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El Salvador : Abus généralisés sous l'état d'urgence

Parmi les exactions figurent des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture et des décès en détention

Des policiers salvadoriens contrôlaient les papiers d’identité de deux hommes qu’ils ont fait sortir d’un bus, lors d'une opération visant à identifier et arrêter des membres de gangs à Santa Ana, au Salvador, le 30 juin 2022. © 2022 Camilo Freedman/NurPhoto via AP

(New York, le 7 décembre 2022) – Les forces de sécurité salvadoriennes ont commis des violations généralisées des droits humains depuis l'adoption de l'état d'urgence décrété fin mars 2022, en réponse à un pic de violence des gangs, ont déclaré Human Rights Watch et l’organisation non gouvernementale Cristosal dans un rapport conjointement publié aujourd'hui.

Le rapport de 89 pages, intitulé « ‘We Can Arrest Anyone We Want’: Widespread Human Rights Violations Under El Salvador’s ‘State of Emergency » (« “Nous pouvons arrêter qui nous voulons” : Violations généralisées des droits humains sous l'état d'urgence au Salvador »), documente des détentions arbitraires massives, des actes de torture et d'autres formes de mauvais traitements contre des détenus, des disparitions forcées, des décès lors de la garde à vue, ainsi que des poursuites judiciaires abusives. L’affaiblissement rapide de l'indépendance judiciaires sous l’impulsion du président Nayib Bukele depuis son entrée en fonction à la mi-2019 a facilité ces abus.

« Les forces de sécurité salvadoriennes ont soumis des communautés vulnérables à des violations généralisées des droits humains au nom de la sécurité publique », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Pour mettre fin à la violence des gangs et aux violations des droits humains, le gouvernement salvadorien devrait remplacer l'état d'urgence par une politique de sécurité efficace et respectueuse des droits de tous les Salvadoriens. »

Depuis l'adoption de l'état d'urgence, des policiers et militaires ont mené des centaines de raids de manière parfois indiscriminée, notamment dans les quartiers populaires, arrêtant plus de 58 000 personnes, dont plus de 1 600 mineurs. Les agents ont souvent ciblé des communautés à faible revenu où les habitants ont, pendant des années, souffert d'insécurité et manqué d'opportunités économiques et éducatives.

Entre mars 2022 et novembre 2022, Human Rights Watch et Cristosal ont mené des entretiens avec plus de 1 100 personnes des 14 États du Salvador, y compris lors d'une visite de Human Rights Watch dans le pays en octobre. Il s’agissait notamment de victimes d'abus et de leurs proches, d’avocats, de témoins et de représentants du gouvernement. Les chercheurs ont également examiné divers dossiers juridiques et médicaux, ainsi que des certificats de décès, et ont consulté des experts internationaux du Groupe indépendant d'experts médico-légaux (Independent Forensic Expert Group, IFEG) au sujet de certains cas.

Human Rights Watch et Cristosal ont constaté que des policiers et soldats avaient commis des violations similaires à plusieurs reprises, dans tout le pays et pendant plusieurs mois. Les politiques officielles et la rhétorique des autorités gouvernementales de haut niveau ont dans certains cas créé des incitations aux abus, y compris, parfois, en exigeant des agents qu'ils arrêtent quotidiennement un nombre donné de personnes.

Le président Bukele a publiquement soutenu les forces de sécurité et tenté d'intimider les quelques juges et procureurs indépendants du pays qui pourraient enquêter sur les violations. Il a également encouragé une rhétorique déshumanisante contre les détenus et leurs familles, et stigmatisé les journalistes indépendants et les groupes de la société civile qui dénoncent les abus.

Les autorités salvadoriennes n'ont signalé aucun progrès dans l'enquête sur les violations des droits humains commises pendant l'état d'urgence.

Les arrestations massives et souvent indiscriminées ont conduit à la détention de centaines de personnes sans aucun lien apparent avec les activités criminelles des gangs. Dans de nombreux cas, les détentions semblent être fondées sur l'apparence et l'origine sociale des détenus ou sur des preuves douteuses. Des policiers et soldats n'ont pas montré de mandat de perquisition ou d'arrestation, et n’ont que rarement informé les personnes arrêtées ou les membres de leurs familles des motifs de leur arrestation.

Dans certains cas, les agents ont refusé de fournir à la famille d’une personne arrêtée des informations sur le lieu de sa détention, ce qui équivaut à une disparition forcée au regard du droit international.

Dans plusieurs cas, les juges et les procureurs n’ont pas respecté les normes d'une procédure régulière en vertu du droit international, violant les droits humains des détenus et rendant difficile, voire impossible, pour eux de se défendre de manière adéquate pendant les procédures pénales. Certaines audiences ont été collectivement menées pour des groupes de 500 détenus. Plus de 51 000 personnes ont été envoyées en détention provisoire en vertu de lois salvadoriennes récemment approuvées, en violation du droit international relatif aux droits humains.

La population carcérale est passée de 39 000 en mars 2022 à environ 95 000 détenus en novembre, soit plus de trois fois la capacité officielle. Des milliers de personnes ont été détenues au secret pendant des semaines ou des mois, ou n'ont été autorisées à voir leur avocat que pendant quelques minutes avant leurs audiences.

Certaines personnes qui ont fini par être libérées ont décrit des conditions de détention inhumaines et, dans certains cas, des actes de torture et d'autres formes de mauvais traitements. En outre, 90 personnes sont mortes en détention, dans des circonstances qui n'ont pas encore fait l'objet d'une enquête approfondie.

L'administration Bukele et l'Assemblée législative devraient adopter des mesures durables et respectueuses des droits pour démanteler les gangs et protéger la population de leurs abus, ont déclaré Human Rights Watch et Cristosal. Il s'agit notamment de s'attaquer aux causes profondes de la violence des gangs, y compris les niveaux élevés de pauvreté et d'exclusion sociale, et de mener des poursuites pénales stratégiques axées sur la poursuite des chefs de gangs de haut niveau et sur les enquêtes concernant des crimes violents.

L'administration du président américain Joe Biden et l'Union européenne devraient, en coordination avec les gouvernements d'Amérique latine, renforcer la pression pour attirer l'attention sur la situation au Salvador, y compris au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.

Les gouvernements étrangers et les institutions financières internationales, en particulier la Banque centraméricaine d'intégration économique (Banco Centroamericano de Integración Económica, BCIE), devraient suspendre les prêts dont bénéficient les entités gouvernementales directement impliquées dans les abus, y compris la police nationale civile, les forces armées, le Bureau du procureur général et l’administration pénitentiaire.

Les gouvernements étrangers devraient également intensifier leurs efforts pour soutenir les journalistes indépendants et les groupes de la société civile au Salvador.

Communiqué complet en anglais : en ligne ici.

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