Canada

Lai Changxing (Mise à jour)7

Le gouvernement canadien s’évertue à obtenir des assurances contre la torture auprès du gouvernement chinois afin d’extrader Lai Changxing, recherché pour corruption et contrebande en Chine, ainsi que sa famille. Cette affaire illustre le danger que constitue le recours aux assurances diplomatiques dans des cas de terrorisme ou de sécurité nationale pour une gamme plus large de personnes soumises au renvoi forcé.

Lai, son épouse Tsang Ming Na et leurs trois enfants ont été exclus du statut de réfugié au Canada en juin 2002, au motif qu’il existait des raisons de croire que Lai avait commis de graves délits non politiques, à savoir de la corruption et de la contrebande, à Hong Kong et en Chine avant son arrivée au Canada en 1999. Dans son arrêt, le tribunal a fait abstraction d’éléments de preuve importants indiquant que la torture était généralisée dans le système pénal chinois et que les personnes interrogées en Chine à propos des activités de la famille Lai avaient été brutalisées et forcées de fournir de fausses informations. La commission qui a pris la décision d’exclure la famille Lai du statut définitif de réfugié s’est basée en partie sur l’assurance donnée par les autorités chinoises que, s’ils étaient extradés, ils ne risqueraient ni la peine de mort, ni la torture.8

L’une des préoccupations majeures dans l’affaire Lai était de savoir si les assurances contre la torture devaient être évaluées séparément et différemment de celles relatives à la peine de mort. La Cour suprême du Canada avait déjà répondu à cette question dans le cadre de l’affaire Suresh c. Canada, constatant que les assurances contre la peine capitale portent sur les procédures légales de poursuites judiciaires, la condamnation et la peine. Celles-ci sont donc plus faciles à contrôler que les assurances contre la torture, acte qui est illégal et souvent infligé avec la complicité du gouvernement ou en conséquence de l’incapacité de ce dernier à contenir les forces qui commettent ces exactions.9 En février 2004, un tribunal fédéral canadien a rejeté la demande présentée par la famille pour bénéficier d’un examen judiciaire visant à statuer sur leur statut de réfugié. Concluant qu’aucun élément probant n’indiquait que des actes de torture ou des traitements dégradants avaient été perpétrés lors de cas de renvois similaires aux leurs, le tribunal a estimé qu’un examen séparé des assurances contre la torture ne se justifiait pas. La Cour d’appel a confirmé la décision du tribunal d’instance inférieure dans un arrêt prononcé en avril 2005, ouvrant la voie au transfert de la famille Lai vers la Chine.

En novembre 2005, Lai Changxing a introduit une requête auprès du Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration pour un examen des risques avant renvoi (ERAR). La demande a été rejetée par l’agente de l’ERAR, au motif que Lai n’était pas « une personne à protéger et qu’il n’était pas probable qu’il soit exposé à une menace à sa vie, au risque d’être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Chine ». Lai a fait appel de cette décision devant un tribunal fédéral. Dans l’attente de l’examen de ladite décision, il a toutefois demandé et obtenu une ordonnance du tribunal fédéral en date du 1er juin 2006, statuant l’exécution d’une mesure de renvoi exécutoire. A savoir si Lai avait identifié un problème sérieux en lien avec l’évaluation des risques faite par le Ministre qui donna lieu à une présomption de « préjudice irréparable » si Lai venait à être expulsé, (« préjudice irréparable » signifiant menace sérieuse à la vie ou la sécurité), la Cour a estimé que des éléments de preuve crédibles indiquaient que ce risque de préjudice existait:

La question des assurances est au cœur du débat. Outre les assurances, le dossier renferme des éléments de preuve crédibles démontrant qu’il existe une menace sérieuse à la vie ou à la sécurité. S’il était renvoyé maintenant, M. Lai serait exposé au risque qu’il allègue et qui, selon lui, n’a pas été correctement évalué par l’agente de l’ERAR. J’estime que la preuve d’un préjudice irréparable a été faite.10

L’examen en appel de la décision de l’ERAR dans l’affaire Lai doit débuter en janvier 2007.

Affaires liées aux certificats de sécurité (Mise à jour)11

Le gouvernement canadien détient actuellement dans ses prisons trois Arabes—Hassan Almrei (ressortissant syrien), Mohammad Zeki Mahjoub (ressortissant égyptien), et Mahmoud Jaballah (également égyptien)—sans inculpation ni procès, en vertu de « certificats de sécurité » basés sur des preuves tenues secrètes. Le régime des certificats de sécurité permet au gouvernement d’emprisonner, pendant une période indéterminée et sans inculpation ni procès, toute personne certifiée représenter une menace présumée à la sécurité du Canada; de présenter, au cours d’audiences à huis clos, des preuves secrètes auxquelles les détenus et leurs avocats n’ont pas accès; et d’expulser la personne certifiée dangereuse.12

Deux autres hommes risquant l’expulsion en vertu de certificats de sécurité ont été libérés sous caution après avoir été incarcérés pendant plusieurs années. Mohamed Harkat, citoyen algérien emprisonné depuis décembre 2002, a obtenu une mise en liberté sous caution le 23 mai 2006. Adil Charkaoui, ressortissant marocain appréhendé en mai 2003, a été libéré sous caution le 17 février 2005. Ces cinq hommes sont parfois appelés collectivement les « cinq en procès secret ».

Avant l’expulsion, les autorités canadiennes de l’immigration procèdent normalement à un examen des risques visant à déterminer la probablilité qu’une personne soit exposée à la torture lors de son renvoi.13 Néanmoins, si un certificat de sécurité est estimé « raisonnable » par un juge, la probabilité de voir aboutir une demande de protection contre l’expulsion en invoquant ce risque diminue considérablement. Dans l’affaire Suresh c. Canada remontant à 2002, la Cour suprême du Canada a reconnu que le droit international interdit catégoriquement tout renvoi vers des pays où il existe des motifs sérieux de croire que la personne sera torturée. Mais s’écartant incroyablement des normes internationales bien établies, elle a également stipulé que « nous n’excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée ».14 Ce qui est aujourd’hui appelé « l’exception Suresh » permettrait dès lors le transfert d’une personne dans un endroit où elle risque d’être torturée, ce qui constitue clairement une violation des obligations incombant au Canada aux termes du droit international. A ce jour, le Canada n’a pas encore invoqué l’exception Suresh pour expulser une personne dont le risque d’être torturée est reconnu.

Le gouvernement canadien a cherché à obtenir des assurances diplomatiques contre la torture et les mauvais traitements auprès du gouvernement marocain dans l’affaire Charkaoui, du gouvernement égyptien dans l’affaire Mahjoud, et du gouvernement algérien dans l’affaire Harkat. Ottawa reconnaît que ces assurances ne sont pas dignes de foi,15 mais il fait valoir que ces hommes peuvent en tout cas être expulsés dans le cadre de l’exception Suresh. Il prétend par ailleurs que l’exception Suresh peut également s’appliquer à Jaballah et Almrei.

En janvier 2006, la Cour suprême du Canada a autorisé trois de ces hommes—Adil Charkaoui, Hassan Almrei et Mohammad Harkat—à contester la constitutionnalité de la procédure légale qui permet l’arrestation de personnes au Canada en vertu de certificats de sécurité. L’appel a été entendu en juin 2006 et une décision relative à la constitutionnalité du régime des certificats de sécurité est attendue au début 2007.16 Aucun de ces hommes ne sera renvoyé du Canada avant que la Cour suprême ne statue sur cette question.

Mohammad Zeki Mahjoub: Examen des risques de torture (Mise à jour)17

Le Tribunal fédéral canadien a conclu le 14 décembre 2006 qu’une décision prise en janvier 2006 par le Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration (représenté aux procédures par la « déléguée du ministre » qui prend la décision en son nom) d’expulser Mohammad Zeki Mahjoub était «manifestement déraisonnable ». Par cette décision la Cour critique fortement la méthodologie employée par le gouvernement canadien dans les cas de certificats de sécurité afin de justifier les renvois avec risque de torture et l’utilisation des assurances diplomatiques.18

Mahjoub, en détention depuis juin 2000 en vertu d’un certificat de sécurité, est un réfugié reconnu au Canada. Il serait membre de l’Avant-garde de la conquête, une faction d’al-Jihad al-Islamiya, un groupe islamiste armé égyptien.

Le jugement de décembre 2006 a conclu que la déléguée du ministre « a constamment ignoré des éléments de preuve critiques, n’a pas tenu compte de facteurs importants et s’est fondée arbitrairement sur des éléments de preuve triés sur le volet. Cette approche lacunaire peut être considérée ni plus ni moins comme étant manifestement déraisonnable sur la question du risque « sérieux de torture ».19 La Cour a accepté l’argument avancé par Mahjoub selon lequel « en concluant qu’il n’y avait pas de torture institutionnalisée en Egypte », le gouvernement s’était basé sur des informations « qui allaient à l’encontre de la majorité des éléments de preuve … Ceci suppose un rejet arbitraire d’éléments de preuve importants et crédibles sur la question ».20 Constatant le nombre et la diversité des informations légitimes et détaillées sur la pratique de la torture en Egypte et l’absence de poursuites à l’encontre des auteurs de ces actes, informations émanant de sources que le gouvernement estime dignes de foi dans d’autres contextes, le jugement a relevé ce qui suit:

Le rejet total, par la déléguée, des informations émanant d’associations qui sont réputées au niveau international pour leur crédibilité, telles qu’AI et HRW [Amnesty International et Human Rights Watch], laisse perplexe, vu surtout la confiance institutionnelle des cours et tribunaux canadiens envers ces mêmes sources. En effet, le Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration se base fréquemment sur des informations provenant de ces organisations pour élaborer les rapports sur la situation dans certains pays, lesquels sont à leur tour utilisés par les tribunaux de l’immigration et du statut des réfugiés, en reconnaissance de la crédibilité dont ces organisations jouissent généralement.21

Le jugement reproche au gouvernement d’avoir invoqué une seule source, une décision prise initialement en 2002 par un tribunal autrichien dans l’affaire Bilasi-Ashri (voir ci-dessus), afin de prouver que la pratique de la torture n’était pas institutionnalisée en Egypte. Bien que la déléguée ait reconnu que l’extradition de Bilasi-Ashri n’avait pas eu lieu en 2002 car à l’époque, le gouvernement égyptien avait refusé les conditions fixées par le tribunal autrichien, la déléguée « a ignoré le fait que ce refus reflétait l’attitude générale de l’Egypte envers les droits humains. Qu’elle se soit fondée sur cette seule source de preuve pour conclure que la torture n’est pas courante en Egypte n’est pas défendable, alors que la plupart des éléments amènent à la conclusion contraire ».22

En ce qui concerne les assurances diplomatiques fournies par le gouvernement égyptien, selon lesquelles Mahjoub ne serait pas torturé ou ne subirait pas d’autres mauvais traitements à son retour, la Cour a donné raison à Mahjoub sur le fait que la déléguée « n’avait pas tenu compte de la plupart des preuves provenant d’une multitude de sources mentionnant le non respect des assurances par l’Egypte. »23

La critique la plus pointue de la Cour portait sur le fait que la déléguée s’était basée sur les conclusions du gouvernement suédois dans l’affaire Agiza (voir mise à jour ci-dessous) pour prouver que l’Egypte avait respecté ses assurances dans cette affaire. La cour a exprimé son étonnement devant le fait que la déléguée du gouvernement n’avait pas pris note des déclarations du Comité des Nations Unies contre la torture (CCT) comme quoi les assurances n’avaient en fait pas été respectées—Agiza avait été torturé et maltraité à son retour et avait fait l’objet d’un procès manifestement inéquitable qui avait débouché sur une peine de 15 ans d’emprisonnement. Ceci constituait une violation, par le gouvernement suédois, de l’article 3 de la Convention contre la torture: « J’estime que privilégier les conclusions partiales de l’une des parties par rapport aux conclusions finales du CCT est vicieux de la part [de la déléguée]».24

L’évaluation des risques encourus par Mahjoub a été renvoyée devant le Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration pour un réexamen, avec un avertissement sur le fait que le prochain rapport devait se conformer au raisonnement de la cour .25   



7 Human Rights Watch, Still at Risk, pp. 55-57.

8 Ibid., p. 55.

9 Cour suprême du Canada, Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 S.C.R. 3, 2002 SCC 1, (dossier no. 27790), 11 janvier 2002, http://csc.lexum.umontreal.ca/fr/2002/2002csc1/2002csc1.html, 2007), para. 124.

10 Cour fédérale du Canada, Lai Changxing c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 FC 672, 1er juin 2006, http://decisions.fct-cf.gc.ca/fr/2006/2006cf672/2006cf672.html (consulté le 1er janvier 2007),  para. 27.

11 Human Rights Watch, Still at Risk, pp. 47-55.

12 Loi de 2001 sur l’immigration  et la protection des réfugiés (IRPA), Section 9 (aliénas 76-87), http://laws.justice.gc.ca/fr/I-2.5/text.html (consulté le 1er janvier 2007). La loi ne prévoit pas expressément la détention, pour une période indéterminée, de ressortissants étrangers soupçonnés de constituer un danger pour la sécurité nationale du Canada. Elle autorise le gouvernement à recourir à la mise en détention en vue d’expulser un suspect. Un juge peut libérer un suspect si son expulsion ne peut être exécutée dans un délai raisonnable, pour autant que la personne ne constitue pas un danger pour la sécurité nationale. Si un juge conclut qu’une personne constitue un danger pour la sécurité nationale et que son expulsion ne peut être exécutée, la détention pour une période indéterminée est donc une possibilité en raison du vide juridique en la matière.

13 La norme utilisée au Canada est celle prévoyant d’établir s’il est « plus probable que le contraire » qu’une personne soit exposée au risque de torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. La norme internationale prescrite dans la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture) est d’établir s’il y a des motifs sérieux de croire que la personne risque d’être soumise à la torture. Les Etats-Unis utilisent également la norme du « plus probable que le contraire ».

14 Manickavasagam Suresh c .la Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et la procureure générale du Canada (Suresh c. Canada), 2002, SCC 1. Dossier No. 27790, 11 janvier 2002, http://csc.lexum.umontreal.ca/fr/2002/2002csc1/2002csc1.html (consulté le 1er janvier 2007), para. 78. Voir également Human Rights Watch, “Empty Promises,” pp. 18-19.

15 Voir, par exemple, Human Rights Watch, Still at Risk, p. 54 (La déléguée du ministre admet que Mahjoub a présenté des éléments de preuve crédibles qui posent la question de savoir à quel point l’Egypte honorera ses assurances).

16 Human Rights Watch et la Clinique internationale de défense des droits humains de la faculté de droit de l’Université de Toronto ont obtenu l’autorisation d’intervenir lors de l’appel devant la Cour suprême. Cour suprême du Canada, Charkaoui et al. c. le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, dossier no. 30762, 25 mai 2006, en possession de Human Rights Watch.

17 Human Rights Watch, Still at Risk, pp. 52-55.

18 Mohammad Zeki Mahjoub c. le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM-98-06, 2006 FC 1503, 14 décembre 2006, http://cas-ncr-nter03.cas-satj.gc.ca/fct-cf/docs/IMM-98-06.pdf (consulté le 1er janvier 2007),  p. 41, para. 109. Mahjoub avait déjà contesté un examen des risques effectué en 2004 par la déléguée du ministre, et en janvier 2005, un tribunal fédéral avait conclu que cet examen était « manifestement déraisonnable car la déléguée du ministre qui avait pris cette décision n’avait pas eu accès à des informations confidentielles se trouvant dans le dossier du gouvernement. Le tribunal a conclu qu’un examen indépendant et acceptable des risques que Mahjoub présente pour la sécurité du Canada nécessitait l’examen d’une partie au moins de ces informations. L’examen des risques de janvier 2006 a été présenté en réponse à cette décision.

19 Ibid., p. 37, para. 97. [Traduction non officielle]

20 Ibid., p. 28, para. 68.

21 Ibid., p. 30, paras. 73-74. [Traduction non officielle]

22 Ibid., p. 32, para. 80. [Traduction non officielle]

23 Ibid., p. 35, para. 88. Ces sources comprenaient des rapports de Human Rights Watch sur les assurances; une déclaration sous serment d’Amnesty International; ainsi que la déclaration d’un expert, un professeur américano-égyptien, affirmant que l’Egypte manque fréquemment à ses promesses lorsqu’il s’agit des droits humains des détenus et qu’il « ne fait aucun doute que s’il est renvoyé en Egypte, il est extrêmement probable que M. Mahjoub sera torturé et maltraité ». Ibid., p. 36, para. 92. [Traduction non officielle]

24 Ibid., p. 37, para. 94. [Traduction non officielle]

25 Ibid., p. 41, para. 109.