Rapport Mondial 2005

République démocratique du Congo

Après 18 mois passés au pouvoir, le gouvernement de transition en République démocratique du Congo (RDC) reste fragile. Il est encore loin d’avoir atteint les objectifs qu’il s’était fixés en matière de paix et de gestion efficace de ce vaste pays d’Afrique central. Arrivée au pouvoir après cinq années de guerre civile, la coalition précaire composée d’anciens belligérants est confrontée à un manque de confiance, à l’insatisfaction des soldats qui n’ont pas encore été intégrés complètement dans une nouvelle armée nationale – avec notamment une rébellion avortée menée par certains d’entre eux – et aux défis lancés par des groupes armés étrangers au processus de paix. Cette coalition est également confrontée aux ingérences continues des pays voisins, en particulier l’Ouganda et le Rwanda.

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République Démocratique du Congo
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Dans l’Est du Congo, des soldats de l’armée nationale et des combattants appartenant à des groupes armés continuent de prendre pour cibles des civils qu’ils tuent, violent ou blessent d’une autre façon. Ces hommes se livrent à des arrestations arbitraires et à des actes de torture et détruisent ou pillent les biens de ces civils. Des dizaines de milliers de personnes ont fui leurs maisons, plusieurs milliers en direction d’autres pays. Après la tentative de rébellion et le massacre de réfugiés congolais au Burundi voisin, la peur et la haine s’appuyant sur une base ethnique se sont nettement accrues, ces émotions étant amplifiées et manipulées par les hommes politiques et certains responsables de la société civile.  
 
La force de maintien de la paix des Nations unies, la Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo (MONUC) est débordée et fait peu pour protéger les civils en dehors de quelques centres urbains. Elle est elle-même l’objet d’attaques croissantes.  
 
Avec une coalition faible en place à Kinshasa, des divisions dans l’armée et des tensions ethniques en augmentation dans l’Est, la RDC est mal préparée pour aborder les difficultés politiques et logistiques complexes qui font obstacle aux élections maintenant prévues mi-2005. L’incapacité à prendre en compte ces problèmes fondamentaux ne fait qu’augmenter la probabilité d’un nouveau conflit, susceptible de déstabiliser la région dans son ensemble.  
 
Poursuite de la violence contre les civils  
Au cours de l’année 2004, des soldats gouvernementaux et des combattants armés se sont livrés à de nombreux accrochages pour le contrôle de zones locales dans l’Est de la RDC. Lors de ces incidents, ils ont commis de graves violations du droit international humanitaire et du droit en matière de droits humains, en particulier en Ituri, dans le Nord et le Sud Kivu, à Maniema et dans le Nord Katanga. Dans le district du Nord-Est de l’Ituri, qui a été par le passé le lieu d’actes d’une grave violence, les soldats de la MONUC ont limité les abus à Bunia, la ville principale mais n’ont pas réussi à contenir les abus commis dans la campagne par des groupes armés organisés sur une base ethnique. Plus loin en direction du nord-est, des combattants ont attaqué des civils dans le village de Gobu en janvier 2004, tuant au moins une centaine d’entre eux. En septembre, quatorze civils supplémentaires ont été assassinés à Lengabo, pas très loin de Bunia. Des femmes et des filles ont fait l’objet d’une violence sexuelle systématique dans de nombreuses zones de conflit et dans la région de Mongbwalu, environ quatre-vingt femmes hema accusées d’avoir trahi les communautés locales ont été sommairement exécutées.  
 
En mai et juin 2004, des soldats dissidents se sont rebellés et ont pris aux forces gouvernementales la ville de Bukavu dans le Sud Kivu. Les membres des deux forces en présence ont commis des crimes de guerre, tuant et violant des civils, certains pris pour cibles à cause de leur appartenance ethnique. Des milliers de soldats gouvernementaux ont été déployés pour combattre les rebelles, beaucoup étant des Tutsi ou des Banyamulenge, un groupe ethnique lié aux Tutsi. Certains rebelles ont ensuite fui vers le Rwanda alors que d’autres se retiraient vers le Nord Kivu. Suite à cette rébellion, des milliers de civils banyamulenges et d’autres qui leur étaient liés dans le Sud Kivu ont craint des représailles et ont fui vers le Rwanda ou le Burundi. Plus de 150 de ces réfugiés ont été massacrés mi-août dans le camp de réfugiés de Gatumba, juste derrière la frontière avec le Burundi. La plupart des assaillants étaient des rebelles burundais mais certains parlaient des langues du Congo et venaient peut-être de la RDC.  
 
Augmentation de l’hostilité à base ethnique  
La révolte de Bukavu et le massacre de Gatumba ont considérablement accru la peur et la haine entre Tutsi et Banyamulenge et d’autres groupes ethniques de l’Est de la RDC. Dans certains endroits, l’animosité contre les Tutsi et les Banyamulenges s’est généralisée et vise toutes les personnes parlant le rwandais, des gens linguistiquement ou culturellement liés au Rwanda. Après le meurtre de civils banyamulenge à Bukavu, certains responsables banyamulenge et tutsi ont accusé les soldats gouvernementaux et des personnes d’autres groupes ethniques de commettre un génocide à leur encontre. En juin 2004, les autorités du gouvernement rwandais – dont beaucoup sont tutsi – ont menacé d’envahir le Congo afin de défendre les Tutsi et les Banyamulenge. Après le massacre de Gatumba, ils ont réitéré leur menace, appuyés par des officiers militaires tutsi du Burundi. Nombre de Congolais ayant souffert sous l’occupation rwandaise de 1996 à 2002 ont redouté une nouvelle attaque rwandaise et ont accusé les Banyamulenge et les Tutsi du Congo de vouloir aider les Rwandais comme certains l’ont fait par le passé. Lorsque des réfugiés banyamulenges ont tenté de rentrer au Burundi en octobre, la foule dans la ville d’Uvira leur a jeté des pierres et a attaqué les soldats de la MONUC qui les protégeaient. Les responsables politiques, militaires et ceux de la société civile ont manipulé les tensions entre les groupes ethniques, allant jusqu’à produire de faux documents censés prouvés que les autres projetaient des attaques contre eux.  
 
Les questions de l’utilisation et de la propriété des terres tout comme celle de la citoyenneté sont sous-jacentes à de nombreux conflits entre les communautés ethniques de l’Est du Congo. Ces questions sont rendues encore plus complexes par des lois mal rédigées ou appliquées de façon incohérente. Le gouvernement tente actuellement d’aborder ces questions en entreprenant une réforme nécessaire de la législation.  
 
Exploitation illégale des ressources  
En 2003, un panel indépendant d’experts établi par le Conseil de sécurité des Nations unies a recueilli des informations sur le lien existant entre l’exploitation illégale des ressources et les conflits en RDC. Cependant, depuis la publication du rapport de ces experts, seule la Belgique a lancé des investigations sur de possibles infractions aux règles du commerce international commises par de grandes entreprises enregistrées sur son territoire. Le gouvernement de la RDC s’est engagé à revoir des contrats défavorables signés pendant les cinq années de guerre mais il a accompli peu de progrès en ce sens. Des organisations locales ainsi que des observateurs internationaux font état de corruption et de fraudes commises de plus en plus fréquemment par des officiels.  
 
Dans le même temps, des responsables de groupes armés en RDC continuent de profiter de l’exploitation illégale des ressources et de lutter pour le contrôle des postes frontaliers lucratifs ou des zones minières stratégiques. En 2004, de tels groupes ont combattu pour l’accès à des ressources telles que l’or, la cassitérite et le cobalt dans le Nord Kivu, le Sud Kivu, l’Ituri et certaines régions du Katanga. En juillet, le Conseil de sécurité a renouvelé un embargo sur les armes dans l’Est du Congo ainsi que le mandat du panel chargé d’enquêter sur sa mise en œuvre. Cependant, le Conseil a limité l’étendue et donc l’efficacité de l’enquête en refusant d’autoriser une investigation portant sur le financement des achats d’armes.  
 
Droits civils et politiques  
Des officiels locaux et nationaux continuent de harceler, d’arrêter arbitrairement et de passer à tabac des journalistes, des activistes de la société civile et de simples citoyens. Des combattants des groupes armés, notamment ceux qui ont été officiellement intégrés dans l’armée nationale continuent d’attaquer les populations civiles, de collecter des « impôts » illégaux et d’extorquer de l’argent en pratiquant détentions illégales et torture.  
 
Assurer le fonctionnement de la justice  
La culture de l’impunité qui règne en maître partout constitue l’un des plus grands obstacles à la construction d’une paix durable et à l’établissement de droits civils et politiques en RDC. En dépit des déclarations nationales et internationales sur l’importance de la recherche des responsabilités pour les crimes commis par le passé, de nombreuses personnes soupçonnées de violations des droits humains et du droit international humanitaire continuent d’occuper des postes de responsabilité, nationalement ou localement, notamment des positions clefs dans la nouvelle armée intégrée. Intégrer des commandants responsables d’abus dans une nouvelle armée peut permettre de s’assurer qu’ils respecteront le processus de transition à court terme mais ne fait que préparer la voie à une instabilité future.  
 
Rendre la justice en RDC va nécessiter d’énormes ressources humaines et matérielles. L’Union européenne, aidée de la MONUC, a soutenu un programme pilote de reconstruction de la justice en Ituri qui pourrait être repris ailleurs. A la suite des meurtres de Lengabo mentionnés plus haut, la MONUC a également contribué à l’arrestation de douzaines de suspects. A l’invitation du gouvernement de la RDC, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a commencé à enquêter sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, un effort qui pourrait au final conduire à la traduction en justice de certains des auteurs des crimes les plus graves. Cependant, aucun progrès n’a été accompli pour trouver des mécanismes permettant de rendre la justice pour les crimes très nombreux commis avant juillet 2002, date à laquelle la CPI est entrée en fonction. Plusieurs groupes de femmes cherchent des moyens pour encourager la traduction en justice des actes de violence sexuelle commis de façon très répandue en RDC.  
 
Acteurs internationaux clefs  
En octobre 2004, le Conseil de sécurité a augmenté les effectifs de la MONUC qui compte maintenant 16 700 hommes et a renforcé son mandat dans le cadre du chapitre VII sur la protection des civils. Si cette augmentation est loin de permettre d’atteindre les 23 900 soldats requis par le Secrétaire général des Nations unies, elle permettra à la MONUC de mieux traiter les menaces récurrentes qui pèsent contre les civils. Des allégations font état de violences sexuelles et d’exploitation de femmes et de filles par les forces de la MONUC. Si les Nations unies ont annoncé une politique de tolérance zéro pour les actes d’exploitation sexuelle commis par des membres des forces de maintien de la paix, aucun soldat des forces de maintien de la paix n’a, à ce jour, été inculpé. Une investigation interne à la MONUC a été lancée afin d’examiner ces allégations.  
 
Bien que le Rwanda ait en théorie retiré ses forces militaires de la RDC en 2002, des sources onusiennes ont fait état de la présence de troupes rwandaises en RDC en 2004. De plus, des experts de l’ONU ont conclu que le Rwanda soutenait la révolte de Bukavu contre le gouvernement de transition. Dans le même temps, le président ougandais, Museveni tentait d’exercer des pressions sur le procureur de la CPI afin qu’il renonce à enquêter sur les crimes commis par les responsables des groupes armés soutenus par l’Ouganda.  
 
Le Royaume uni, l’Afrique du Sud, la Belgique et l’Union européenne sont intervenus à des moments critiques en 2004 afin d’empêcher l’effondrement du processus de transition. Le Royaume uni a également dissuadé à deux reprises le Rwanda d’augmenter son ingérence en RDC en suspendant ou menaçant de suspendre son aide. Dans un cas au moins, l’Afrique du Sud a également exercé des pressions qui se sont avérées efficaces sur le Rwanda afin qu’il ne crée pas d’obstacles à la transition.