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Reprendre la main face aux « saboteurs » des droits humains

Rapport mondial 2009 - Introduction par Kenneth Roth

Le respect d'un gouvernement à l'égard des droits humains doit se mesurer non seulement à la façon dont il traite son propre peuple mais également à sa manière de protéger les droits dans le cadre de ses relations avec les autres pays. Alors que nous commémorons le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, la réaction des gouvernements face à la situation critique vécue par certaines populations à l'étranger est souvent apathique. Le fait est, malheureusement, que lorsqu'il s'agit de la protection internationale des droits humains, les gouvernements qui possèdent la vision et la stratégie les plus claires sont souvent ceux qui cherchent à saper leur mise en œuvre. Il est loin le temps où les regards se tournaient vers Washington, Bruxelles ou d'autres capitales occidentales dans l'espoir de les voir prendre l'initiative dans les discussions intergouvernementales sur les droits humains. Aujourd'hui, les pays qui exercent la diplomatie la plus dynamique dans le domaine des droits humains ont probablement pour capitale Alger, le Caire ou Islamabad, avec le soutien de Pékin et de Moscou. Le problème est qu'ils poussent dans la mauvaise direction.

Ces adversaires des droits humains défendent la prérogative qu'ont les gouvernements de faire à leur peuple ce que bon leur semble. Ils se replient derrière les principes de souveraineté, de non-ingérence et de solidarité entre pays du Sud, mais leur véritable objectif est de juguler les critiques visant leurs propres atteintes aux droits humains ou celles de leurs alliés et amis. Par leur action, ces « saboteurs » en sont venus à dominer les discussions intergouvernementales sur les droits humains. Ainsi, ils ont mis fin à l'examen par les Nations unies de la sévère répression exercée en Ouzbékistan, en Iran et en République démocratique du Congo. Ils ont vigoureusement fait obstacle aux critiques visant l'armée birmane et aux éventuelles poursuites judiciaires contre le Président soudanais Omar el-Béchir. Et ils ont profondément compromis le nouveau Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

La raison de leur succès tient moins à la nature attrayante de leur vision qu'à l'engagement souvent frileux et incohérent des gouvernements qui s'érigeaient traditionnellement en défenseurs des droits humains. Non pas que les peuples du monde soient soudain épris de dictature et de répression. Leur aspiration à des droits élémentaires demeure inchangée, que ce soit dans les camps de déplacés du Darfour, dans les zones tribales du Pakistan ou dans les prisons d'Égypte. L'ironie veut plutôt que la vigueur de la campagne contre les droits humains témoigne de la puissance de l'idéal des droits humains. Les saboteurs ne s'inquiéteraient guère si le qualificatif de violateur des droits humains ne les stigmatisait à ce point.

Les fluctuations au niveau du pouvoir mondial ont enhardi les gouvernements saboteurs à contester les droits humains en tant que préceptes « occidentaux » ou « impérialistes » imposés. La force de l'exemple autoritariste chinois et la puissance d'une Russie alimentée par le pétrole ont facilité le rejet des principes des droits humains. L'autorité morale dont jouit un pays comme l'Afrique du Sud en vertu de son sombre passé fait que lorsqu'il remet en cause l'agenda international en matière de droits humains, il a une réelle influence.

Il n'en demeure pas moins que les gouvernements soucieux des droits humains à travers le monde disposent encore de suffisamment de poids pour mettre en place une vaste coalition visant à combattre la répression-s'ils ont la volonté de l'exploiter. Or, ces gouvernements ont en grande partie abandonné la partie. Succombant à des intérêts contradictoires et à des problèmes de crédibilité dont ils sont seuls responsables, ils se sont laissé surclasser et mettre sur la touche dans les instances de l'ONU telles que le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l'homme, ainsi que dans les débats de politique générale où prend forme la diplomatie multilatérale à l'égard de la Birmanie, du Darfour, du Sri Lanka, du Zimbabwe et autres endroits à problèmes.

Dans le cas des États-Unis, ce repli est la conséquence logique de la décision de l'administration Bush de combattre le terrorisme sans se soucier du droit fondamental à ne pas être soumis à la torture, à la « disparition » ou à la détention sans procès. Avec cette attitude pour toile de fond, les efforts déployés périodiquement par Washington pour discuter des droits humains ont été battus en brèche par des accusations légitimes d'hypocrisie. Corriger ce terrible bilan doit être l'une des priorités absolues de la nouvelle administration de Barack Obama si le gouvernement américain veut assumer un rôle crédible de leader dans le domaine des droits humains.

L'abdication fréquente de Washington a souvent forcé l'Union européenne à agir seule. Parfois, elle l'a fait admirablement, par exemple dans la foulée du conflit russo-géorgien, lorsque son déploiement d'observateurs a atténué les tensions et contribué à protéger les civils, ou dans l'est du Tchad, où elle a envoyé 3 300 soldats dans le cadre d'une mission de protection civile de l'ONU. Mais l'UE n'a pas réussi à projeter son influence plus largement, dans des pays tels que la Birmanie, la Somalie ou la République démocratique du Congo. Dans de nombreux cas, elle a cherché à éviter les retombées politiques de son immobilisme en se réfugiant derrière son processus astreignant de prise de décision qui favorise l'inaction. Par ailleurs, sa réticence fréquente à tenir tête à l'administration Bush pour protester contre des politiques antiterroristes propices aux exactions a exposé l'EU à des accusations de politique de « deux poids, deux mesures », lesquelles ont empoisonné le débat mondial sur les droits humains et permis aux États saboteurs  de s'imposer plus facilement.

Les États-Unis et l'UE ne sont pas les seuls à promouvoir les droits humains à l'étranger. De plus en plus souvent, il est possible de se tourner vers certains gouvernements en Amérique latine, en Afrique et en Asie pour trouver un soutien en faveur des initiatives internationales portant sur les droits humains. Ceux qui se détachent du lot sont notamment l'Argentine, le Chili, le Costa Rica, le Mexique et l'Uruguay en Amérique latine, ainsi que le Botswana, le Ghana, le Libéria et la Zambie en Afrique. En Asie, le Japon et la Corée du Sud tendent à se montrer sensibles aux droits humains mais manifestent généralement une certaine réticence à adopter des positions publiques affirmées.

Cependant, forcées d'agir sans le soutien ferme et constant des principales démocraties occidentales, ces voix importantes sont rarement en mesure d'entreprendre seules un effort diplomatique international de grande envergure pour s'attaquer aux violations graves des droits humains. Même les puissances moyennes les mieux intentionnées ne peuvent apporter une solution aux situations les plus répressives du monde sans le partenariat des superpuissances occidentales qui dominent encore les Nations unies, disposent d'un corps diplomatique important et actif et sont à même de déployer des ressources militaires et économiques considérables.

Donc par défaut,  ceux qui établissent souvent l'ordre du jour relatif aux droits humains dans les forums internationaux sont des adversaires de l'application de ces droits-les gouvernements de nations telles que l'Algérie, la Chine, l'Égypte, l'Inde, le Pakistan et la Russie. Ils veulent retourner à une époque où la défense des droits humains était laissée à la discrétion de chaque gouvernement et où le prix à payer au niveau international pour des violations était insignifiant.

Résister à cette aspiration requerra une détermination qui a trop souvent fait défaut. Primo, les gouvernements qui espèrent défendre les droits humains en dehors de leurs frontières doivent s'engager à les respecter eux-mêmes dans leurs faits et gestes, car c'est par l'exemple que la cause des droits humains sera défendue avec le plus d'efficacité. Comme il est expliqué ci-après plus en détail, dans le domaine du contre-terrorisme, cela suppose la fin définitive d'exactions telles que l'usage de la torture et autres techniques d'interrogatoire sous la contrainte, la « disparition » de suspects dans des établissements de détention secrets et la détention prolongée de suspects sans procès. Cela suppose également une volonté d'exprimer immédiatement sa réprobation si un gouvernement quelconque, même un proche allié, renoue avec ces pratiques. Cela implique par ailleurs une lutte contre les excès persistants tels que le racisme dans le système de justice pénale, les mauvais traitements à l'encontre des migrants ou l'usage de la peine de mort.

Secundo, dans le cas de toute violation grave des droits humains, les responsables doivent être amenés à répondre de leurs actes. Par exemple, ce n'est qu'en enquêtant, en reconnaissant et en désavouant les méfaits qui ont été commis, ainsi qu'en engageant des poursuites judiciaires pour les crimes graves et en adoptant des mesures correctives pour que de tels excès ne se reproduisent jamais que Washington commencera à se forger une crédibilité en tant que gouvernement qui met en pratique ce qu'il prêche sur le plan des droits humains.

Tercio, de sérieux efforts doivent être déployés pour mettre sur pied une vaste coalition mondiale pour défendre les droits humains. De leur côté, les États-Unis devraient chercher à réintégrer les institutions multilatérales telles que le Conseil des droits de l'homme de l'ONU et à ratifier des traités essentiels tels que ceux relatifs aux droits de la femme et de l'enfant, aux disparitions forcées, aux armes à sous-munitions et aux mines antipersonnel. Ils devraient adopter une politique d'adhésion à l'État de droit en signant à nouveau le traité de la Cour pénale internationale, en appuyant activement la cour et en lançant un processus en vue de sa ratification finale. Par ailleurs, ils devraient soutenir activement-sur le plan politique, financier et militaire-les efforts multilatéraux visant à protéger les civils contre les atrocités commises à grande échelle.

Tant l'Union européenne que les États-Unis devraient s'employer à être en prise directe avec les gouvernements des pays du Sud, en particulier ceux qui, dans la plupart des cas, respectent les droits humains chez eux mais continuent de s'opposer à la défense de ceux-ci dans leur politique étrangère. Il s'agit d'aborder des questions particulièrement importantes pour les gouvernements du Sud, telles que les droits économiques et sociaux, le racisme et les droits des migrants. Il faut également éviter de recourir à la politique des « deux poids, deux mesures » et rester ouverts au dialogue et aux compromis politiques opportuns.

Les gouvernements des pays du Sud doivent, pour leur part, revoir la position qui les pousse à se montrer solidaires des oppresseurs plutôt que de leurs victimes. Cette solidarité peu judicieuse est particulièrement décevante dans le cas de pays tels que l'Inde et l'Afrique du Sud, aujourd'hui des démocraties qui respectent  dans l'ensemble les droits de leurs peuples mais adoptent une politique étrangère qui donne à penser que les autres ne méritent pas de jouir des mêmes droits. La solidarité entre pays d'un même bloc ne devrait pas se substituer à l'adhésion aux valeurs plus fondamentales des droits humains.

Enfin, la nouvelle administration Obama doit abandonner la politique d'hyper-souveraineté de l'administration Bush. Les gouvernements chinois, russe et indien se plaisent à entendre Washington invoquer la souveraineté pour repousser les critiques relatives aux droits humains. Cette approche ramène effectivement à l'époque précédant la Déclaration universelle des droits de l'homme et les nombreux mécanismes juridiques et institutionnels auxquels elle a donné naissance. Il faut de toute urgence réévaluer en profondeur la politique américaine. Le Président Obama a promis ces changements, trop longtemps attendus. Il devra prouver qu'il peut résister aux pressions  lui enjoignant de maintenir le statu quo établi sous la direction de Bush.

 

Une solidarité sans cœur

Aujourd'hui, 60 ans après la Déclaration universelle des droits de l'homme, il n'est tout simplement pas défendable de nier les mérites de l'idéal des droits humains. Dès lors, les saboteurs qui sont résolus à battre en brèche le régime international des droits humains décrivent rarement leurs intentions en ces termes. Ces gouvernements ont plutôt tendance à déclarer qu'ils soutiennent en principe les droits humains, s'opposant uniquement au fait que ces droits sont prétendument déformés, galvaudés et dénaturés par les nations plus puissantes. Ils calquent leur langage sur celui de l'anti-impérialisme, de l'anticolonialisme ou de la solidarité avec les opprimés mais en fait, les saboteurs ne sont pas les amis des persécutés. Ils font cause commune avec les dictateurs et les tyrans de la planète, pas avec les gens ordinaires confrontés à l'oppression. Ils invoquent la solidarité du Sud mais derrière cette noble rhétorique, la solidarité à laquelle ils pensent est celle qui les unit aux gouvernements répressifs, pas à leurs victimes dans le Sud.

Nombreuses sont les raisons pour lesquelles certains gouvernements choisissent de jouer un rôle négatif ou la carte de l'indifférence en ce qui concerne les droits humains. Certains sérieux transgresseurs, tels la Biélorussie, le Soudan et le Zimbabwe, repoussent tout examen de la situation des droits humains, quel que soit le pays concerné, afin d'éviter que les regards de la communauté internationale se tournent vers leurs propres exactions. Leur rôle dans les forums internationaux n'est pas prédominant mais ils s'y expriment et votent. Ils cherchent à prévenir toute contrainte extérieure portant sur la façon dont ils traitent leur peuple. Leur mot d'ordre est « souveraineté », non pas « droits ».

D'autres États jouent davantage un rôle de leaders en essayant de limiter la supervision des droits humains. Il s'agit des gouvernements de nations présentant un piètre bilan en matière de droits humains, telles que l'Algérie, la Chine, l'Égypte, le Pakistan et la Russie. Plusieurs démocraties du monde en développement font également partie de ces pays, notamment l'Inde et l'Afrique du Sud, qui sont dotées de solides garanties institutionnelles protégeant les droits même si elles commettent régulièrement certaines violations. Quelques-uns de ces gouvernements veulent également éviter tout examen de leurs pratiques nationales en matière de droits mais ils sont en outre motivés par le rejet de ce qu'ils considèrent être une vision impérialiste de la politique internationale et du développement qui porte l'empreinte des États-Unis. Par ailleurs, certains membres de l'Organisation de la Conférence islamique résistent à ce qu'ils perçoivent comme une guerre menée contre l'islam par les États-Unis et d'autres puissances occidentales.

Les gouvernements qui cherchent à profaner les droits humains avancent une litanie d'excuses pour justifier leurs actions. Ils invoquent la politique des deux poids, deux mesures adoptée par l'Occident lorsqu'il promeut les droits humains-réalité certes déplorable mais sans rapport avec la terrible situation des victimes. Il ne fait aucun doute que parfois, les gouvernements occidentaux commettent, soutiennent ou ferment les yeux sur des violations graves des droits humains et ils méritent d'être critiqués pour ces transgressions. Mais rares sont les personnes exposées à un massacre, à un viol ou à une détention arbitraire qui renonceraient à être secourues simplement parce que la souffrance de quelqu'un d'autre est ignorée. Et elles ne devraient pas y être forcées par l'idéologie de convenance des États saboteurs.

C'est tout aussi vrai lorsque les saboteurs évoquent l'héritage colonialiste de certaines nations désireuses de mettre un terme aux violations des droits humains. Certes, l'Occident a une histoire, souvent cruelle, d'exploitation coloniale. Mais rares sont les victimes actuelles d'une répression qui refuseraient de l'aide simplement parce que ceux susceptibles de leur tendre la main ont eu des ancêtres eux-mêmes répressifs. Les saboteurs ne devraient pas bloquer l'aide destinée à ces victimes.

La réponse du gouvernement sud-africain à la crise zimbabwéenne est une illustration affligeante de cette hostilité à l'égard de la protection internationale des droits humains. Le Congrès national africain avait mis sur pied une vaste coalition internationale dans le cadre de sa lutte contre l'apartheid. Chaque fois que les gouvernements occidentaux lui avaient fait faux bond, il avait trouvé des alliés pleins de bonne volonté dans le mouvement mondial en faveur des droits humains. Sous la présidence de Nelson Mandela, l'Afrique du Sud avait semblé embrasser la cause des droits humains, établissant une démocratie constitutionnelle modèle, avec de solides protections légales des droits individuels. Mais sous le Président Thabo Mbeki, plutôt que d'adhérer au mouvement mondial et d'exercer des pressions sur le gouvernement zimbabwéen, Pretoria a refusé d'élever la voix. L'Afrique du Sud a cherché à justifier cette approche plus souple en interprétant la lutte anti-apartheid comme étant principalement une lutte contre l'impérialisme et en présentant Robert Mugabe comme l'héritier légitime de ce combat. En conséquence, le gouvernement sud-africain est apparu comme soutenant un dirigeant répressif plutôt que ses victimes confrontées à la souffrance.

Faisant preuve d'une mémoire courte à propos de son propre combat, le gouvernement sud-africain a également tourné le dos au peuple birman. Ce sont les pressions internationales qui ont contribué à mettre fin au régime d'apartheid. Or aujourd'hui, Pretoria s'oppose à toute action du Conseil de sécurité de l'ONU en faveur du peuple birman car, paraît-il, une dure répression militaire ne relèverait pas du mandat du Conseil de sécurité. L'Afrique du Sud dit lui préférer des institutions onusiennes plus démocratiques, telles que l'Assemblée générale ou le Conseil des droits de l'homme, mais là non plus, elle ne s'est pas posée en vigoureux défenseur des droits du peuple birman.

Le nouveau gouvernement pakistanais doit, lui aussi, encore transformer son propre combat contre la dictature en soutien aux efforts similaires menés ailleurs dans le monde. Le gouvernement civil élu du Président Asif Ali Zardari a bénéficié directement des interventions de la communauté internationale des droits humains. Au cours des deux dernières années, les associations de défense des droits humains ont exercé d'énormes pressions sur le Général Pervez Moucharraf et son armée pour qu'ils remettent en liberté des juristes militant pour la démocratie, pour qu'ils réintègrent dans leurs fonctions des juges limogés et autorisent la tenue d'élections parlementaires libres et équitables. Maintenant que Moucharraf a démissionné sous la menace d'une procédure de destitution, certains signes donnent à penser que le gouvernement Zardari est en passe de revoir la position traditionnellement    hostile affichée par le Pakistan envers les initiatives internationales menées dans le domaine des droits humains. D'une part, il a signé la Convention contre la torture ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. D'autre part, son ambassadeur au Conseil des droits de l'homme a mis une sourdine aux attaques habituelles du Pakistan à l'encontre de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU et a accepté de bonne grâce les observations des organisations non gouvernementales sur le bilan du Pakistan en matière de droits humains. Mais les diplomates pakistanais à l'ONU essaient encore souvent d'imposer un agenda défavorable aux droits humains, comme si Moucharraf était encore au pouvoir. Ainsi, ils étaient parmi les premiers à tenter de limiter les observations formulées par les ONG sur le bilan en matière de droits humains des gouvernements faisant l'objet du nouvel « examen périodique universel » au Conseil des droits de l'homme.

Les États saboteurs ne devraient pas être assimilés à l'ensemble des pays du Sud . Aujourd'hui, de nombreux gouvernements du Sud se trouvent parmi les initiateurs des efforts visant à faire appliquer les droits humains. En Amérique latine, par exemple, les gouvernements argentin, chilien, costaricain et uruguayen ont régulièrement appuyé les initiatives relatives aux droits humains, de la Cour pénale internationale au Conseil des droits de l'homme. Le Mexique a joué un rôle important au Conseil des droits de l'homme (s'engageant activement dans l'analyse de la situation de tous les pays faisant l'objet de l'examen périodique universel), à l'Assemblée générale de l'ONU (défendant l'indépendance de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme ainsi que son programme) et en tant que futur membre du Conseil de sécurité de l'ONU (se déclarant convaincu que les principales questions relatives aux droits humains devraient être mises à l'ordre du jour). Malheureusement, le Mexique a mis du temps à s'attaquer à des problèmes graves et persistants de droits humains à l'intérieur de ses frontières. D'une part, il s'est montré hostile aux conditions posées sur le plan des droits humains pour bénéficier de l'aide américaine dans le cadre du plan de lutte contre le trafic de drogue, connu sous le nom d'Initiative de Mérida. D'autre part, il a exercé des pressions pour obtenir le départ du représentant de la Haut-Commissaire de l'ONU suite à ses commentaires critiques sur le bilan interne du Mexique en matière de droits humains. Au cours des dernières années, le Brésil a appuyé activement les mécanismes des droits humains de l'Organisation des États américains mais dans certaines circonstances, il s'est montré en phase avec le point de vue des saboteurs qui jouent la carte de la souveraineté lorsqu'il s'agit des droits humains, par exemple lors des négociations en vue d'un traité interdisant les armes à sous-munitions. Pendant ce temps, Cuba-qui, après la passation de pouvoir de Fidel Castro à son frère Raul, reste le seul pays des Amériques à vivre en vase clos-assume avec plus de modération son rôle de leader au sein des saboteurs, étant toutefois implicitement entendu que le Conseil des droits de l'homme ne remettra pas sur la table les résolutions critiques à l'égard de La Havane.

En Afrique, un certain nombre de gouvernements se sont rebiffés devant le leadership stérile de l'Algérie, de l'Égypte et de l'Afrique du Sud. Ainsi, le Botswana, le Liberia, le Nigeria, la Sierra Leone et la Zambie ont tenté de pousser l'Union africaine à tenir tête à Robert Mugabe au Zimbabwe. Le Nigeria est également bien représenté à Genève par son ambassadeur qui préside le Conseil des droits de l'homme et a démontré son engagement à le dépolariser. De nombreux gouvernements africains ont fourni des troupes aux efforts de maintien de la paix au Burundi, au Darfour, en Somalie et en République démocratique du Congo, où la tâche principale consiste à protéger les civils. Le Maroc a joué un rôle constructif lors des négociations en vue d'un nouveau traité sur les disparitions forcées. Même l'Afrique du Sud, après s'être mise en défaut d'appuyer une session spéciale du Conseil des droits de l'homme sur la Birmanie, a fini par s'élever contre la répression birmane une fois que la session a eu lieu. Mais ces exemples positifs sont souvent éclipsés par les efforts violemment destructeurs des saboteurs.

 

Résistance face à la justice internationale

Récemment, les saboteurs ont été poussés à l'action par la requête du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) aux fins d'un mandat d'arrêt contre le Président soudanais Omar el-Béchir, pour les chefs de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité perpétrés au Darfour. Le Soudan a cherché à convaincre le Conseil de sécurité de suspendre les poursuites. La bataille politique qui s'est ensuivie a opposé d'une part un gouvernement responsable de massacres, de viols et de déplacements, et d'autre part, les victimes et leur quête de justice. On aurait pu espérer que les gouvernements africains tendraient la main aux victimes. Mais au nom de la solidarité africaine, l'Afrique du Sud, en compagnie de l'Algérie, de l'Égypte et de la Libye, a soutenu une campagne visant à arrêter les poursuites engagées à l'encontre de l'auteur présumé de massacres-el-Béchir. Il est clair que ces gouvernements n'avaient pas à l'esprit la souffrance des Africains ordinaires. L'Union africaine, la Ligue arabe, le Mouvement des non-alignés et l'Organisation de la Conférence islamique se sont joints à la campagne, ce qui n'est certes pas à leur honneur.

Certains gouvernements africains se plaignent que la CPI se soit injustement focalisée sur l'Afrique. Bien que les quatre pays dans lesquels la CPI a engagé des poursuites soient effectivement africains, aucun n'a été sélectionné par la seule CPI. Trois gouvernements africains (l'Ouganda, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo) ont demandé à la cour d'ouvrir des enquêtes dans leurs pays, et le Conseil de sécurité a déféré le quatrième pays (le Soudan) à la cour pour ses atrocités commises au Darfour. Les détracteurs ignorent également l'effort plus important déployé en matière de justice internationale. Par exemple, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a poursuivi beaucoup plus de suspects que la CPI. Au cours de l'année écoulée, elle a placé en détention provisoire l'ex-dirigeant politique serbe de Bosnie, Radovan Karadzic, en vue de le juger pour génocide.

Ceux qui dénoncent avec le plus d'acharnement la justice internationale comptent dans leurs rangs des dirigeants qui craignent qu'eux-mêmes ou ceux qu'ils ont commandés doivent un jour répondre de leur conduite criminelle. Le Président rwandais Paul Kagame, par exemple, cherche à empêcher les poursuites indépendantes à l'encontre de soldats du Front patriotique rwandais (le FPR, groupe rebelle autrefois sous son commandement) pour crimes de guerre commis pendant et après le génocide rwandais, notamment le meurtre d'au moins 30 000 personnes. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a pour mandat de poursuivre ces crimes, mais plutôt que de le voir juger des soldats du FPR, le gouvernement rwandais s'est arrangé pour que le seul dossier restant qui faisait l'objet d'une enquête du TPIR soit renvoyé devant un tribunal rwandais où il pouvait plus facilement en déterminer, et en limiter, l'issue.

Lorsque les familles des victimes françaises et espagnoles tuées par des soldats du FPR ont cherché à obtenir justice devant leurs tribunaux nationaux, les juges chargés d'enquêter sur ces crimes ont délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de responsables rwandais qu'ils souhaitaient interroger. Le Rwanda a riposté en faisant jouer la fibre africaine, s'insurgeant contre cette soi-disant « violation manifeste de la souveraineté et de l'intégrité territoriale ». S'érigeant en chantre de l'anticolonialisme, le Rwanda a également dénoncé la juridiction universelle (le pouvoir dont dispose tout gouvernement de poursuivre les crimes les plus odieux, quel que soit l'endroit où ils ont été perpétrés), la présentant comme un affront envers l'Afrique. Mais cette affirmation ne tient pas compte du fait que le Rwanda lui-même, plus que tout autre pays, a bénéficié de la juridiction universelle pour faire répondre de leurs actes beaucoup de responsables du génocide. Elle oublie également la longue histoire de la juridiction universelle qui a été utilisée contre des criminels non africains, entre autres des acteurs des « sales guerres » menées en Amérique latine dans les années 1970 et 1980, dont l'ex-Président chilien Augusto Pinochet, ainsi que des personnes impliquées dans le génocide en Bosnie et dans des crimes de guerre en Afghanistan.

 

Au Conseil des droits de l'homme de l'ONU

Faisant preuve d'un sens de l'initiative beaucoup plus prononcé et d'une vision bien plus claire que les défenseurs traditionnels des droits humains, les saboteurs ont mené de nombreuses actions pour miner le nouveau Conseil des droits de l'homme, le principal organe gouvernemental des droits humains de l'ONU, en raison de son potentiel à leur réclamer des comptes, à eux ou à leurs alliés. Fait très significatif, et révélateur, ils s'opposent aux résolutions critiques visant certains pays-à moins que la résolution ne puisse être édulcorée à tel point que le pays en question donne son assentiment.

Les saboteurs à Genève ont, à diverses reprises, compté dans leurs rangs l'Algérie, la Chine, l'Égypte, l'Inde, le Pakistan, la Russie et l'Afrique du Sud. L'Algérie et l'Égypte ont joué un rôle officiel au Conseil des droits de l'homme en qualité de leaders du groupe africain. Au cours des deux dernières années, une variante informelle de cette coalition :

  • a parrainé avec succès une résolution mettant fin au mandat de l'expert indépendant pour la République démocratique du Congo en dépit des atrocités qui y sont commises à grande échelle. Prétendant agir au nom de l'Union africaine, c'est l'Égypte qui a mené la charge.
  • a mis fin à l'examen de la situation des droits humains en Iran et en Ouzbékistan.
  • s'est opposée ou abstenue lors du vote d'une résolution capitale sur la Corée du Nord, même si cette résolution a de toute façon été adoptée.
  • s'est généralement mise en défaut de soutenir la tenue d'une session spéciale sur le Darfour et s'est totalement mise en défaut d'en parrainer une sur la Birmanie.

La seule exception à cette campagne à l'encontre de résolutions visant un pays en particulier a été le soutien enthousiaste qu'ont apporté les saboteurs aux critiques visant Israël pour ses actions en Cisjordanie et à Gaza et lors de sa guerre au Liban. Certes, Israël mérite des critiques mais ces condamnations perdent une grande partie de leur force à cause de la réticence des saboteurs, et dès lors du conseil, à critiquer tout autre État.

Les saboteurs justifient leur opposition à la plupart des résolutions sur des pays en affirmant que le conseil devrait seulement chercher à coopérer et à s'engager dans un dialogue avec les gouvernements, sans jamais exercer de pressions sur eux. Mais cela revient à assumer, à tort, que tous les gouvernements souhaitent en toute bonne foi respecter les droits humains et que les exactions qu'ils commettent ne sont dues qu'à un manque de capacités techniques auquel une aide sous la forme de coopération pourrait remédier. En réalité, les gouvernements commettent souvent des exactions délibérées. La seule réponse appropriée dans ce cas est d'intensifier les pressions, par le biais de mesures telles que des résolutions critiques émanant de l'ONU, jusqu'à ce qu'ils arrêtent.

Ayant réussi à constituer des majorités au sein des 47 gouvernements membres du Conseil des droits de l'homme, les saboteurs ont cherché à cimenter leur contrôle en limitant l'influence des voix indépendantes. Ces voix-la Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU et son personnel, les rapporteurs spéciaux et les experts indépendants, ainsi que les ONG-font office d'antidote important aux  débats politisés entre les gouvernements qui tendent à dominer au conseil. Les saboteurs ont essayé de les réduire au silence.

Par exemple, le problème majeur auquel se heurtent les experts, les rapporteurs et autres observateurs indépendants du système des Nations unies est le manque de coopération des gouvernements. Le cas de l'Angola illustre bien ce problème. Ce pays, qui jouit d'une influence croissante au sein du groupe africain, a fermé le bureau local du Haut Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU, un an seulement après avoir promis de renforcer sa coopération avec le bureau dans le cadre de sa campagne pour être élu au Conseil des droits de l'homme. Mais les saboteurs répandent l'illusion que le problème vient des manquements commis par les observateurs eux-mêmes et que la solution passe par un contrôle accru de l'État sur eux.  Les saboteurs, l'Algérie en tête, ont donc élargi le rôle des gouvernements dans la sélection des experts et rapporteurs, et ont restreint la marge de manœuvre de ceux-ci par le biais d'un nouveau « code de conduite » inopportun.

Ils ont également essayé de vider d'une partie de sa substance l'examen périodique universel de la situation des droits humains en insistant pour qu'il se base essentiellement sur les informations fournies par le gouvernement faisant l'objet de l'examen, plutôt que sur celles émanant des experts et des associations de défense des droits humains. En outre, ils préconisent maintenant une surveillance accrue du Conseil sur la Haut-Commissaire aux droits de l'homme.

 

À l'Assemblée générale de l'ONU

Dans le cadre de l'ONU, c'est au Conseil des droits de l'homme que les saboteurs se sont surtout montrés actifs, mais ils ont également cherché à miner les initiatives relatives aux droits humains à l'Assemblée générale. Par exemple :

  • Prétendant parler au nom du groupe africain, l'Afrique du Sud s'est opposée à une résolution de l'Assemblée générale condamnant le viol en tant que crime de guerre. Son raisonnement: la résolution serait «imposée aux nations africaines». Heureusement, une majorité de gouvernements a rejeté cette excuse qui manquait d'humanité.
  • L'Algérie, l'Égypte, la Libye, le Soudan et le Zimbabwe se sont opposés à une résolution de l'Assemblée générale critiquant la Birmanie pour avoir arrêté et recouru à la violence contre des manifestants pacifiques. C'en était trop, même pour la majorité des États, y compris la plupart des pays africains, qui se sont abstenus ou ont voté en faveur de la résolution, conduisant à son adoption.

 

La Chine : un « saboteur » qui pourrait évoluer

Ayant longtemps rejeté toute critique de la communauté internationale sur son propre bilan en matière de droits humains, la Chine s'est traditionnellement montrée réticente à critiquer les exactions commises par d'autres. Elle rejoint donc fréquemment les rangs des saboteurs. Néanmoins, au cours des dernières années, des exceptions ont été constatées. Au Darfour, par exemple, en tant que principal acheteur de pétrole et fournisseur d'armes du Soudan, la Chine a parfois usé de son influence pour amener Khartoum à accepter le principe d'un déploiement de forces de paix internationales. Dans la plupart des cas, le gouvernement chinois demeure toutefois hostile à l'idée de faire respecter les droits humains. Il se montre tout particulièrement réfractaire à l'imposition de sanctions, à une plus grande transparence de son aide extérieure ou à toute action menée en vertu de la « responsabilité de protéger », doctrine qui a été adoptée lors d'un sommet mondial en 2005. Dans certaines des situations les plus graves, l'insistance avec laquelle elle fait valoir le peu de chances de succès d'une intervention internationale masque en réalité son indifférence à l'égard du bien-être des victimes.

Par exemple, la Chine, à l'instar de la Russie, a opposé son véto à une résolution du Conseil de sécurité qui aurait renforcé les sanctions à l'encontre du Zimbabwe en réponse au violent refus du Président Mugabe d'accepter la victoire électorale de son adversaire, Morgan Tsvangirai. Par ailleurs, au plus fort de la répression de Mugabe, entre autres lors des violences généralisées contre les partisans pacifiques de l'opposition, Pékin a envoyé une cargaison d'armes à l'armée zimbabwéenne. Le gouvernement sud-africain aurait livré les armes à Harare si les dockers sud-africains n'avaient pas mené une action de protestation.

De même, la Chine a peut-être exercé dans les coulisses certaines pressions sur l'armée birmane pour autoriser l'entrée de l'aide humanitaire dans le pays suite au cyclone dévastateur Nargis mais elle a bloqué toute action du Conseil de sécurité concernant ce problème. Elle a également tenté d'empêcher le Conseil de sécurité ne serait-ce que de discuter de l'utilisation d'enfants soldats par la Birmanie, sans même parlervoire d'imposer un élargissement de l'embargo sur les armes pour cette violation permanente, alors que Pékin venait de ratifier le traité interdisant le recours aux enfants soldats.

En dépit de ses interminables discours où il se pose en bon citoyen des Nations unies, le gouvernement chinois a non seulement snobé la Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU mais également cinq rapporteurs spéciaux de l'ONU qui voulaient se rendre au Tibet suite aux violences qui y avaient éclaté en mars 2008. Pékin a aussi exercé des pressions sur le Népal pour que ce dernier sévisse contre les Tibétains qui manifestaient à Katmandou contre la répression chinoise dans leur patrie.

 

Russie

Tout en souscrivant officiellement au respect des droits humains, la Russie se joint souvent aux saboteurs dans les forums de l'ONU pour protéger ses alliés et évitertout examen éventuel de ses pratiques de plus en plus répressives à l'intérieur de ses frontières. Elle affirme que la souveraineté nationale devrait prévaloir contre l'action en faveur des droits humains et souligne qu'il est important d'éviter la politique des « deux poids, deux mesures » ainsi que l'imposition de « systèmes de valeurs empruntés ». Au Conseil de sécurité, par exemple, elle tend à s'opposer à l'examen de la situation des droits humains. Elle a opposé son véto ou menacé de l'utiliser pour bloquer des résolutions capitales sur la Birmanie et le Zimbabwe. Moscou a fini par appuyer le déploiement d'une force internationale de maintien de la paix au Darfour mais a fait obstacle aux efforts visant à intensifier les pressions sur le gouvernement soudanais.

La Russie se sert également de son statut de membre au sein de divers organes européens de droits humains pour les miner. Par exemple, parmi les pays membres du Conseil de l'Europe, elle est la seule à bloquer une réforme de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui permettrait à celle-ci de résorber son énorme retard. L'une des raisons apparentes est que la cour  a statué à plusieurs reprises contre la Russie dans des affaires d'exécutions extrajudiciaires et de « disparitions » en Tchétchénie. Moscou s'est également mis en défaut de réaliser les réformes structurelles ordonnées par la cour.

Par ailleurs, la Russie a réussi à limiter l'examen de ses propres faits et gestes, en particulier en Tchétchénie, et a intimidé d'autres gouvernements européens afin qu'ils s'abstiennent pratiquement de toute protestation. Pendant plus d'un an, elle a empêché l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe de superviser sur le terrain la situation des droits humains en Tchétchénie et de tenir des débats publics sur le sujet. Elle persiste aussi à bloquer la publication de rapports sur la Tchétchénie rédigés par le Comité européen pour la prévention de la torture.

La Russie a également joué un rôle négatif au sein de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Elle a menacé, jusqu'à présent en vain, de « réformer » le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE. Moscou a cherché à soumettre les rapports du BIDDH sur l'observation des élections à l'approbation consensuelle de tous les États membres de l'OSCE, permettant ainsi à chaque État (dont la Russie) d'opposer son véto aux critiques et affaiblissant ainsi fortement le travail du BIDDH. La Russie a en outre essayé de limiter la participation aux réunions de l'OSCE aux seules ONG enregistrées dans leur pays d'origine et ayant reçu l'approbation de la délégation de leur pays, fournissant aux gouvernements répressifs un autre moyen de réduire au silence leurs détracteurs.

 

Inde

En sa qualité de démocratie la plus peuplée du monde, on pourrait s'attendre à ce que l'Inde se trouve à la pointe des efforts mondiaux visant à promouvoir les droits humains. Dans le passé, elle a parfois tenu un rôle de leader dans la défense des droits, notamment en s'opposant à l'apartheid en Afrique du Sud et en appuyant le mouvement pro-démocratie en Birmanie en 1988. Aujourd'hui pourtant, sa politique étrangère aurait souvent de quoi rendre fier un dictateur endurci.

Plusieurs raisons expliquent cette prestation décevante. Premièrement, en dépit de solides protections légales et d'un système judiciaire indépendant, le gouvernement indien commet encore de graves exactions-par exemple, au Cachemire et dans le Manipour, dans le cadre de sa répression contre les insurgés naxalites et leurs partisans présumés, ainsi que dans la façon dont il traite les dalits. Il a donc tendance à s'opposer à des mesures internationales relatives aux droits humains, craignant de créer un précédent qui pourrait être utilisé contre lui.  Deuxièmement, en tant qu'économie émergente et ouverte à la mondialisation, l'Inde accorde une priorité croissante à ses intérêts économiques et stratégiques, reléguant au second plan la promotion des droits humains, en particulier lorsqu'elle cherche (souvent en vain) à réduire au minimum l'influence chinoise en Asie méridionale et à faire concurrence à la Chine dans des pays tels que la Birmanie.

Enfin, à l'instar de l'Afrique du Sud, l'Inde fait preuve d'une solidarité inopportune entre pays du Sud. Tant le gouvernement que l'appareil bureaucratique, qui exerce un poids considérable sur la prise de décisions, nourrissent une vision du monde profondément enracinée qui associe la protection internationale des droits humains au colonialisme. L'Inde a tout à faitle droit de rappeler aux puissances occidentales les péchés qu'elles ont commis autrefois, mais elle a tort de déterminer les besoins des peuples qui subissent aujourd'hui des exactions en fonction d'une politique résolument tournée vers le passé. Malheureusement, trop de dirigeants indiens semblent ne pas se sentir investis de la responsabilité de garantir aux populations des autres pays la jouissance des mêmes droits que la plupart des Indiens.

Il convient de mentionner quelques exceptions. Au Népal, par exemple, à un moment important, l'Inde a contribué à faciliter la mise en place d'un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU (en partie parce qu'elle craignait un mouvement maoïste unifié), même si elle cherche aujourd'hui à limiter la mission politique de l'ONU. En ce qui concerne la Birmanie, l'Inde semble avoir suspendu son assistance militaire en réaction à la répression que le régime birman a infligée aux manifestants pacifiques en 2007 et aux restrictions qui ont touché l'aide internationale destinée aux victimes du Cyclone Nargis en 2008, mais sa diplomatie privée a tout au plus obtenu des résultats aléatoires.

Plus généralement toutefois, l'Inde est hostile à la protection internationale des droits humains, votant habituellement contre les résolutions sur des pays particuliers au Conseil des droits de l'homme. Par exemple, elle a voté en faveur du blocage de tout débat sur le Soudan, s'est abstenue sur une résolution critiquant la Corée du Nord, a voté contre une résolution sur Cuba et a approuvé une motion de « non-action » sur la Biélorussie. Pour justifier cette hostilité à l'égard de la défense des droits humains, New Dehli ressasse l'argument selon lequel il croit à un engagement privé en faveur des droits humains plutôt qu'à des pressions publiques. En privé, les responsables déclarent que ce respect imposé des droits vise presque toujours les pays pauvres alors que les nations puissantes commettent d'énormes exactions sans être inquiétées. Il s'agit certes d'une injustice mais, comme il a été noté, cela ne constitue pas une excuse légitime pour ne pas agir en faveur des victimes plus pauvres.

L'Inde reste également très sensible à toute discussion publique de son propre bilan en matière de droits. Elle s'oppose souvent aux visites en Inde d'enquêteurs de l'ONU sur les droits humains, n'ayant autorisé que les visites des rapporteurs spéciaux sur le droit à l'alimentation en 2005, sur la violence contre les femmes en 2000 et sur la liberté de religion ou de conviction en 1996. Entretemps, elle a ignoré les demandes de visite émanant des rapporteurs spéciaux sur la torture et les exécutions extrajudiciaires depuis 1993, ainsi que les demandes plus récentes formulées par les enquêteurs de l'ONU sur le racisme, les déchets toxiques, les défenseurs des droits humains et les détentions arbitraires.

 

Le désastre des années Bush

Comme il a été mentionné plus haut, l'ascension des saboteurs aurait eu un impact moindre si les gouvernements qui se posent habituellement en défenseurs des droits humains n'avaient pas renoncé à leur leadership. Aucun gouvernement ne porte davantage la responsabilité de cette abdication que celui des États-Unis sous la présidence de George W. Bush. Beaucoup le savent, l'administration Bush a choisi de répondre au sérieux défi sécuritaire que pose le terrorisme en ignorant les principes internationaux les plus élémentaires des droits humains. Cette décision, prise non pas par quelques « brebis galeuses » au bas de la hiérarchie mais par les responsables au plus haut niveau du gouvernement, a été de « faire disparaître » les suspects dans des lieux de détention secrets administrés par l'agence américaine de renseignements (CIA) où leur détention n'était pas reconnue publiquement, de les soumettre à la torture et autres méthodes brutales d'interrogatoire, notamment au « waterboarding » (simulacre de noyade) et au maintien forcé dans diverses positions éprouvantes, et de les emprisonner des années durant à Guantanamo, sans inculpation ni procès. Les conséquences ont été désastreuses. Ce mépris des principes internationaux régissant les droits humains a engendré un ressentiment qui s'est avéré être une aubaine pour les recruteurs de terroristes. Il a également découragé la coopération internationale avec les forces de l'ordre, en particulier dans les pays les plus susceptibles de s'identifier avec les victimes et de mettre au jour des activités suspectes.

Les transgressions de l'administration Bush ont profondément sapé l'influence américaine dans le domaine des droits humains. Parfois, Washington s'est encore montré à même de promouvoir utilement les droits humains : lorsqu'il s'agissait du droit à la liberté d'expression ou d'association, qui est encore largement respecté aux États-Unis ; lorsque le gouvernement américain jouissait d'un levier supplémentaire en tant que gros bailleur de fonds du gouvernement concerné ; ou lorsque les atrocités étaient à ce point massives, comme dans le cas de massacres ethniques ou politiques généralisés, que les États-Unis pouvaient s'y opposer sans faire face à des accusations d'hypocrisie.

Plus généralement toutefois, lorsqu'il s'agissait de violations de droits humains que l'administration Bush commettait elle aussi, les États-Unis se sont vus forcés d'abandonner la partie. C'est au Conseil des droits de l'homme que cela a été le plus visible. Washington a critiqué à juste titre les nombreuses lacunes de cette nouvelle institution, mais comme nous l'expliquons plus en détail ci-après, elle est loin d'être une cause perdue. Plutôt que de prendre conscience de son potentiel considérable, l'administration Bush l'a abandonné dès le départ.

Il se peut que cela traduise en partie un renoncement face à la réalité, car vu le bilan de l'administration Bush en matière de droits humains, les États-Unis auraient eu beaucoup de peine à se faire élire au Conseil des droits de l'homme. Toutefois, la raison semble être en grande partie l'arrogance affichée par Washington dans son approche des institutions multilatérales. Au lieu de s'atteler à la tâche difficile mais indispensable qu'est la mise en place d'une vaste coalition mondiale en faveur des droits humains, le gouvernement américain a eu tendance à bombarder le conseil de déclarations incendiaires depuis la ligne de touche lorsqu'il ne parvenait pas à ses fins. L'un des alliés les plus puissants du mouvement en faveur des droits humains ayant ainsi capitulé sans se battre, il n'est pas surprenant que les alliés restant au conseil soient confrontés à une tâche ardue.

 

L'incapacité à prendre l'initiative

Comme nous l'avons souligné plus haut, les saboteurs ont occupé le devant de la scène dans les débats internationaux sur la politique des droits humains, en partie parce que les principales démocraties respectueuses des droits avaient choisi de se cacher en coulisse. Certes, bon nombre de ces démocraties n'ont jamais été des défenseurs assidus des droits humains, ayant au cours de leur histoire parfois soutenu et souvent fermé les yeux sur les exactions de leurs alliés et partenaires stratégiques. Mais l'espoir que ce début de siècle marquerait l'avènement de politiques étrangères reposant sur des principes cohérents de défense des droits humains a été anéanti par les compromis consentis dans la lutte contre le terrorisme et par un décevant manque d'engagement. Les résultats obtenus au cours des dernières années ont été particulièrement médiocres. De plus en plus, ces gouvernements semblent reléguer la promotion des droits humains loin derrière les relations avec des parias et des adversaires.

Certaines relations bilatérales ont manqué d'efficacité et c'est aux États-Unis qu'en incombe la responsabilité principale. Par exemple :

  • Washington a fourni une assistance massive à l'armée pakistanaise tout en déployant très peu d'efforts pour limiter l'usage de la torture et de la «disparition» de suspects par l'Inter-Services Intelligence (les services secrets pakistanais). En fait, la CIA a travaillé en étroite collaboration avec les services du renseignement pakistanais, se chargeant de la détention des personnes soupçonnées de terrorisme et de leur interrogatoire dans des prisons secrètes. L'insistance avec laquelle l'appareil judiciaire a, par principe, réclamé une enquête sur ces disparitions forcées, ainsi que son apparente réticence à donner sa bénédiction à l'élection à la présidence du Général Moucharraf alors qu'il était encore membre de l'armée, sont les raisons qui ont poussé Moucharraf à révoquer le président de la Cour suprême, Iftikhar Chaudhry, ainsi que d'autres juges de la haute cour. Washington ne s'est guère mobilisé pour réclamer qu'ils soient réintégrés dans leurs fonctions ou pour appeler Moucharraf à se soumettre à l'État de droit. Moucharraf a fini par démissionner sous la pression nationale mais les efforts déployés pour le faire répondre de son non-respect des lois ont été bloqués par Washington, avant tout soucieux de ne pas voir son proche allié humilié.
  • L'Éthiopie présente l'un des bilans les plus déplorables d'Afrique en matière de droits humains. Dans le cadre de sa politique de contre-insurrection, ses troupes ont recouru à la tactique de la terre brûlée, notamment en étranglant des habitants et en incendiant des villages, afin de déplacer les villageois dans la région d'Ogaden qui abrite des ethnies somalies. En Somalie, les forces éthiopiennes ont bombardé aveuglément des zones urbaines à forte densité démographique et elles ont torturé et exécuté des partisans présumés de groupes d'insurgés. Entre-temps, le gouvernement éthiopien a recouru à la violence et à la détention arbitraire pour éliminer les voix discordantes qui s'élevaient pacifiquement à l'intérieur de ses frontières. Malgré cela, en tant qu'allié régional important dans la lutte contre le terrorisme, l'Éthiopie bénéficie annuellement de quelque 700 millions de $US versés par le gouvernement américain-et du remarquable silence radio de Washington à propos de ces atrocités.
  • En 2005, les États-Unis ontmontré pendant un bref moment qu'ils étaient capables d'obtenir des concessions du gouvernement égyptien sur les droits humains, mais ils ont mis un frein à leurs pressions en faveur d'une réforme lorsque les Frères musulmans ont remporté d'importantes victoires aux élections parlementaires. Après que Washington lui a renouvellé son soutien inconditionnel-l'Égypte demeure le deuxième plus grand bénéficiaire au monde de l'aide américaine-, le gouvernement s'est remis à arrêter et à brutaliser les militants de la démocratie, dont des milliers de membres des Frères musulmans; à poursuivre en justice des journalistes, des éditeurs et des auteurs qui avaient appelé à des élections libres ou avaient émis des commentaires sur la santé du Président Hosni Moubarak; à commettre des actes généralisés de torture; à maltraiter les réfugiés en renvoyant de force un grand nombre d'entre eux vers l'Érythrée et le Soudan; et depuis 2007, il a assassiné au moins 32 migrants qui cherchaient à entreprendre la traversée vers Israël.

Dans d'autres cas, c'est surtout l'Union européenne ou ses États membres quiportent la responsabilité de la réaction timorée face aux violations graves des droits humains :

  • L'UE a imposé des sanctions-un embargo sur les armes et des restrictions frappant les visas d'une série de hauts responsables-à l'encontre de l'Ouzbékistan suite au massacre de manifestants dans la ville d'Andijan en 2005. Depuis lors, la politique européenne à l'égard de l'Ouzbékistan constitue un cas d'école en matière de capitulation. Au départ, la levée des sanctions de l'UE était conditionnée à l'accord de Tachkent pour la conduite d'une enquête internationale indépendante sur le massacre. Le gouvernement ouzbek a refusé et, en lieu et place d'une enquête, il a arrêté les témoins des tueries et les a forcés à disculper le gouvernement. Pourtant, l'UE a progressivement atténué les sanctions, justifiant ses actions en les qualifiant de «gestes constructifs» visant à encourager le gouvernement ouzbek à entreprendre les réformes nécessaires. Il faut mentionner, à son crédit, que l'UE avait lié les sanctions à la libération de tous les défenseurs des droits humains emprisonnés. Mais lorsque Tachkent a refusé, l'UE ne s'en est pas inquiétée pour autant et a malgré tout levé les sanctions. Parmi les exemples de «progrès» cités pour justifier cette capitulation figurait notamment le fait que le gouvernement ouzbek avait libéré certains prisonniers politiques (alors même qu'il en emprisonnait d'autres), et qu'il avait organisé un séminaire sur la liberté de la presse (malgré l'absence de toute réelle liberté de la presse en Ouzbékistan).
  • Lorsque le procureur de la Cour pénale internationale a demandé un mandat d'arrêt à l'encontre du Président Omar el-Béchir, ce dernier a menacé tacitement de faire subir toutes sortes de représailles aux civils, aux travailleurs humanitaires et aux casques bleus internationaux si le Conseil de sécurité ne suspendait pas les poursuites. Au lieu de condamner et de refuser ce chantage, la Grande-Bretagne et la France ont commencé à négocier des conditions (démentant pendant tout ce temps qu'elles étaient en train de négocier, disant au contraire qu'elles proposaient des pistes pour pouvoir résoudre le problème). Certes, les conditions fixées étaient strictes et el-Béchir a rapidement montré qu'il n'avait aucune intention de les respecter mais le dangereux message qui a été délivré implicitement est qu'après avoir commis des atrocités massives, le fait de brandir la menace de nouvelles atrocités massives pouvait être payant.
  • Lorsque les forces du dirigeant rebelle Laurent Nkunda ont attaqué et menacé les civils dans l'est de la République démocratique du Congo, les gouvernements britannique et français ont donné l'exemple, dépêchant leurs ministres des affaires étrangères dans la région. Mais les déclarations faisant état de leur inquiétude n'ont pas été suivies d'un renforcement substantiel de la protection des civils dans l'est du Congo. Au lieu d'envoyer de toute urgence une modeste force européenne de maintien de la paix, l'UE a musardé pendant des semaines alors que l'instant était critique. Le Conseil de sécurité a autorisé un renforcement limité de la force de maintien de la paix de l'ONU dans l'est du Congo mais fin novembre 2008, il ne s'était toujours pas engagé à apporter les améliorations sur le plan de la qualité et de la capacité de la force, nécessaires pour protéger les civils. Fait significatif, l'UE a exprimé sa réticence à déployer les deux «groupements tactiques» de 1 500 soldats qu'elle avait créés en 2007 précisément pour ce type de situations, ce qui pose la question de savoir quand ces forces de protection pourraient être utilisées, si jamais elles le sont un jour.
  • L'UE a levé une interdiction de voyager visant le Président biélorusse Alexandre Loukachenko en dépit d'un manque d'améliorations perceptibles dans le lamentable bilan présenté par Minsk en matière de droits humains. La décision a été motivée par la détérioration des relations de l'UE avec la Russie et l'espoir des gouvernements européens d'un rapprochement entre la Biélorussie et l'Occident.

Bien loin de réagir aux exactions perpétrées par d'autres, la Grande-Bretagne a menacé de se rendre elle-même complice d'exactions en continuant d'insister sur le droit d'envoyer des personnes soupçonnées de terrorisme vers des pays qui pratiquent la torture. Pour ce faire, elle entend se fier à des assurances diplomatiques de traitement humain peu convaincantes, émanant de gouvernements qui ont l'habitude de passer outre à l'interdiction de la torture énoncée dans les traités. Les efforts déployés par Londres pour élaborer une position commune de l'UE approuvant cette pratique n'ont pas abouti à ce jour mais son mauvais exemple a contribué à inspirer d'autres gouvernements - dont le Danemark, l'Italie, le Kirghizstan, la Russie, l'Espagne et la Suisse - affaiblissant ainsi l'interdiction internationale de la torture. La Grande-Bretagne a également cherché à introduire une exception à l'interdiction d'envoyer des personnes vers des pays où elles risquent de subir des mauvais traitements qui ne sont pas constitutifs de torture ; à cette fin, elle a préconisé une nouvelle règle qui permettrait cette expulsion lorsque la présence continue du suspect dans le pays qui renvoie représente une menace trop importante pour la sécurité. La Cour européenne des Droits de l'Homme a rejeté cette proposition à l'unanimité.

C'est surtout au Moyen-Orient que tous les gouvernements occidentaux semblent s'être mis en défaut de promouvoir les droits humains :

  • Parce que l'Arabie saoudite produit du pétrole et a une position d'alliée dans la lutte contre le terrorisme, aucun gouvernement occidental n'a sérieusement soulevé les questions de la quasi-absence de libertés politiques et de société civile dans ce pays, ni des restrictions sévères qu'il impose aux droits des femmes et des migrants. En fait, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont loué et promis d'étudier et de tirer les enseignements d'un programme saoudien qui maintient en détention des milliers de personnes soupçonnées de terrorisme, sans inculpation ni procès, offrant en revanche une «rééducation».
  • L'Occident a cherché activement à améliorer ses relations avec la Libye, émettant peu de critiques à l'égard de son déplorable bilan en matière de droits humains. En échange du renoncement de la Libye à des projets d'armes de destruction massive et suite aux indemnités qu'elle a versées aux victimes de l'attentat de Lockerbie, l'Ouest l'a généreusement récompensée en rétablissant les visites diplomatiques et en relançant les activités économiques. Mais les gouvernements occidentaux ont émis peu de commentaires sur la quasi-absence de libertés civiles et politiques dans le pays.
  • À plusieurs reprises, Israël a imposé un blocus à la bande de Gaza, empêchant l'importation de carburant, de vivres, de médicaments et de produits de première nécessité. Tel Aviv a cherché à justifier ce châtiment collectif infligé à la population civile en invoquant les tirs indiscriminés de roquettes par des groupes armés gazaouis sur des zones civiles israéliennes. Les gouvernements occidentaux ont à l'occasion condamné publiquement ce blocus mais n'ont pas subordonné l'assistance économique massive dont bénéfice Israël à un quelconque changement. Israël n'a pas davantage subi les conséquences de l'expansion illégale de ses colonies ni de la construction du mur/barrière en Cisjordanie.

Dans un autre registre, l'Australie, la Grande-Bretagne, le Canada, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas ont cherché, du moins dans un premier temps, à miner une interdiction absolue des armes à sous-munitions en réclamant des exceptions pour certains types d'armes qu'ils avaient eu tendance à accumuler dans leurs arsenaux. Il était important que l'interdiction soit absolue car, comme dans le cas du traité sur les mines antipersonnel, on pouvait s'attendre à ce que certaines grandes puissances telles que les États-Unis, la Russie et la Chine rejettent le traité. Or, en stigmatisant ce système d'armements, une interdiction absolue placerait de toute façon ces pays dans une position difficile sur le plan politique s'ils venaient à utiliser ces armes. Une coalition dirigée par l'Autriche, l'Irlande, le Mexique, la Norvège et la Nouvelle-Zélande est venue à bout de cette résistance et a obtenu une interdiction totale.

De même, la Convention de 1990 sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille n'a été ratifiée par aucun État membre de l'UE, ni par l'Australie, le Canada, le Japon ou les États-Unis. À ce jour, seuls les gouvernements qui envoient des travailleurs migrants ont adhéré au traité, ce qui sape fortement sa capacité à protéger une population importante et vulnérable.

Certaines des principales démocraties ont, à l'occasion, exercé un leadership positif dans le domaine des droits humains :

  • Le Premier Ministre britannique Gordon Brown a refusé de participer à un sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine en raison de la présence du Président zimbabwéen Robert Mugabe.
  • Douglas Alexander, Secrétaire britannique au développement international, a laissé entendre qu'il lierait l'aide à l'Éthiopie à la fin de ses exactions dans la région d'Ogaden. Cela marque peut-être un revirement par rapport au silence qu'observait traditionnellement la Grande-Bretagne à propos des exactions éthiopiennes tout en fournissant au gouvernement un soutien financier considérable.
  • En guise de protestation face au soutien que le Rwanda apporte dans l'est du Congo aux forces cruelles et brutales de son allié, le dirigeant rebelle Laurent Nkunda, les Pays-Bas ont redirigé vers l'est du Congo l'aide au développement qu'ils destinaient au Rwanda.
  • Les États-Unis, l'Australie et l'Union européenne ont imposé des sanctions à l'encontre de la Birmanie pour sa répression brutale des manifestants pacifiques, en dépit des pressions contraires de la Chine et des gouvernements de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE).
  • La Chancelière allemande Angela Merkel a boycotté la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin pour protester contre la répression chinoise au Tibet.
  • Malgré son opposition à la Cour pénale internationale, l'administration Bush a été la première à s'opposer aux actions visant à suspendre les efforts entrepris par la CPI pour engager des poursuites contre le Président soudanais el-Béchir.

Il n'en demeure pas moins que ces exemples positifs ne se sont pas reproduits assez régulièrement pour permettre à la défense des droits humains de gagner du terrain et dès lors, pour réellement faire barrage à la pression destructrice des saboteurs.

 

 

L'UE et le Conseil des droits de l'homme de l'ONU

La faiblesse du soutien apporté par l'UE aux droits humains a été particulièrement évidente dans les structures multilatérales telles que le Conseil des droits de l'homme. Comme nous l'avons déjà expliqué, l'administration Bush n'a même pas cherché à faire fonctionner le conseil, abandonnant cette tâche à d'autres. L'UE a fait quelques efforts pour assumer le rôle de leader à Genève mais les conversations avec les diplomates de l'UE donnent souvent lieu à une déprimante leçon de défaitisme.

Ceci s'explique essentiellement par les procédures que l'UE suit pour établir un consensus autour d'une politique commune et qui finissent par saper son influence. Le conseil est divisé de façon à peu près égale entre les gouvernements qui tendent à appuyer les initiatives liées aux droits humains, les gouvernements qui tendent à s'y opposer, et les indécis-les gouvernements qui ont tendance à se joindre aux saboteurs mais qui pourraient être aiguillés dans une direction plus favorable aux droits humains. En donnant une orientation stratégique générale, l'UE aurait pu permettre à ses diplomates d'agir avec créativité et de faire preuve de hardiesse pour parvenir, grâce aux votes des indécis, à une majorité multirégionale en faveur des droits humains.

Or, l'UE a laissé sa procédure de consensus interne se transformer en exercice de microgestion. Les diplomates européens consacrent tellement de temps à négocier dans les moindres détails un consensus entre eux, approuvant généralement mot par mot tout projet de résolution, qu'au moment où ils arrivent à un accord entre les 27 États membres, ils sont épuisés, sans l'énergie ni la souplesse nécessaires pour mettre en place un consensus avec d'autres alliés potentiels. Afin d'éviter de devoir recommencer la procédure minutieuse que demanderait un nouveau consensus de l'UE, les diplomates européens doivent éviter de faire de réelles concessions et doivent plutôt essayer de convaincre les autres d'accepter sans aucun amendement la position sur laquelle l'UE s'est mise d'accord. Inutile de dire que cette manière de négocier n'est pas d'une grande efficacité.

Cette approche tend à détériorer davantage encore l'atmosphère déjà délétère qui règne fréquemment à l'ONU et qui peut se résumer par « l'Ouest contre le reste ». À cause de cette polarisation et de cette « mentalité de bloc », il est encore plus difficile pour les États modérés de se dissocier des saboteurs tels que l'Algérie, l'Égypte et l'Afrique du Sud qui ont tendance à dominer les débats de l'Union africaine et il est donc plus ardu de mettre en place une majorité interrégionale en faveur des droits humains.

Même lorsque l'UE s'est montrée disposée à agir, sa réticence à critiquer Washington pour ses politiques antiterroristes propices aux exactions l'a exposée aux accusations de sélectivité et de politique de deux poids, deux mesures. Par exemple, en refusant d'approuver au Conseil des droits de l'homme l'initiative soutenue par Cuba critiquant Guantanamo (alors que la résolution proposée avait été délibérément rédigée en utilisant exactement le même langage que celui utilisé précédemment par le Conseil de l'Europe dans sa propre résolution), l'UE a contribué à la mentalité du « protéger les siens » qui empoisonne aujourd'hui le Conseil des droits de l'homme. De même, en acceptant de mettre un terme à l'examen par l'ONU de la situation en Irak et en Afghanistan après les invasions américaines, l'UE a rendu la tâche plus facile à d'autres nations désireuses de s'opposer à des résolutions visant des pays amis.

Incapable pour ces raisons de composer une majorité en faveur des droits humains au sein du conseil, l'UE tend à se résigner à des résolutions collectives édulcorées, par exemple sur le Soudan, ou à un échec complet, comme lors de la décision de mettre fin au travail d'un groupe d'experts sur le Darfour ou de cesser de suivre de près la situation en Biélorussie et à Cuba. De même, malgré les atrocités massives perpétrées actuellement dans l'est de la République démocratique du Congo, l'UE a donné son accord à une résolution de « compromis » parrainée par l'Égypte, mettant un terme au mandat de l'expert indépendant de l'ONU sur le Congo ; l'UE a accepté de programmer à dans un an une autre discussion sur le Congo, qui lui a ainsi servi de couverture.

 

Reprendre l'initiative

Que l'initiative en matière de droits humains ait été accaparée par des gouvernements qui aspirent à l'échec de la protection internationale devrait engendrer non pas le désespoir mais la détermination. À Washington, la nouvelle administration Obama offre l'espoir d'un gouvernement américain capable d'assumer un rôle de leader dans la promotion des droits humains. Si l'Union européenne est à même de faire naître une volonté politique et de surmonter la paralysie procédurale qu'elle s'est auto-imposée, elle sera en mesure de contribuer à mettre en place une véritable coalition mondiale en faveur des droits humains qui pourra s'emparer de l'initiative aujourd'hui aux mains des saboteurs.

Les gouvernements qui prétendent promouvoir les droits humains devraient se conformer à certaines règles élémentaires s'ils tiennent à être efficaces. Tout d'abord, ils devraient veiller à respecter eux-mêmes scrupuleusement les droits humains-parce que le droit international les y oblige, parce qu'ils offriront ainsi un exemple positif et parce que le fait d'honorer cette obligation contribuera à réduire au silence les accusations d'hypocrisie. Ils devraient également renoncer aux efforts qui mettent à mal les normes relatives aux droits humains. Par exemple, ils devraient veiller à respecter l'interdiction de la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ou encore à ne pas négliger la protection des réfugiés dans leur empressement à élaborer une politique d'asile commune. Lorsque ces gouvernements font l'objet de critiques pour avoir violé les droits humains, ils devraient les accepter en y voyant un discours légitime plutôt qu'un affront qu'ils rejettent instinctivement.

Dans le cadre de leur politique étrangère, ces gouvernements devraient promouvoir les droits humains d'une manière aussi impartiale que possible. Il s'agirait notamment de critiquer non seulement les États parias mais également les amis lorsqu'ils commettent des violations graves des droits humains. Ils devraient également valoriser les droits humains dans leurs relations avec les autres gouvernements, confiant cette question à de hauts responsables, insistant pour que ces droits occupent une place importante à l'ordre du jour des discussions bilatérales, fixant des indicateurs de changement clairs avec des conséquences précises en cas de manque de progrès ou de régression.

Dans les structures multilatérales, ces gouvernements devraient se fixer comme priorité absolue de composer une majorité favorable aux droits humains en encourageant les États de toutes les régions qui respectent ces droits à les défendre ouvertement. En ce qui concerne le Conseil des droits de l'homme, par exemple, les États respectueux des droits devraient être encouragés à présenter leur candidature. Par contre, il faudrait s'opposer activement à celle des saboteurs et de leurs alliés. Le revers subi au cours des dernières années par la Biélorussie et le Sri Lanka lorsqu'ils ont posé leur candidature illustre bien ce qui devrait se produire plus régulièrement.

Il faudrait par ailleurs veiller à ce que les gouvernements qui font obstacle à la défense des droits humains paient chez eux le prix politique de ce comportement. Les gouvernements de pays démocratiques tels que l'Inde et l'Afrique du Sud, où la société civile est dynamique, parviennent à adopter des positions négatives sur les droits humains sans être inquiétés parce que peu de gens dans ces pays suivent de près leurs votes dans les forums intergouvernementaux. Par ailleurs, leurs médias nationaux rendent rarement compte de leur comportement dans ces instances. Dès lors, quand ils votent pour protéger la Birmanie, le Soudan ou le Zimbabwe, ils ne prêtent pas le flanc à la critique, ce qui serait certainement le cas s'ils venaient à adopter des politiques aussi régressives chez eux. Une première mesure utile serait d'aider les journalistes et les représentants de la société civile à se rendre à New York, à Genève et dans les capitales régionales pour suivre de près leurs gouvernements et faire pression sur eux.

Il faut également reconnaître que de nombreux gouvernements du Sud ont des griefs légitimes par rapport au comportement des gouvernements occidentaux. Ces griefs ne justifient pas leur hostilité envers les droits humains mais il est clair qu'ils affectent leur manière de voir. Pour accroître le nombre de gouvernements du Sud disposés à promouvoir les droits humains, il conviendra de leur montrer qu'ils ont tort de penser que la préoccupation de l'Occident pour les droits humains varie en fonction du degré d'intérêt stratégique, que les pays puissants sont autorisés à mal se comporter sans être inquiétés et que les régions du monde qui sont plus riches se soucient insuffisamment des droits économiques et sociaux des régions du Sud, tels que le droit à l'alimentation dans le contexte de la hausse des prix ou le droit aux soins de santé élémentaires en pleine déliquescence économique. S'engager réellement à reconnaître ces préoccupations aiderait à se rapprocher d'États tels que le Ghana, la Zambie, le Mexique, le Pérou, l'Indonésie et les Philippines, qui devraient exercer un leadership plus important dans le domaine des droits humains au sein des instances régionales et internationales.

Enfin, il y a lieu de rompre avec la mentalité de bloc qui conduit tant de gouvernements à voter-par défaut-comme leur groupe régional, même si leur propre point de vue est plus progressiste. Les États modérés ont besoin d'encouragements pour se distancier des saboteurs qui tendent à dominer le vote par blocs. Ainsi en Afrique, le Ghana et la Zambie devraient être encouragés à fausser compagnie à l'Algérie et à l'Égypte. En Asie, les Philippines et la Thaïlande devraient apprendre à se dissocier de la Birmanie et du Vietnam. Les clés du succès auront pour nom stratégie et vision, engagement et diplomatie-toutes destinées à tendre la main aux États modérés, à prendre au sérieux leurs préoccupations et à les amener dans le cercle des défenseurs des droits humains.

 

Une nouvelle direction à Washington

Le succès de tout effort visant à reprendre l'initiative aux saboteurs dépendra dans une large mesure de Washington. L'administration Obama doit réparer les énormes dommages causés par l'administration Bush et s'atteler à restaurer la réputation et l'efficacité du gouvernement américain en tant que défenseur des droits humains. Il est indispensable de commencer par changer la politique américaine de lutte contre le terrorisme. Les mesures que le Président Obama devrait prendre seraient notamment les suivantes :

  • Fermer définitivement les centres de détention secrets de la CIA. Bush a laissé entendre qu'il ne les avait vidés que temporairement.
  • Appliquer à la CIA les nouvelles règles de l'armée américaine (révisées dans la foulée du scandale d'Abou Ghraïb) interdisant les interrogatoires sous la contrainte. Le Congrès avait essayé de légiférer en ce sens mais Bush a opposé son veto au projet de loi et le Congrès n'a pas obtenu suffisamment de voix pour passer outre au veto.
  • Fermer le centre de détention de Guantanamo sans le déplacer de fait sur le sol américain, en permettant la détention sans procès aux États-Unis. Cela signifie qu'il faudra rapatrier ou poursuivre tous les détenus et veiller à ce que les poursuites judiciaires aient lieu devant des tribunaux ordinaires, et non devant les commissions militaires non conformes, lesquelles autorisent les condamnations pénales reposant sur des aveux arrachés sous la contrainte, ou tout autre tribunal «spécial» qui compromet les droits élémentaires de la défense. Cela signifie également qu'il faudra renoncer à la théorie radicale selon laquelle les personnes soupçonnées de terrorisme et arrêtées n'importe où dans le monde, même loin de tout endroit susceptible de répondre à la définition de champ de bataille, peuvent être détenues en tant que combattants ennemis sans tenir compte des protections prévues par les principes régissant les droits humains.
  • Mettre sur pied une commission d'enquête non partisane composée de professionnels et disposant du pouvoir d'assigner à comparaître, pour établir qui a autorisé ces graves exactions, comment ces personnes devraient être amenées à répondre de leurs actes et quelles mesures devraient être prises pour garantir que cet épisode affreux de l'histoire américaine ne se reproduise jamais. Il est important que ce processus d'exposition publique, de reconnaissance et de condamnation ait lieu afin que les exactions commises par l'administration Bush ne soient pas considérées comme un précédent à suivre dans le futur, lors de périodes où la sécurité se verrait à nouveau menacée.

L'administration Obama devrait également signaler que désormais, le gouvernement américain se pliera aux principes internationaux régissant les droits humains et s'engagera à nouveau aux côtés des institutions internationales pour faire appliquer ces principes. Le Président Obama devrait :

  • Présenter la candidature des États-Unis au Conseil des droits de l'homme de l'ONU dans l'intention d'en faire une institution efficace pour la promotion des droits humains. Alors qu'une candidature sous Bush se serait probablement soldée par un échec, il y a des chances pour qu'une candidature sous Obama se voie couronnée de succès.
  • Faire part de son intention de s'engager à nouveau de façon constructive vis-à-vis de la Cour pénale internationale en signant à nouveau le traité de la CPI, en abrogeant l'American Service-Members' Protection Act (Loi relative à la protection des militaires américains qui suspend l'aide aux gouvernements qui ne renoncent pas à toute remise d'un ressortissant américain en vue d'un procès et qui autorise une invasion de La Haye pour libérer tout Américain qui y est emprisonné), et en appuyant la CPI sur le plan politique et pratique. La nouvelle administration devrait aussi entamer le travail politique interne nécessaire pour que les États-Unis ratifient le traité de la CPI.
  • Ratifier d'autres traités essentiels relatifs aux droits humains, tels que la nouvelle convention contre les disparitions forcées (en signe d'engagement à ne plus jamais recourir à cette pratique abjecte), les traités longtemps ignorés relatifs aux droits de la femme et de l'enfant (que les États-Unis sont pratiquement les seuls à ne pas avoir ratifiés), le pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (pour garantir un dispositif de sécurité au niveau interne tout en contribuant à mettre sur pied une alliance plus étendue, interrégionale, pour les droits humains à l'étranger), le Premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève (fixant des normes relatives à la conduite de la guerre que les États-Unis acceptent déjà en grande partie en tant que règles de droit coutumier), ainsi que les traités plus récents essentiels à la protection de la vie et interdisant les armes à sous-munitions et les mines antipersonnel (armes qui sont aujourd'hui tellement stigmatisées que l'armée américaine aurait de toute façon des difficultés à les utiliser).

Enfin, le Président Obama devrait réévaluer les relations bilatérales que les États-Unis entretiennent avec certains gouvernements alliés dont l'importance est telle sur le plan stratégique ou antiterroriste que l'administration Bush avait été amenée à fermer les yeux sur leurs exactions. Les États-Unis devraient se servir de leur poids économique important pour pousser leurs proches alliés à mettre un terme à leurs exactions, notamment aux atrocités commises par l'Éthiopie dans la région d'Ogaden et en Somalie, à l'usage de la torture et de la « disparition » par l'armée pakistanaise, à la répression de l'opposition politique par l'Égypte, au recours à la punition collective par Israël pour répondre aux tirs de roquettes palestiniens contre des civils, ainsi qu'à l'obstruction de la Colombie face aux enquêtes sur les liens entre de hauts responsables du gouvernement et les forces paramilitaires assassines.

 

Conclusion

À l'instar des autres initiatives menées à l'échelle mondiale, la promotion effective des droits humains ne peut ignorer les fluctuations que connaît le pouvoir global. Le rôle traditionnel qu'assume l'Occident dans la défense des droits humains ne suffit pas. De nouvelles coalitions doivent être mises sur pied en se rapprochant d'autres démocraties qui respectent en grande partie les droits humains à l'intérieur de leurs frontières et pourraient être convaincues de se joindre aux efforts visant à promouvoir les droits humains dans le monde. Mais ces coalitions ne pourront se construire sans changements profonds dans la politique et l'approche des principales démocraties de la planète.

Aujourd'hui, pour défendre efficacement les droits humains, il y a lieu de s'engager sur de nouveaux tableaux-adopter soi-même une conduite qui respecte scrupuleusement les droits humains, insister sur l'obligation de réclamer des comptes pour les exactions graves, quels qu'en soient les auteurs, promouvoir les droits humains de façon cohérente, sans favoriser les alliés ou les partenaires stratégiques, et se rapprocher de nouveaux alliés potentiels en se montrant ouverts et prêts à répondre à leurs préoccupations en matière de droits humains. Rien de tout ceci n'est impossible. Ceux qui croient que les bouleversements mondiaux qui touchent le pouvoir sonneront le glas de l'application des droits humains confondent la piètre prestation actuelle des principales démocraties avec une réalité immuable.

Mais pour défendre avec succès les droits humains, il faudra que ces démocraties procèdent à un sérieux examen de conscience et se montrent disposées à changer de cap. L'arrivée de l'administration Obama à Washington, apparemment déterminée à mettre fin aux déplorables excès des années Bush, se révèle être une occasion idéale. La tâche à laquelle est confrontée la  communauté des droits humains consiste à convaincre les partisans des droits humains-tant les alliés traditionnels que les nouveaux alliés potentiels-de saisir la balle au bond. Cela constituerait assurément un événement à célébrer en cette année qui marque le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

 

Ce rapport

Le présent rapport est le dix-neuvième compte rendu annuel de Human Rights Watch sur les pratiques des droits humains partout dans le monde. Il résume les grands problèmes des droits humains dans plus de 90 pays et territoires à travers le globe, en se basant sur les événements survenus jusque fin novembre 2008.

Chaque chapitre par pays identifie les problèmes majeurs en matière de droits humains, examine la liberté dont jouissent les défenseurs locaux des droits humains pour mener à bien leur travail, et analyse la réponse des principaux acteurs internationaux, notamment les Nations unies, l'Union européenne, le Japon, les États-Unis, ainsi que diverses organisations et institutions régionales et internationales.

Ce document est le fruit d'un vaste travail d'investigation entrepris en 2008 par l'équipe de chercheurs de Human Rights Watch, généralement en étroit partenariat avec les militants des droits humains dans les pays concernés. Il reflète également le travail de notre équipe chargée du plaidoyer, qui suit de près les développements en matière de politique générale et s'efforce de convaincre les gouvernements et les institutions internationales de mettre fin aux exactions et de promouvoir les droits humains. Les publications de Human Rights Watch, diffusées tout au long de l'année, contiennent des informations plus détaillées sur bon nombre de points soulevés dans les résumés concis qui composent le présent ouvrage. Ces publications sont disponibles sur le site web de Human Rights Watch, www.hrw.org.

A l'instar des années précédentes, ce rapport ne présente pas de chapitre sur chaque pays où travaille Human Rights Watch et il ne se penche pas sur chaque question importante. Le fait de ne pas inclure un pays ou un problème déterminé n'est souvent que le reflet de limitations en termes de personnel et ne devrait pas être compris comme une interprétation de l'importance d'un problème. Nombreuses sont les violations des droits humains que Human Rights Watch n'est tout simplement pas en mesure de traiter.

Les facteurs que nous avons pris en compte pour définir les points centraux de notre travail en 2008 (et donc le contenu de cet ouvrage) sont notamment le nombre de personnes affectées et la gravité des exactions commises, l'accès au pays et la disponibilité des informations qui s'y rapportent, la possibilité d'influencer les forces qui perpètrent les exactions, l'importance de certaines questions thématiques et le besoin de renforcer le travail des organisations locales de défense des droits humains.

Le Rapport mondial ne contient pas de chapitres séparés concernant notre travail thématique mais il inclut ces questions directement dans les chapitres relatifs aux pays. Si vous souhaitez de plus amples informations sur notre travail concernant les droits des enfants, les droits des femmes, les armes et les questions militaires, le commerce et les droits humains, le VIH/SIDA et les droits humains, la justice internationale, le terrorisme et le contre-terrorisme, les réfugiés et les personnes déplacées, les droits des lesbiennes, homosexuels, bisexuels et transgenres, ainsi que sur nos festivals internationaux du film, n'hésitez pas à consulter le site web de Human Rights Watch.

Kenneth Roth est le directeur exécutif de Human Rights Watch.