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Rapport Mondial 2002 : SIDA et Droits Humains FREE    Recevez des Nouvelles 
La détention du Dr Wan Yanhai, récipiendaire international du Prix de l'Action contre le VIH/sida et pour les droits humains
Information sur la situation actuelle

Le Dr Wan Yanhai, éducateur et activiste de longue date contre le VIH/sida a été placé en détention par le Bureau de la Sécurité d'État de la Chine, le 24 août 2002, rapporte-t-on, pour une accusation d'avoir divulgué des secrets d'État. L'accusation est apparemment liée au fait que le Dr Wan ait déposé sur Internet un rapport " secret " d'août 2002 de la province du Henan, à propos de la propagation du VIH dans cette province en raison de pratiques non sanitaires dans l'achat et la vente de sang et produits sanguins. Ces pratiques, dont des agents sanitaires du gouvernement et d'autres officiels locaux étaient complices, avaient été signalées dans la presse internationale et certains médias chinois bien avant la révélation dont est accusé le Dr Wan. Toutefois, en vertu de la Loi chinoise sur la sécurité d'État ou de la Loi sur les secrets d'État, le Dr Wan pourrait être condamné à une peine pouvant atteindre les 10 ans de prison.

L'épidémie du sida dans la province du Henan - Horrible, mais pas nouvelle

Des reportages dans les médias et d'autres données indiquent que le ministère de la Santé de la province du Henan ainsi que d'autres responsables chinois étaient au courant depuis 1995 d'une grave épidémie de sida liée au commerce de sang, mais ont fait peu (voire rien) pour l'arrêter. David Cowhig, à l'époque représentant à l'ambassade des États-Unis à Beijing, signalait dans une récente lettre qu'un rapport préparé en 1995 par le ministère de la Santé de la province attirait l'attention des autorités centrales sur l'épidémie croissante de VIH/sida liée au commerce du sang.

Cependant, le commerce du sang est une affaire lucrative, pour certains bureaucrates en milieu rural. Au début des années 90, il y avait en Chine un commerce florissant de produits biologiques, qui reposait sur l'exploitation des pauvres, notamment en région isolée, dans le prélèvement de sang, notamment pour l'extraction de plasma utilisé dans la fabrication d'une vaste gamme de produits pharmaceutiques. Elizabeth Rosenthal, du New York Times, a documenté dans une série d'articles (de 2001) le rôle de responsables gouvernementaux de la Santé dans la province du Henan, comme des " intermédiaires enthousiastes " qui établissaient des centres de prélèvement, dans certains cas en tirant personnellement profit du commerce. Les villageois recevaient environ 5$ US - un montant considérable pour des personnes en région rurale, en Chine - pour un " don " de 400 cc (un peu moins d'un demi litre) de sang. La province du Henan est l'une des plus pauvres de la Chine; les autorités y voyaient le commerce du sang comme un important apport de ressources. On a signalé que les autorités sanitaires ainsi que l'Armée chinoise ont établi et géré des centres de prélèvement.

D'après des reportages, le sang vendu par les villageois était groupé puis traité afin de séparer le plasma et les globules rouges; les globules rouges étaient ensuite réinjectés aux personnes qui avaient vendu de leur sang. Les villageois collaboraient à ce processus car ils croyaient que le fait d'être renfloués en globules rouges les aiderait à ne pas être affaiblis par la perte de sang, et à pouvoir ainsi vendre du sang plus souvent. Cependant, à cause de cette réinjection, si le VIH ou un virus d'hépatite était présent dans le sang d'un des donneurs du bassin, les infections étaient répandues rapidement parmi l'ensemble des donneurs à qui l'on réinjectait une partie du mélange de globules rouges. On ne connaît pas le nombre de personnes infectées par le commerce du sang dans le Henan, mais certains experts croient qu'il pourrait dépasser 1 million. On rapporte que dans plusieurs villages de la province, plus de 50% des adultes vivent avec le VIH/sida.

En 1995, lorsque des villageois ont commencé à devenir malades et à mourir du sida et d'hépatites, la vente de sang a été interdite, mais l'interdiction a été appliquée mollement et la pratique a continué dans certains villages. Comme on l'a rapporté dans le New York Times et d'autres médias, les villageois remarquaient que les personnes qui vendaient de leur sang le plus souvent faisaient partie des premières à devenir malades.

Lorsqu'elle a commencé à entendre parler en 1996 de patients d'un hôpital du Henan présentant des symptômes semblables à ceux du sida, la Dre Gao Yaojie, gynécologue à la retraite, a songé elle aussi au lien possible avec le commerce du sang dans cette province. Elle a puisé dans ses modestes économies et dans sa pension, pour aider à mettre sur pied des campagnes d'information sur le VIH/sida et, pendant la fin des années 1990, a été interviewée par de nombreux médias internationaux au sujet de l'épidémie de sida dans le Henan. Vers la fin des années 90, de hauts fonctionnaires chinois ont ouvertement exprimé des craintes à propos de l'épidémie du sida et la Dre Gao a été félicitée dans les médias nationaux contrôlés par le gouvernement. En revanche, elle était harcelée au même moment par les autorités du Henan, on lui interdisait de s'adresser à des journalistes d'autres pays, et on l'a accusée d'être exploitée par les " forces anti-chinoises " désireuses de déstabiliser l'État. En juillet 2001, des personnes en position d'autorité dans des villages durement frappés par le sida lui ont interdit des visites. Lorsque le Global Health Council a voulu lui décerner en mai 2001 le Jonathan Mann Health and Human Rights Award, le gouvernement chinois a refusé de la laisser se rendre à Washington pour la cérémonie. Le prix a été accepté en son nom par le Dr Wan Yanhai, qui avait créé un site Web au sujet du sida, incluant notamment le compte rendu personnel du travail de la Dr Gao pour lutter contre l'épidémie du sida en Chine (ce compte rendu est accessible à www.usembassy-china.org.cn/english/sandt/gaoyaojie-aidsprevention.html).

Les comptes rendus sur l'épidémie du sida dans le Henan, publiés dans de nombreux rapports internationaux - y compris des rapports publiés par les Nations Unies, avec lesquelles la Chine collabore officiellement en matière d'éducation sur le VIH/sida - renferment essentiellement la même information que le rapport " secret " évoqué dans les accusations de divulgation en vertu desquelles le Dr Wan est actuellement en détention. Des informations semblables étaient exposées en détail dans un article de He Aifang publié en novembre 2000, " Revealing the 'Blood Wound' of the Spread of HIV/AIDS in Henan Province ", qui a été déposé sur Internet (www.usembassy-china.org.cn/english/sandt/henan-hiv.htm) et dont il fut question dans les médias chinois et internationaux.

L'épidémie de sida en Chine n'est aucunement limitée à la province du Henan, mais ce cas met en relief des problèmes systémiques de l'approche chinoise devant l'épidémie du sida. Le gouvernement national organise des conférences internationales de haut calibre et diffuse des programmes d'éducation à la télévision. Cependant, il semble en même temps incapable et peu désireux de convaincre les gouvernements locaux de se rallier à cet effort, et il continue d'entraver la circulation d'information qui pourrait servir à éduquer le public sur le VIH/sida. Le rapport du Henan qui est prétendument lié à la détention du Dr Wan présente les résultats d'enquêtes sur la prévalence du VIH parmi les donateurs de sang rémunérés, dans cinq provinces, de même que des indications de la propagation du VIH dans d'autres provinces, portant à croire que l'expérience du Henan aurait été répliquée plusieurs fois à travers le pays.

Le 6 septembre 2002, le gouvernement chinois a reconnu qu'au moins un million de personnes vivent avec le VIH/sida, en Chine - ce qui est considéré par plusieurs comme une importante sous-estimation. Bien que la Chine obtienne de l'aide internationale pour divers projets d'éducation et de prévention à divers endroits du pays, ses efforts sont réellement insuffisants pour contenir une épidémie dont certains croient qu'elle risque de causer l'infection de plus de 10 millions de personnes, d'ici 10 ans. Les autorités locales minimisent les estimés et les nombres de personnes atteintes du sida, dans leurs régions respectives, afin d'éviter les critiques des paliers supérieurs; de plus, la Chine n'a pas procédé à une enquête nationale sur la prévalence du VIH, l'élément de base des statistiques sur le VIH/sida dans la plupart des pays. Un rapport publié en juin 2002 par les Nations Unies a formulé la mise en garde d'une épidémie " explosive " de sida en Chine à moins que des mesures urgentes soient adoptées pour l'endiguer. Par ailleurs, des rapports récents publiés par des chercheurs chinois portent à croire que la très grande majorité des citoyens de la Chine ne savent pas encore comment le VIH se transmet, ni même que l'on peut s'en protéger.

Le traitement de personnes qui " compromettent la sécurité d'État "

Les actions du Bureau de la Sécurité d'État, qui détient apparemment le Dr Wan, sont expliquées officiellement en vertu de dispositions de la Loi sur la sécurité d'État (1997), qui prévoit notamment de réagir [TRAD.] " par des moyens légaux " aux actions " nuisibles à la sécurité d'État de la République populaire de Chine " et " posées par des organismes, groupes, individus hors territoire, ou initiées et financées par eux mais accomplies par d'autres; ou par des organismes et individus du territoire qui sont de connivence avec des organismes, groupes et individus hors territoire ", et consistant à :

  • comploter pour bouleverser [ou renverser] le gouvernement, démembrer l'État et renverser le système socialiste;
  • participer à une organisation d'espionnage ou accepter une mission confiée par une telle organisation ou ses agents;
  • voler, collecter en secret, acheter et fournir de manière illégale des secrets d'État, pour un ennemi;
  • inciter, attirer et soudoyer des employés de l'État afin qu'ils se rebellent; et
  • participer à d'autres activités de sabotage qui vont à l'encontre de la sécurité d'État.
La Loi sur les secrets d'État, adoptée elle aussi en 1997, définit ces secrets d'une manière large et très extensible. Tout en englobant plusieurs des domaines évidents - défense nationale, affaires diplomatiques, science et technologie, enquêtes criminelles - la définition établie dans la Loi sur les secrets d'État renferme aussi des catégories douteuses, comme les " décisions majeures en matière de politiques touchant les affaires d'État ", les " dossiers secrets liés à l'économie nationale et au développement social ", les " informations secrètes des partis politiques … [qui] concernent la sécurité et les intérêts de l'État ", pour finir par une clause fourre-tout : " et toute autre question d'État désignée pour demeurer secrète, par les instances de préservation du secret de l'État ".

En vertu des deux lois, les personnes qui révèlent des " secrets d'État " peuvent être non seulement condamnées à de longues peines d'emprisonnement, mais aussi voir saisir leurs biens. Dans plusieurs cas bien documentés, le concept de secret d'État a été utilisé de manière abusive pour empêcher la divulgation d'information potentiellement embarrassante pour les autorités (voir une analyse des lois chinoises sur la sécurité d'État et sur les secrets d'État, ainsi que des détails sur le traitement des dissidents, effectuée par Human Rights Watch et Human Rights in China, accessible à www.hrw.org/reports/1997/china5). La Chine a signé mais elle n'a pas ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les dispositions de ces deux lois ne respectent pas les éléments que requiert une juste procédure, ni d'autres protections des droits civils et juridiques que garantit ce traité.