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Bahreïn

Événements de 2012

La Commission d’enquête indépendante de Bahreïn (Bahrain Independent Commission of Inquiry, ou BICI), que le Roi Hamad bin Isa al-Khalifa a mise en place pour enquêter sur la réponse donnée par le gouvernement aux manifestations en faveur de la démocratie organisées en février et mars 2011, a publié les résultats de ses travaux fin novembre 2011. La BICI a conclu que les forces de sécurité avaient fait un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques et les avaient arrêtés arbitrairement, torturés, maltraités et privés de procès équitables.

La BICI a formulé des recommandations visant à réparer ces violations et pour la première fois, les autorités ont ouvert une enquête sur certains responsables subalternes des forces de sécurité en lien avec les accusations de torture. Néanmoins, le gouvernement s’est mis en défaut de mettre pleinement en œuvre les principales recommandations de la commission, notamment la libération des dirigeants du mouvement de protestation reconnus coupables d’avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et de rassemblement pacifique, ainsi que l’ouverture d’une enquête sur les hauts fonctionnaires responsables de violences.   

Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force en 2012 pour disperser des manifestations antigouvernementales. Les autorités ont emprisonné des défenseurs des droits humains et d’autres personnes pour avoir participé à des manifestations pacifiques et avoir critiqué des responsables.

En novembre 2011, le Ministère du Développement social a annulé les résultats des élections de l’Ordre des avocats de Bahreïn (OAB) et rétabli l’ancien conseil et l’ancien président. En juillet 2012, une décision judiciaire demandée par le Ministère de la Justice a dissous l’Association d’action islamique (Amal), un groupe d’opposition.

Liberté de réunion

Après la levée de l’état d’urgence le 1erjuin 2011, les autorités ont permis aux associations politiques de l’opposition de tenir plusieurs rassemblements, qui se sont déroulés dans le calme, mais des affrontements réguliers avec les forces de sécurité ont éclaté lorsque les protestataires ont organisé des manifestations dans des villages chiites.

En 2012, les autorités ont de plus en plus fréquemment rejeté les demandes des groupes d’opposition et la police anti-émeute a souvent recouru à la force pour disperser des mouvements de protestation pacifiques. Le 22 juin, la police anti-émeute a fait usage de gaz lacrymogène et lancé des grenades assourdissantes à bout portant pour disperser une manifestation pacifique à Manama, la capitale. Une cartouche de gaz lacrymogène a grièvement blessé un manifestant à la tête. Lors de manifestations au cours desquelles des protestataires ont lancé des pierres et des cocktails Molotov, la police a souvent attaqué la foule en utilisant sans discernement du gaz lacrymogène, des grenades assourdissantes et des fusils à plomb.

Bien que les mauvais traitements en détention semblent avoir diminué au cours de l’année 2012, la police a régulièrement passé à tabac des manifestants, dans certains cas très brutalement, au moment de leur arrestation et lors de leur transfert vers des postes de police.

Selon des groupes de l’opposition, entre le 1ernovembre 2011 et le 1ernovembre 1012, au moins 26 manifestants et spectateurs ont perdu la vie par suite de blessures liées aux mouvements de protestation. Bon nombre de décès ont été attribués à l’usage excessif de gaz lacrymogène. Le gouvernement a affirmé que les manifestants antigouvernementaux avaient blessé 1 500 policiers en 2012.

Poursuites à l’encontre des détracteurs du gouvernement

Human Rights Watch a recueilli des informations relatives à des violations graves et systématiques des droits de la défense lors de procès de dirigeants et de militants de l’opposition devant des tribunaux militaires spéciaux à Bahreïn en 2011. Parmi ces violations figuraient notamment la privation du droit aux services d’un avocat et l’absence d’enquête crédible sur les accusations de torture et de mauvais traitements lors des interrogatoires.

La BICI a abouti à une conclusion analogue, déclarant que les tribunaux militaires avaient reconnus coupables quelque 300 personnes au seul motif qu’elles avaient exercé leur droit à la liberté d’expression et de réunion.

En dépit de la promesse des autorités de réexaminer les peines infligées par les tribunaux militaires dans les affaires de délits d’expression et d’annuler les condamnations prononcées à l’issue de procès profondément injustes, les dirigeants des manifestations et beaucoup d’autres étaient toujours en prison au moment où ont été écrites ces lignes.

Le 2 août 2012, les autorités ont arrêté la militante des droits humains Zainab al-Khawaja pour avoir prétendument déchiré une photo du roi et pour avoir participé à des manifestations illégales. Le 25 septembre, un tribunal l’a condamnée à deux mois de prison pour destruction de biens de l’État. 

Le 16 août, Nabeel Rajab, président du Centre bahreïni des droits humains (Bahrain Center for Human Rights), a été condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir appelé et participé à des manifestations pacifiques sans autorisation entre janvier et mars 2012. Rajab s’était déjà vu infliger auparavant une peine de trois mois pour des tweets qui réclamaient la démission du premier ministre. Le 23 août, une cour d’appel a annulé la condamnation liée aux messages sur Twitter, mais au moment de la rédaction du présent rapport, Rajab était toujours incarcéré dans l’attente de la décision en appel concernant les condamnations pour rassemblements illégaux. Le verdict du tribunal ne mentionnait aucunement que Rajab avait appelé ou participé à des actes de violence.

Le 4 septembre 2012, une cour d’appel civile a confirmé les condamnations et longues peines prononcées par un tribunal militaire à l’encontre de 20 dirigeants des mouvements de protestation.

Le 6 novembre 2012, le Ministère de l’Intérieur a privé de leur nationalité 31 personnes, dont des militants politiques de l’opposition, des avocats et des militants des droits humains, les accusant de « porter atteinte à la sécurité de l’État ». À la suite de cette ordonnance, la plupart des personnes affectées sont devenues apatrides.

Liberté d’association

Le 12 août, le gouvernement a approuvé un projet de loi relatif aux organisations non gouvernementales. Des associations locales se sont plaintes du fait que les autorités ne les avaient pas consultées et qu’elles n’avaient été mises au courant de l’adoption de la loi que lorsque la nouvelle avait été rapportée dans les médias.

Le 30 novembre 2011, quelques jours après que l’Ordre des avocats de Bahreïn eut élu les nouveaux membres du conseil, la ministre du Développement social, Fatima al-Balooshi, a annulé les résultats des élections, déclarant que l’ordre n’avait « pas respecté les procédures légales ». Al-Balooshi a rétabli dans leurs fonctions l’ancien conseil et l’ancien président pour gérer les affaires de l’ordre. Celui-ci a contesté l’ordonnance, affirmant qu’il avait informé le ministère à propos des élections deux semaines avant leur tenue, conformément à la loi. 

Le 3 juin 2012, le Ministère de la Justice a intenté une action accusant l’Association de l’action islamique (Amal), un groupement d’opposition, d’avoir violé les dispositions de la loi de 2006 relative aux associations politiques, entre autres en s’étant mise en défaut de « convoquer une assemblée générale pendant plus de quatre ans » et en « suivant les décisions émanant d’une autorité religieuse qui appelle ouvertement à la violence et incite à la haine ». Un tribunal administratif a ordonné la dissolution  du groupement le 9 juillet. Au moment où ont été écrites ces lignes, une cour d’appel examinait le jugement.

Lutte contre l’impunité

La BICI a relevé que les forces de sécurité de Bahreïn opéraient dans le cadre d’une « culture de l’impunité » et a conclu que les violences « ne pouvaient avoir été commises sans que les plus hauts échelons de la structure de commandement » des forces de sécurité « n’en aient eu connaissance ».

Les autorités ont affirmé qu’elles avaient ouvert une enquête sur 122 policiers pour présomption de tortures et d’exécutions illégales décrites par la BICI. Néanmoins, les quelques poursuites engagées ne visent principalement que des agents subalternes, dont la plupart ne sont pas Bahreïnis. Le 27 septembre, une juridiction pénale a condamné un lieutenant de police—le plus haut responsable connu des forces de sécurité à avoir été jugé coupable de violences—à sept ans de prison pour le meurtre d’Hani Abd al-Aziz Jumaa en mars 2011.

Aucune enquête ou poursuite n’a, à ce jour, été engagée à l’encontre de hauts responsables du Ministère de l’Intérieur ou de l’Agence de sécurité nationale. Aucun responsable des Forces de défense de Bahreïn ne semble avoir fait l’objet d’une enquête, alors que l’armée a joué un rôle prépondérant dans la campagne de répression de 2011.

Travailleurs migrants

Plus de 460 000 travailleurs migrants, principalement originaires d’Asie, travaillent à Bahreïn sous contrats temporaires dans le secteur du bâtiment, du travail domestique et autres services. Human Rights Watch a recueilli des informations sur les abus dont sont victimes les travailleurs migrants à Bahreïn, entre autres le non-paiement des salaires, la confiscation des passeports, des logements peu sûrs, des horaires de travail excessifs, des violences physiques et le travail forcé. En juillet, le Roi Hamad a signé une nouvelle loi sur le travail dans le secteur privé, qui prévoit une amélioration  des réglementations en matière de sécurité, des mesures visant à combattre la traite des êtres humains, et davantage de possibilités pour les migrants de quitter leur employeur. La loi octroie quelques protections aux travailleurs domestiques telles que des congés annuels, mais elle les exclut de la jouissance de la plupart des dispositions clés, notamment la limitation des heures de travail, des jours de congé hebdomadaires et la possibilité de quitter leur employeur. Les autorités font insuffisamment appliquer les lois existantes concernant la retenue des salaires, la perception de frais de recrutement et la confiscation des passeports.

La mise en vigueur d’une loi de 2009 a sérieusement réduit le transport des travailleurs dans des camions découverts, cause de nombreux morts et blessés dans le passé.

Droits des femmes

Bahreïn ne dispose pas d’une loi codifiée sur le statut personnel traitant des questions du mariage, du divorce, de la garde des enfants et de l’héritage pour les musulmans chiites, alors que c’est le cas pour les musulmans sunnites. Ces questions sont laissées à la discrétion du juge dans des tribunaux appliquant la charia. Le code pénal ne s’attaque pas suffisamment à la violence à l’égard des femmes. Il n’existe aucune disposition relative au harcèlement sexuel ou à la violence domestique. Le viol peut être puni d’une peine d’emprisonnement à perpétuité mais le viol conjugal n’est pas reconnu comme crime.

Principaux acteurs internationaux

Bahreïn accueille sur son territoire la Cinquième Flotte de la Marine américaine. En mai, les États-Unis ont repris les ventes de certains équipements militaires à Bahreïn, un « important allié non membre de l’OTAN », après avoir suspendu les ventes dans la foulée de la répression des manifestations pacifiques par le gouvernement. Les États-Unis ont continué de limiter la fourniture d’armes qui pouvaient être utilisées pour la répression dans le pays, entre autres les hélicoptères et les véhicules blindés. Après les attaques de février 2011 contre des manifestants, le Royaume-Uni et la France ont annoncé qu’ils allaient suspendre leurs ventes dans le domaine militaire et de la sécurité ainsi que leur assistance. En février 2012, plusieurs agences de presse ont signalé que le Royaume-Uni continuait de fournir des armes à Bahreïn.

Le 15 mars, le Parlement européen a adopté une résolution appelant Bahreïn à respecter la liberté d’expression et de réunion, et à libérer sans condition les manifestants pacifiques et les prisonniers politiques.  

En mai, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) a examiné le bilan de Bahreïn en matière des droits humains dans le cadre de la procédure d’Examen périodique universel (EPU). Bon nombre de pays se sont inquiétés de la crise des droits humains à Bahreïn, de l’impunité pour les exactions commises, et des restrictions relatives à l’accès au territoire pour les organisations internationales de défense des droits humains. En septembre, Bahreïn a accepté officiellement la plupart des recommandations formulées lors de l’EPU, notamment la traduction en justice des membres des forces de sécurité pour les violations des droits et la libération immédiate des prisonniers reconnus coupables d’avoir participé à des manifestations pacifiques. Toutefois, au moment de la rédaction du présent rapport, le gouvernement n’avait pas encore mis en œuvre ces recommandations clés.

Le 28 juin, certains pays, dont la France et l’Allemagne, ont condamné les violations persistantes à Bahreïn par le biais d’une déclaration conjointe lue par la Suisse lors d’un débat au CDH. La déclaration appelait Bahreïn à mettre pleinement en œuvre les recommandations de la BICI, entre autres en libérant les prisonniers politiques et en traduisant en justice les agents de l’État responsables de violations.