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La situation des droits humains en Syrie, déjà médiocre, s'est encore détériorée en 2009. Les autorités ont arrêté des militants politiques et des droits humains, censuré des sites web, arrêté des blogueurs et imposé des interdictions de voyager. Aucun parti politique n'est autorisé. L'Etat d'urgence, décrété en 1963, demeure en vigueur et les multiples agences de sécurité syriennes continuent à arrêter des personnes sans mandat d'arrêt. La Cour suprême de sûreté de l'Etat, un tribunal d'exception dénué de presque toutes garanties de procédure, a rouvert des procès en mars 2009, après huit mois de suspension.

Les politiques répressives de la Syrie à l'égard de sa minorité kurde continuent. Les agences de sécurité ont empêché les rassemblements politiques et culturels, et régulièrement elles arrêtent et jugent des militants kurdes qui réclament davantage de droits politiques et la reconnaissance de la culture kurde.

Arrestations et procès de militants politiques

La Cour suprême de sûreté de l'Etat a condamné plus de 45 personnes en 2009 pour divers motifs, notamment pour appartenance à l'organisation interdite des Frères musulmans, militantisme kurde, appartenance à des groupes politiques non autorisés et critique du gouvernement indépendante. Le 4 février, la sécurité politique a arrêté deux membres du Parti communiste pour avoir recueilli des signatures en opposition à un décret gouvernemental imposant de nouvelles restrictions sur les transactions immobilières dans les zones frontalières. Trois mois plus tard, le 21 mai, la sécurité politique a arrêté cinq membres du Parti du travail communiste lors d'une réunion chez un des membres de ce parti. Au moment de la rédaction de ce rapport, ils se trouvaient tous encore en détention.

Le 15 mars, un tribunal pénal de Damas a condamné l'écrivain et analyste politique Habib Saleh à trois ans de prison pour « propagation de fausses informations » et « affaiblissement du sentiment national » pour avoir écrit des  articles critiquant le gouvernement et défendant une figure de l'opposition, Riad al-Türk.

Douze leaders de la Déclaration de Damas, une coalition éminente de groupes d'opposition, continuent de purger des peines de 30 mois d'emprisonnement imposées en octobre 2008 après leur participation à une réunion politique. Riad Seif, 62 ans, ancien membre du parlement qui est en mauvaise santé, figure parmi ces douze détenus. Un tribunal criminel de Damas a jugé Walid al-Bunni, un autre de ces 12 détenus, pour avoir exprimé des critiques à l'égard du gouvernement depuis sa cellule, mais l'a acquitté de ce nouveau chef d'inculpation le 17 juin.

En mars 2009, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a conclu que l'emprisonnement de Kamal al-Labwani était arbitraire ; ce médecin, fondateur du Rassemblement libéral démocratique, purge une peine de 15 ans d'emprisonnement pour avoir plaidé pour des réformes pacifiques.

Les autorités ont libéré l'écrivain reconnu Michel Kilo et le militant politique Mahmud Issa, en mai et juin respectivement, après qu'ils eurent tous deux purgé une peine de trois ans de prison pour avoir signé une pétition appelant à ce que les relations entre la Syrie et le Liban soient basées sur le respect mutuel de leur souveraineté.

Liberté d'expression et militantisme de la société civile

La Syrie ne dispose pas de presse indépendante. Le gouvernement a étendu aux activités en ligne les restrictions qu'il impose aux autres médias. La censure internet des sites web politiques est générale et s'étend à des sites web populaires comme Blogger (outil de publication de blogs de Google), Facebook et YouTube.

Le 13 septembre, la Cour suprême de sûreté de l'Etat a condamné le blogueur Karim Arbaji à trois ans de prison sur l'accusation de « propagation de fausses informations qui affaiblissent le sentiment national ». Karim Arbaji était le modérateur d'un forum en ligne populaire auprès des jeunes, akhawia.net, qui contenait des critiques à l'égard du gouvernement.

Egalement le 13 septembre, les forces de sécurité ont fermé le bureau de Mazen Darwish, président du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM), sans fournir aucune explication ni ordre légal.

Au mois d'avril, un procureur militaire a accusé l'avocat des droits humains Khalil Matouk d' « insultes au président et aux administrations publiques » et d'« incitation à des conflits sectaires » après que Matouk eut appelé à l'ouverture de poursuites judiciaires contre des fonctionnaires de sécurité soupçonnés d'avoir tué son neveu en octobre 2008 et qui auraient poursuivi des contrebandiers. Le procès de Matouk est en cours au moment où nous écrivons.

Le 28 juillet 2009, la sûreté de l'Etat a détenu Muhannad al-Hasani, président de l'Organisation syrienne des droits de l'homme (Swasiah), et deux jours plus tard un juge d'instruction l'a inculpé d'« affaiblissement du sentiment national » et de « propagation d'informations fausses ou exagérées » en relation avec son travail d'observation judiciaire de la Cour suprême de sûreté de l'Etat. Son procès est en cours. Le 10 novembre, le Barreau syrien a pris la décision de le radier définitivement du barreau.

Le 14 octobre, la sûreté de l'Etat a détenu Chatham al-Male, 78 ans, un éminent avocat des droits humains, après son apparition sur une chaîne de télévision de l'opposition où il a critiqué la répression de la liberté d'expression en cours en Syrie. Le 3 novembre, un juge militaire l'a inculpé de « propagation d'informations fausses ou exagérées qui affaiblissent le sentiment national ». Son procès est en cours.

Le gouvernement continue à empêcher des militants de se rendre à l'étranger, et dans certains cas, leurs familles aussi. Parmi les militants des droits humains que les services de sécurité ont empêché de voyager en 2009 figurent Musa Shanani, avocat, Abdel Karim Rehaoui, président de la Ligue syrienne des droits de l'homme, Abdel Rahim Ghamaza, avocat de l'Organisation nationale pour les droits humains, et Najib Dadam, membre du conseil de l'Association des droits humains de Syrie. Le SCM a publié un rapport en février énumérant 417 militants politiques et des droits humains frappés d'une interdiction de voyager.

Tous les groupes syriens de défense des droits humains restent non autorisés, puisque les fonctionnaires rejettent systématiquement leurs demandes d'enregistrement. L'Organisation nationale pour les droits humains a contesté devant un tribunal administratif la décision du ministère des Affaires sociales et du Travail de rejeter sa demande d'enregistrement. Le ministère a réagi en demandant à ce que les membres de l'organisation fassent l'objet de poursuites judiciaires.

Détention arbitraire, disparition forcée et torture

Les multiples services de sécurité de la Syrie continuent d'arrêter des personnes sans mandat d'arrestation et refusent fréquemment de révéler pendant des semaines et parfois des mois les lieux où elles sont détenues -ce qui revient de fait à leur disparition forcée. Le sort d'au moins 10 hommes de la région de Deir al-Zawr détenus en août 2008, à cause de liens supposés avec les Islamistes, demeure inconnu. Les autorités ont aussi gardé le silence quant au sort d'au moins huit Kurdes détenus depuis septembre 2008 à cause de liens supposés avec un mouvement séparatiste kurde.

Comme les années précédentes, le gouvernement n'a pas reconnu l'implication des forces de sécurité dans la « disparition » d'environ 17 000 personnes, membres pour la plupart de l'organisation des Frères musulmans, et d'autres militants syriens détenus par le gouvernement à la fin des années 70 et au début des années 80, ainsi que de centaines de Libanais et de Palestiniens détenus en Syrie ou enlevés au Liban. On est toujours sans nouvelles de la grande majorité de ces personnes et on pense que nombre d'entre elles ont été tuées.

Plus d'un an après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des émeutiers détenus de la prison de Sednaya, en tuant au moins neuf, le gouvernement n'a divulgué aucune information sur les victimes. Les autorités n'ont pas relâché Nizar Rastanawi, militant éminent des droits humains qui devait achever de purger une peine de quatre ans d'emprisonnement à Sednaya le 18 avril 2009, et il n'y a aucune information quant à son état de santé ni au lieu où il se trouve.

Human Rights Watch a reçu de nombreux signalements de mauvais traitements et d'actes de torture commis par des agences de sécurité. Le 10 janvier 2009, les services de sécurité ont rendu à sa famille le corps de Muhammad Amin al-Shawa, 43ans, qui avait été placé en détention en août 2008. Selon des groupes syriens de défense des droits humains, il est mort sous la torture. Dix militants kurdes ont déclaré à Human Rights Watch que des membres des agences de sécurité les avaient torturés en 2009.

Discrimination et répression contre les Kurdes

Les Kurdes, principale minorité ethnique non-arabe de Syrie, font toujours l'objet de discrimination systématique, notamment le refus arbitraire de la nationalité à environ 300 000 Kurdes nés en Syrie. Les autorités répriment les expressions de l'identité kurde et interdisent l'enseignement de la langue kurde dans les écoles. Le 28 février 2009, les forces de sécurité ont dispersé violemment des Kurdes qui s'étaient rassemblés pour protester contre le décret limitant les transactions immobilières dans les zones frontalières, et ont ensuite placé 21 manifestants en détention. En mars, la police a empêché la tenue d'un événement musical organisé par un parti politique kurde à Qamishli, et les forces de sécurité ont interrompu des rassemblements pour célébrer le Nouvel An kurde à Qamishli et Derbassiyeh.

Les forces de sécurité ont détenu au moins neuf éminents leaders politiques kurdes en 2009, notamment le 10 janvier Mustapha Juma, secrétaire général intérimaire du parti Azadi. Le 14 avril, un tribunal militaire a condamné deux leaders du parti Yekiti, Fuad Aliko et Hasan Saleh, à 8 et 13 mois de prison respectivement pour appartenance à une organisation politique non autorisée. Le 11 mai, un tribunal pénal a condamné Mesh al Tammo, porte-parole du Mouvement futur kurde en Syrie, à trois ans et demi d'emprisonnement pour « affaiblissement des sentiments nationaux » et « diffusion de fausses informations ». Le  20 octobre, un tribunal pénal a condamné Ibrahim Berro, un leader du parti Yekiti, à huit mois de prison pour appartenance à une organisation politique non autorisée.

Droits des femmes et des filles

La constitution syrienne garantit l'égalité de genre, et de nombreuses femmes sont actives dans la vie publique, mais les lois relatives au statut de la personne ainsi que le code pénal comportent des dispositions qui discriminent contre les femmes et les filles. Le 5 juin, les médias syriens ont révélé que le ministère de la Justice avait soumis un nouveau projet de loi relative au statut de la personne qui gardait toujours intactes des clauses discriminatoires contre les femmes, par exemple le refus du droit pour les femmes mariées avec des non-Syriens de transmettre leur nationalité à leurs maris et à leurs enfants, ainsi que l'obligation pour les femmes d'obtenir la permission d'un homme pour voyager à l'étranger et pour travailler en dehors de la maison. Après de nombreuses protestations de la part des groupes syriens défendant les droits des femmes, le Président Bashar al-Asad a annulé le projet de loi en juillet.  

Le 1er juillet, le Président al-Asad a amendé le code pénal afin d'exiger une peine minimum de deux ans de prison pour les crimes dits d' « honneur ». Si le nombre de crimes d'honneur est inconnu, l'Observatoire syrien des femmes, un groupe non autorisé, en a documenté au moins 12 en 2009, dont le meurtre d'une jeune femme de 18 ans au mois d'août par son père parce qu'un voisin avait tenté de la violer.

Situation des réfugiés qui fuient l'Irak

La Syrie accueille plus de réfugiés irakiens que n'importe quel autre pays. La résurgence de la violence en Irak a poussé les Irakiens à continuer d'arriver en Syrie. Au cours du premier semestre 2009, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a enregistré officiellement 19 000 nouveaux réfugiés irakiens, ce qui porte le nombre total de réfugiés irakiens enregistrés à 210 000. Ces chiffres ne représentent qu'une partie des Irakiens en Syrie, et leur nombre réel pourrait atteindre entre 1 et1,5 million. La Syrie donne aux réfugiés irakiens, enregistrés ou pas, accès aux hôpitaux et écoles publics, mais leur interdit de travailler. Si la Syrie a généralement gardé ses portes ouvertes aux réfugiés irakiens, depuis 2007 elle a mis en œuvre des conditions requises pour l'entrée plus restrictives. La Syrie a renvoyé par la force en Irak des réfugiés irakiens qu'elle accusait d'avoir commis des actes criminels ou de travailler illégalement.

La Syrie continue à refuser l'entrée dans le pays aux Palestiniens qui fuient l'Irak. Au moment où nous écrivons, 2 700 d'entre eux au moins vivent dans des camps de fortune dans le no man's land situé entre les points de contrôle de la frontière entre l'Irak et la Syrie. Le Chili et la Suède ont accepté de réinstaller quelques-uns de ces réfugiés.

Acteurs internationaux clés

L'isolement diplomatique de la Syrie s'est encore atténué en 2009, avec les visites à Damas d'au moins neuf hauts représentants étrangers, dont le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et l'envoyé des Etats-Unis, George Mitchell.  La reprise des liens a eu cependant peu d'impact sur le bilan de la  Syrie en matière de droits humains. Pendant l'année 2009, le Parlement européen a publié des déclarations exprimant sa préoccupation à propos de la situation des droits humains en Syrie, mais cela n'a pas empêché les progrès vers la signature d'un Accord d'association, processus qui avait été gelé à la suite de l'assassinat du Premier ministre libanais Rafik Hariri en février 2005.