick électrique qui contenait du voltage élevé. Ils nous ont frappés partout, sur tout le corps. Mais le plus grand des enfants essayait de nous protéger. Toutes les portes étaient fermées et on ne pouvait pas sortir. Il y avait plus de dix policiers dans cette grande pièce. On était acculé tous ensemble dans un coin de la pièce où deux policiers nous frappaient. Les autres riaient et nous insultaient. Ca a duré environ cinq minutes. Le grand a été vraiment blessé aux jambes, dans le dos et au bras et avait beaucoup de contusions. C'est celui qui a été relâché le premier. Ensuite moi. Ensuite les autres. Quand nous étions libres, on attendait les autres dehors. -Ayman M., 16 ans racontant son expulsion en juillet 2001. Il a vécu à Melilla depuis qu'il a huit ans, habitant dans un centre d'accueil ; il disposait de papiers de résidence temporaire quand il a été arbitrairement expulsé.

Au Maroc, les policiers vous fouillent. Si vous avez quelque chose, un couteau ou n'importe quoi d'autre, ils le prennent. Ensuite ils vous battent avec un baton… Ils utilisent aussi du câble électrique. Il y a un policier du Maroc qui fait ça. -Abd al Hadi S., 14 ans, Ceuta, 6 novembre 2001. Les enquêteurs de Human Rights Watch ont remarqué des cicatrices sur son dos dont il a assuré qu'elles avaient été causées par les coups de la police qui l'a frappé avec un câble électrique.

Abus commis dans des centres d'accueil
Dimanche dernier, j'ai été frappé et botté sur les mollets par un gros garde et un maigre. L'un bottait mes jambes par en dessous et l'autre me tenait par la chemise d'une main et me giflait de l'autre… C'est eux, les éducadores (éducateur). -Salah S., 14 ans, racontant comment il a été puni pour s'être battu avec un autre enfant au Fort de Purísima Concepción en octobre 2001.

Une fois nous nous sommes échappés, on était trois, un garçon a pris un morceau de métal et a cassé la porte (de la salle de punition). Un garçon plus vieux nous a vus et nous a frappés. Ils nous ont pris et nous ont mis dans une autre salle et ils ont fermé la porte à clé et ensuite (un des éducateurs) est arrivé et nous a frappés avec un baton comme ceux qu'a la police. Il m'a touché à la tête, au visage et à la jambe. -Wafiq H., 13 ans, sur son séjour au centre San Antonio, Ceuta, 5 novembre 2001. A cause d'un petit garçon que personne d'entre nous ne connaissait, nous avons tous été forcés de sortir au dehors dans le froid, sans couverture. Finalement, ils nous ont laissés rentrer un par un ou en petits groupes de trois ou quatre. J'ai pu rentrer à une heure du matin. Je ne sais pas combien de temps les autres sont restés dehors. -Salah S., 14 ans, racontant comment le personnel du centre du Fort Purísima Concepción a puni tous les enfants parce qu'un seul avait volé un drap en octobre 2001. Melilla, 22 octobre 2001.

Parfois, la police m'attrape et me place au centre San Antonio, mais je m'échappe. Je ne reste jamais longtemps là-bas parce que les plus grands vous cognent et volent vos chaussures….Les responsables du centre ne font rien quand ils voient les plus grands frapper les plus petits….Si vous avez de l'argent, les plus grands vous le prennent et vous tapent à San Antonio.-Lutfi M., 12 ans, Ceuta, 5 Novembre 2001.

Les gentils [parmi le personnel du center], quand vous leur dites que [les grands] vous ont tapé, ils essaient d'enquêter. Les méchants, ils refusent de faire quoi que ce soit. Ils vont dire : "Rends les coups", ou "Tu dois te débrouiller tout seul autant que tu le peux". -Abbas A., 16 ans, sur son séjour au centre San Antonio à Ceuta, 7 novembre 2001.

C'est très mauvais. Les lits sont défoncés. Tout le monde est très entassé. On mange pas bien. C'est très mauvais pour vous. On était huit dans la pièce. Vous ne pouvez pas partir. Si vous avez besoin d'aller aux toilettes, il y a un endroit dans le sol ou alors un seau. -Wafiq H., 13 ans, racontant la "salle de punition" au centre San Antonio dans laquelle il a passé trois jours à la fin octobre 2001. Le personnel du centre ne surveille pas la salle de près ; en conséquence, les plus jeunes, les enfants petits, sont les grands perdants quand les matelas ou la nourriture sont fournis en faibles quantités. Ceuta, 5 novembre 2001.

Quand je suis allé là bas la première fois, j'ai dormi sur deux draps à même le sol et un autre pour me couvrir. Une quinzaine de jours plus tard, un garçon m'a cédé sa place. Il est allé dormir avec les plus grands, ceux qui ont quinze, seize ans. On était une douzaine dans la pièce, dont quatre à même le sol. -Wafiq H., 13 ans, décrivant l'un de ses séjours à San Antonio en septembre 2001. Il a estimé qu'il "y avait une centaine d'enfants, plus ou moins" dans un espacé destiné à moins de la moitié de ce nombre. Ceuta, 7 novembre 2001.

Ceux qui sont restés (à San Antonio) longtemps ont leur propre lit. Nous, on a un drap, c'est tout, un très fin. On dort sur le sol, sans matelas ni rien.- Shawqi M., 15 ans, racontant les conditions de séjour au centre de San Antonio, Ceuta, 7 novembre 2001. A l'exception des résidents de longue durée, les enfants ont indiqué qu'ils devaient changer d'emplacement pour dormir toutes les nuits, dormant souvent à même le sol avec pour toute literie des draps crasseux déjà utilisés par d'autres enfants.

La douleur arrive souvent, quand il fait froid ou quand on me tape. J'ai essayé d'aller à l'hôpital quand j'avais mal, mais ils ne m'ont pas admis. Ils ne vous acceptent pas à l'hôpital s'il n'y a pas quelqu'un de San Antonio avec vous. Quand la douleur revient, je ne peux plus bouger alors qui va m'emmener à l'hôpital ? -Abd al Samad, 16 ans, Ceuta, 8 novembre 2001. Abd al Samad souffre d'une maladie rénale, potentiellement mortelle, mais s'est vu refuser tout traitement médical après qu'on lui a dit de quitter le centre San Antonio en octobre 2001, où il vivait depuis deux ans et demi. Le personnel du centre a refusé de l'accompagner à l'hôpital et le personnel hospitalier a refusé de le soigner hors de la présence d'un membre du centre. Il a finalement subi l'intervention dont il avait besoin après que le tribunal pour enfants eut ordonné son hospitalisation, mais il n'a été admis au centre San Antonio le temps de sa convalescence qu'après que le tribunal eut délivré un nouvel ordre garantissant son admission.

Je voulais aller à l'école et apprendre l'espagnol mais ils ne me laissaient pas. Les autres enfants y allaient, mais pas moi. Je suis allé voir le directeur et je lui ai demandé d'aller à l'école mais ça n'a rien fait….Parfois, on peint mais c'est tout. Seuls les plus grands vont à l'école. -Sulayman S., 14 ans, sur son séjour au centre San Antonio, Ceuta, 5 novembre 2001.

Les gens ne font rien. Il n'y a pas la moindre chance d'apprendre. Il n'y a aucun enseignement ni formation. Le petit déjeuner est à neuf heures, ensuite on fait un peu de ménage et puis, rien. Le déjeuner est à une heure. On range et puis plus rien. La merienda (le goûter) est à six heures, six heures et demi, peut-être sept. On nettoie un peu et puis rien. Le diner est à dix heures, on range et après, rien. -Munib I., 16 ans, sur son séjour au centre San Antonio,Ceuta, 6 novembre 2001.