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La rébellion touareg, l’occupation islamiste dans le nord et les bouleversements politiques engendrés par le coup d’État militaire organisé en mars dernier ont conduit à une détérioration dramatique en matière de droits humains au Mali. L’insécurité a entraîné le déplacement de quelque 400 000 résidents du nord. La dégradation des conditions de sécurité, de la situation humanitaire et des droits humains dans tout le pays a suscité une attention considérable de la part de la communauté internationale.

Plusieurs groupes armés, qui ont commencé leurs opérations en janvier 2012 et ont renforcé en avril leur emprise sur les régions du nord de Kidal, Gao et Tombouctou, ont commis des abus souvent généralisés contre des civils. Ces exactions incluaient des abus sexuels, des pillages et des saccages, des exécutions sommaires, le recrutement d’enfants soldats ainsi que des amputations et d’autres traitements inhumains associés à l’application de la loi islamique. Les groupes islamistes ont détruit de nombreux sanctuaires musulmans et au moins un site culturel dogon. En janvier, les groupes rebelles auraient exécuté sommairement au moins 70 soldats maliens dans la ville d’Aguelhoc.

Des soldats maliens ont arbitrairement arrêté et, dans de nombreux cas, torturé et exécuté sommairement des collaborateurs rebelles présumés et des membres d’unités militaires rivales. Aucun effort significatif n’a été réalisé pour enquêter sur les membres des forces de sécurité impliqués dans ces incidents et encore moins pour les poursuivre en justice.

Les craintes de voir l’occupation du Nord par les groupes islamistes liés à Al-Qaïda déstabiliser l’Afrique de l’Ouest et menacer la sécurité internationale ont conduit à de considérables efforts diplomatiques pour résoudre la crise ainsi qu’à un plan soutenu par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine, les Nations Unies, l’Union européenne, la France et les États-Unis afin de chasser les groupes islamistes du Nord. Alors que la plupart de ces acteurs ont largement critiqué les abus perpétrés par les groupes dans le Nord, la possibilité d’abus commis par les forces de sécurité maliennes et les milices pro-gouvernementales ou les problèmes à l’origine de la crise, comme la corruption endémique et les tensions ethniques, n’ont pas été pris en compte de manière adéquate.

Instabilité politique et militaire

Le 22 mars 2012, des officiers militaires de grade inférieur conduits par le capitaine Amadou Sanogo ont lancé un coup d’État contre le président d’alors Amadou Toumani Touré en protestation contre ce qu’ils considéraient comme une réponse inadaptée du gouvernement à la rébellion du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) touareg, qui a débuté en janvier. Le MNLA et les groupes armés islamistes ont rapidement occupé le Nord en profitant du chaos créé par le coup d’État.

En avril dernier, suite aux pressions internationales, notamment de la part de la CEDEAO, Sanogo a accepté de céder le pouvoir à un gouvernement de transition chargé d’organiser des élections et d’assurer le retour du pays à un régime démocratique. Cependant, avec le soutien des forces de sécurité qui lui sont restées fidèles, il a continué à exercer une influence considérable, à s’immiscer dans les affaires politiques et à saper les efforts des autorités de transition et de la communauté internationale pour faire face à la crise politique et sécuritaire.

Les groupes occupant le nord incluaient leMNLA touareg séparatiste, une milice ethnique arabe locale, basée dans la ville de Tombouctou et ses environs, et trois groupes islamistes—Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)—qui cherchent à imposer une interprétation stricte de la loi islamique, ou charia, au Mali. Le MUJAO et AQMI sont essentiellement composés de combattants étrangers.

Abus perpétrés par les rebelles séparatistes touaregs et les milices arabes

La majorité des abus commis pendantet immédiatement après l’offensive du mois d’avril contre le nord ont été perpétrés par le MNLA et, à Tombouctou, par des miliciens arabes alliés du groupe séparatiste. Les abus incluaient l’enlèvement et le viol de femmes et de jeunes filles, le pillage d’hôpitaux, d’écoles, d’organismes d’aide, d’entrepôts, de banques et de bâtiments du gouvernement, ainsi que l’utilisation d’enfants soldats. Au moins 30 femmes et jeunes filles ont été violées ; la majorité des viols, y compris les nombreux viols collectifs, ont eu lieu dans la région de Gao.

Abus commis par les groupes islamistes

Après avoir repoussé en grande partie le MNLA hors du Nord en juin, les groupes islamistes—Ansar Dine, MUJAO et AQIM—ont commis des abus graves contre la population locale dans le cadre de l’application de leur interprétation de la charia. Les abus incluaient des passages à tabac, des flagellations et des arrestations arbitraires contre des personnes ayant un comportement décrété comme haraam(interdit), notamment la consommation ou la vente de cigarettes ou de boissons alcoolisées, l’écoute de musique sur des appareils audio portatifs et le non-respect des prières quotidiennes. Les islamistes ont aussi puni des femmes qui ne respectaient pas le code vestimentaire qu’ils ont imposé ou qui avaient des contacts avec des hommes qui n’étaient pas des membres de leur famille.

Dans les régions du Nord, les sanctions pour ces « infractions » ainsi que pour les actes supposés de vol et de banditisme ont été infligées par la police islamique, souvent après un « procès » sommaire devant un collège de juges choisis par les autorités islamistes. Beaucoup de châtiments ont été pratiqués sur les places publiques après que les autorités ont convoqué la population locale pour y assister. À Tombouctou, des militants islamistes ont détruit de nombreuses structures, notamment des mausolées, des cimetières, des masques rituels et des lieux saints, qui avaient une grande importance religieuse, historique et culturelle pour les Maliens. À plusieurs reprises, les islamistes ont intimidé et arrêté arbitrairement des journalistes locaux et, dans un cas, ont gravement passé à tabac un journaliste ; ils ont imposé la fermeture de nombreuses stations de radio maliennes locales.

Le 30 juillet, invoquant le motif de l’adultère, les autorités islamistes ont lapidé à mort un homme marié et une femme avec laquelle il n’était pas marié à Aguelhoc. Depuis avril, les groupes islamistes ont amputé des membres à au moins neuf hommes accusés de vol. Le 2 septembre, le MUJAO a revendiqué l’exécution du vice-consul algérien. Le groupe avait, quelque temps plus tôt, revendiqué la responsabilité de l’enlèvement le 5 avril de sept diplomates algériens de leur consulat à Gao ; trois des diplomates ont été libérés en juillet.

Recrutement d’enfants et travail des enfants

Les groupes rebelles basés dans le Nord et les milices pro-gouvernementales ont recruté et utilisé des enfants soldats. Le MNLA et les groupes islamistes ont recruté, entraîné et utilisé plusieurs centaines d’enfants, certains à peine âgés de 11 ans. Les enfants géraient les points de contrôle, effectuaient des patrouilles à pied, gardaient des prisonniers et recueillaient des renseignements. La milice pro-gouvernementale Ganda-Koi a recruté et entraîné de nombreux enfants, même si au moment de la rédaction de ce document, ils n’avaient pas encore été utilisés dans une opération militaire. Les groupes armés ont occupé et utilisé bon nombre d’écoles publiques et privées dans le Nord contrôlé par les rebelles comme dans le Sud contrôlé par le gouvernement.

L’exploitation des enfants dans l’agriculture, les services domestiques, les mines et d’autres secteurs reste fréquente et inclut souvent des travaux dangereux, pour lesquels la loi malienne interdit l’emploi d’enfants de moins de 18 ans. Des dizaines de milliers d’enfants continuent à travailler dans les mines d’or artisanales, faisant face à des risques de blessures et d’exposition au mercure. Un plan d’action gouvernemental sur le travail des enfants est resté dans l’ensemble inappliqué.

Abus perpétrés par les soldats de l’armée malienne

Les soldats du gouvernement malien ont détenu arbitrairement et, dans certains cas, exécuté des hommes qu’ils accusaient de collaborer avec les groupes rebelles du Nord. La majorité des victimes faisaient partie d’ethnies touaregs ou arabes ou étaient de nationalité mauritanienne. En avril, quatre membres touaregs des services de sécurité ont été arrêtés et, semble-t-il, exécutés par les militaires à Mopti.

Le 8 septembre, 16 prédicateurs islamiques en route pour une conférence religieuse à Bamako, la capitale, ont été arrêtés et exécutés quelques heures plus tard au camp militaire de Diabaly, à environ 430 kilomètres de Bamako, pour leurs liens présumés avec les groupes islamistes. Leur chauffeur, aperçu en détention chez les militaires quelques jours après les meurtres, a depuis disparu. Le gouvernement malien, sous la pression de la Mauritanie, d’où neuf des victimes étaient originaires, a présenté ses excuses pour l’incident et a promis l’ouverture d’une enquête, mais n’a effectué aucune arrestation. Le 21 octobre, toujours à Diabaly, des soldats ont exécuté au moins huit gardiens de troupeaux touaregs.

En mai, des membres des forces de sécurité fidèles au capitaine Sanogo ont fait disparaître de force au moins 21 soldats prétendument liés à un contre-coup d’État mené le 30 avril et ont commis des actes de torture et d’autres abus contre des dizaines d’autres soldats. Les soldats ont été menottés et ligotés pendant plusieurs jours, ont été battus avec des matraques, des bâtons et des crosses de fusil, ont reçu des coups de pied dans le dos, à la tête, dans les côtes, dans les parties génitales, ainsi que des coups de couteau aux extrémités et ont été brûlés avec des cigarettes et des briquets. Quatre hommes ont été forcés sous la menace d’une arme à pratiquer la sodomie entre eux. Les détenus ont aussi été soumis à des abus psychologiques, notamment des menaces de mort et des simulacres d’exécutions. Plusieurs journalistes critiques à l’égard du commandement du coup d’État ont été arrêtés, interrogés et intimidés. En juillet, des hommes masqués et armés ont enlevé deux journalistes, les ont violemment passés à tabac et les ont abandonnés à la périphérie de Bamako après les avoir avertis qu’ils devaient cesser de critiquer l’armée.

Obligation de rendre des comptes

En juillet, le gouvernement du Mali, en sa qualité d’État partie à la Cour pénale internationale (CPI), a déféré « la situation au Mali depuis janvier 2012 » au procureur de la CPI en vue de l’ouverture d’une enquête. Le bureau du procureur s’est rendu au Mali en août, en octobre et en novembre et déterminera à une date ultérieure s’il peut exercer sa compétence sur ladite situation. En attendant, aucun effort n’a été accompli par le gouvernement malien pour réaliser des enquêtes et amener les membres des forces de sécurité à répondre des abus graves dans lesquels ils sont impliqués. Malgré son implication directe dans des actes de torture et des disparitions forcées, Sanogo a été chargé en août de la réforme du secteur de la sécurité concernant l’armée malienne.

Principaux acteurs internationaux

Les partenaires internationaux du Mali se sont efforcés d’harmoniser les plans pour savoir comment faire face à la crise militaire et des droits humains dans le Nord. Un plan de la CEDEAO visant à envoyer quelque 3 300 soldats pour chasser les islamistes n’a pas réussi, au cours de l’année, à obtenir le soutien du Mali ou de la communauté internationale. Pendant ce temps, les efforts de la CEDEAO, de l’Algérie et du Mali pour négocier avec les groupes du Nord n’ont débouché sur aucune solution. Le 18 septembre, le gouvernement malien a formellement demandé un mandat en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour qu’une force militaire internationale l’aide à reprendre le contrôledu Nord.

La France a donné l’impulsion pour faire aboutir le plan et a proposé la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU n° 2071, adoptée le 12 octobre, qui a chargé le Secrétariat de l’ONU, la CEDEAO et l’UA de soumettre au Conseil des « recommandations détaillées et praticables » en vue de préparer le déploiement d’une force armée internationale au Mali. Le 13 novembre, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a approuvé un plan de la CEDEAO prévoyant une intervention militaire afin de récupérer les zones occupées dans le nord du Mali. Le Conseil de sécurité devra adopter une deuxième résolution pour autoriser formellement le déploiement d’une force.

L’UE, la France et les États-Unis ont proposé une assistance en matière de logistique et d’entraînement, mais les détails d’une intervention militaire, notamment pour savoir qui enverraient des soldats, restent flous. Le 19 novembre, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont accepté d’envoyer 250 instructeurs militaires au Mali afin de soutenir les efforts menés par l’Afrique pour reprendre le contrôle du Nord.

Le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) des Nations Unies a émis plusieurs déclarations dénonçant la situation des droits humains au Mali et, en juillet, a envoyé un spécialiste des droits de l’homme dans le pays après une demande du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU. En octobre, le sous-secrétaire général aux droits de l’homme des Nations Unies, Ivan Simonovic, s’est rendu au Mali et a rapporté des points préoccupants au Conseil de sécurité. En novembre, une équipe du HCDH a conduit une mission d’enquête sur le Mali ; elle présentera ses conclusions pendant la session de mars 2013 du CDH.