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La dangereuse tentation de l'Amérique : Les ennemis de nos ennemis..
Par Tom Malinowski
Directeur du bureau de Washington de Human Rights Watch

Pour la première fois depuis la guerre froide, la politique étrangère américaine a retrouvé un principe directeur. Comme l'a déclaré le président Bush, " Nous sommes engagés dans un combat monumental du Bien contre le Mal ", un combat qui par définition exige que tout lui soit subordonné. Mais ce combat contre le terrorisme ne risque-t-il pas de ressembler à la guerre froide dans des formes que le monde viendra un jour à regretter ? Le danger existe en effet que, au nom de l'anti-terrorisme, les Etats-Unis se mettent à tolérer des assassinats et des brutalités qu'ils auraient condamnées juste avant les attentats. Si, dans ce combat, ce qui importe, c'est la position adoptée par un pays, est-ce que la manière dont ce pays combattra aura encore de l'importance ?


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Ainsi, immédiatement après les attentats, le président russe Vladimir Poutine s'est empressé de noter que les partisans de Ben Laden étaient liés aux événements de Tchétchénie.. " Nos partenaires américains ne peuvent que se sentir préoccupés par ce lien, s'est-il exclamé. Nous avons donc un ennemi commun ." De même, en Israël, le ministre de la défense Benyamin Ben Eliezer s'est même vanté que 14 Palestiniens avaient été tués à Jenine, Kabatyeh et Tammun et que le monde était resté totalement silencieux. En Macédoine, un pays où des hommes politiques de la majorité slave ont cherché à dépeindre leurs opposants musulmans sous les traits de terroristes, des dirigeants d'un parti nationaliste ont rappelé avec satisfaction qu' " ils l'avaient bien dit, que tôt ou tard, les intégristes islamiques et les Talibans se retourneraient contre les Etats-Unis ".

Si la guerre est déclarée à l'Afghanistan, des pays comme le Kirghizstan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan, seront catapultés aux premières lignes. Ce sont les plus " soviétiques " des anciennes républiques soviétiques, des dictatures de parti unique affectées d'une profonde paranoïa à l'égard de tout ce qu'elles ne peuvent contrôler. Répondant à une menace très réelle de groupes islamistes armés, l'Ouzbékistan a réagi en arrêtant plus d'un millier de musulmans pacifiques " coupables " de prier dans des mosquées non reconnues ou d'écouter de " mauvais " sermons. Un éminent militant des droits de l'homme a récemment succombé à la torture et son corps a été jeté sur le seuil de sa maison familiale.

Le secrétaire d'Etat Colin Powell a cité l'Ouzbékistan comme un allié potentiel contre le terrorisme. Coïncidence, le département d'Etat devait décider cette semaine de placer l'Ouzbékistan sur la liste des pays violant les libertés religieuses. Va-t-il être convaincu de faire preuve de tolérance à l'égard d'un pays dont Washington recherche aujourd'hui l'appui ? Que se passera-t-il si le gouvernement ouzbek demande une assistance directe contre des groupes violents, alors que cette assistance peut aussi être utilisée pour traquer des opposants pacifiques ?

Les réponses à ces questions sont cruciales et pas seulement pour des raisons morales. Comme la Russie l'a appris en Tchétchénie, l'assassinat de civils ne fait que grossir les rangs de groupes armés. L'association des Etats-Unis avec des gouvernements répressifs au Moyen Orient a été un don du ciel pour les agents recruteurs du terrorisme.

Si le défi qui nous attend est de réagir avec détermination mais sans renforcer les forces qui ont été à l'origine des attentats, le président Bush doit répondre très vite à ces questions. Toute l'attention du monde est tournée sur lui. Il devrait en profiter pour dire que " ce qui nous distingue de ceux qui ont commis ce crime, c'est notre capacité à faire la différence entre les innocents et les coupables, entre ceux qui en sont responsables et les civils qui vivent autour d'eux, entre ceux qui commettent des atrocités et ceux qui partagent leurs convictions religieuses. C'est dans cet esprit que l'Amérique mènera son combat et ce que nous attendons de nos alliés ."

En d'autres termes, les Etats-Unis feront la distinction entre les alliés qui seront prêts à combattre le terrorisme en respectant le droit, et ceux qui de manière opportuniste rejoindront la cause pour couvrir des violations que tous devraient condamner.

Il est tentant de penser que pareilles distinctions sont un luxe dans une période de crise comme celle que nous vivons, tout spécialement dans une région aussi rude que l'Asie centrale. Mais c'est au nom de cette même logique que les Etats-Unis, vingt ans plus tôt, s'étaient retrouvés aux côtés d'un jeune homme d 'affaires saoudien devenu combattant de la liberté anti-soviétique et qui s'appelait Osama Ben Laden. Cette fois, les Etats-Unis et leurs vrais amis devraient faire montre de plus de prudence.