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République centrafricaine : Une unité de police a tué 18 personnes de sang-froid

Il faut enquêter sur l’ancien commandant de l’OCRB impliqué dans des exactions

(Nairobi) – Des membres d’une unité spéciale de lutte contre la criminalité en République centrafricaine ont exécuté illégalement au moins 18 personnes, et peut-être plus, entre avril 2015 et mars 2016, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Robert Yékoua-Ketté, l’ancien directeur de l’Office central de répression du banditisme (OCRB), basé à Bangui, République centrafricaine.  © 2015 Kangbi-Ndara

L’ancien directeur de cette unité, l’Office central de répression du banditisme (OCRB), Robert Yékoua-Ketté, qui a été démis de ses fonctions le 8 juin, serait directement impliqué dans 13 incidents, et devrait faire l’objet d’une enquête en vue de poursuites.

« Le gouvernement a eu raison de destituer Yékoua-Ketté, en tant que premier pas dans la lutte contre l’impunité, mais des habitants l’ont vu lui et ses hommes tuer des gens au grand jour », a déclaré Lewis Mudge, chercheur auprès de la division Afrique à Human Rights Watch.  « Les Centrafricains ne pourront croire au principe de l’État de droit et vivront dans la peur de l’OCRB tant que l’homme qu’ils ont vu tuer des personnes ne sera pas traduit en justice. » 

Des témoignages indiquent que sur les 18 exécutions, Yékoua-Ketté en a personnellement mené une, ordonné cinq autres et qu’il était présent lors de l’arrestation par l’OCRB de sept hommes exécutés par la suite.

Le gouvernement centrafricain devrait rapidement ouvrir une enquête efficace et transparente sur toutes les exécutions extrajudiciaires qui auraient été commises par l’OCRB, qui opère dans la capitale, Bangui, a déclaré Human Rights Watch. Compte tenu de ses longs antécédents en matière d’implications dans des exactions, si l’enquête établit la responsabilité de cette unité de police pour des crimes graves, le gouvernement devrait envisager sa dissolution. Les bailleurs de fonds, notamment l’Union européenne, la France, et les États-Unis, qui œuvrent avec le gouvernement centrafricain à rétablir la sécurité et l’État de droit, devraient veiller à ce que la priorité soit donnée au fait de rendre des comptes.

Entre novembre 2015 et avril 2016, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 47 personnes au sujet des exactions commises par l’OCRB, parmi lesquelles des témoins d’arrestations par des agents de l’OCRB, des témoins des exécutions, et des membres des familles des victimes.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont documenté 18 incidents d’exécutions par l’OCRB et ont reçu des informations crédibles concernant 12 autres personnes tuées de manière semblable entre mars 2015 et mars 2016. Une victime, Samson Ndakouzou, âgée de 14 ans, avait été accusée de vol. Des témoins ont déclaré que le garçon avait été emmené avec une autre victime sur un terrain vague où les hommes de Yékoua-Ketté lui ont tiré une balle dans le dos et à la gorge alors qu’il avait les mains liées dans le dos.

En février 2016, Human Rights Watch a partagé ses recherches sur ces exécutions avec de hauts responsables de la police qui n’ont pas contesté les conclusions.

Bien que certaines victimes semblent avoir été liées à des activités criminelles, Human Rights Watch a conclu que les circonstances de leur arrestation ou de leur exécution ne justifiaient pas l’emploi de la force létale et que les meurtres constituaient des exécutions extrajudiciaires en violation du droit international.

Selon des témoins, Romaric Vounbo, âgé de 28 ans et père de deux enfants, a été exécuté par Yékoua-Ketté directement le 28 octobre 2015. Ils ont déclaré à Human Rights Watch que Yékoua-Ketté lui avait tiré dans le ventre à deux reprises. L’un des témoins a ajouté que, comme il ne s’écroulait pas : « Yékoua-Ketté a dit à Romaric Vounbo d’ouvrir la bouche, mais il [Vounbo] a refusé. Yékoua-Ketté lui a mis son revolver dans la bouche par la force et a tiré. Sa cervelle a explosé à l’arrière de son crâne. »

Une autre victime, Urie Kolaba, âgée de 20 ans, a été arrêtée le 22 octobre et retenue dans les locaux de l’OCRB. Un témoin a expliqué : « Yékoua-Ketté a demandé à Urie de dire ses derniers mots à ses parents, mais Urie a déclaré qu’il n’avait rien à dire. Yékoua-Ketté lui [Kolaba] a alors ordonné de se tourner et l’un de ses agents lui a tiré dans la tête. » Human Rights Watch a vu des clichés d’Urie Kolaba pris à la morgue sur lesquels il apparaît qu’on lui a tiré dans l’œil droit.

Des membres parmi les familles de certaines victimes ont affirmé à Human Rights Watch que Yékoua-Ketté lui-même leur avait dit que leurs proches avaient été tués tandis qu’ils étaient sous la garde de l’OCRB. Yékoua-Ketté a dit à un proche d’Urie Kolaba qu’il n’était plus dans les locaux de l’OCRB, mais que son corps se trouvait à la morgue.

Yékoua-Ketté a personnellement arrêté une autre victime, Cyril Ndourogbo, le 14 janvier 2016. Des proches ont rapporté que le 16 janvier, Yékoua-Ketté leur avait déclaré qu’il « étai[t] à sa recherche [Ndourogbo]. Quand je l’ai eu, je l’ai tué. Vous trouverez son corps dans un sac sur le fleuve Oubangui. »

Dans d’autres cas, Human Rights Watch a été en mesure de confirmer grâce à des témoins oculaires que l’OCRB avait arrêté la victime avant que son corps ne soit retrouvé soit le jour même soit quelques jours plus tard sur les rives du fleuve Oubangui. Human Rights Watch a également documenté deux cas et entendu parler de plusieurs autres, dans lesquels les familles des prisonniers avaient été forcées de verser un pot-de-vin à Yékoua-Ketté pour obtenir la libération de leurs proches de la prison de l’OCRB.

Human Rights Watch a établi que 16 des victimes n’étaient pas armées lors de leur arrestation et qu’elles ne présentaient aucune menace pour la vie des policiers ou du public. Deux victimes auraient été armées au moment de leur arrestation avant d’être désarmées par les policiers, puis exécutées ultérieurement. Deux autres victimes étaient suspectées de jet de grenades lors d’une tentative de vol, blessant au moins cinq personnes, mais n’étaient pas armées lors de leur arrestation et exécution. Human Rights Watch a corroboré qu’au moins cinq individus dont Samson Ndakouzou, 14 ans, avaient été détenus dans un cachot de l’OCRB avant d’être sommairement exécutés.

Rangée du haut, de gauche à droite : Alfred Yawi (tué entre le 24 et le 26 avril 2015) ; Nathan Badi (tué le 31 juillet 2015) ; Emmanuel Régavé (tué le 22 octobre 2015) ; Urie Kolaba (tué le 24 octobre 2015) Rangée du milieu, de gauche à droite : Romaric Vounbo (tué le 28 octobre 2015) ; Jordi Befio (tué entre le 5 et le 7 décembre 2015) ; Raymond Gongalut (tué le 24 ou le 25 décembre 2015) ; Senele Ombade (tué le 10 janvier 2016) Rangée du bas, de gauche à droite : Rufen Balekouzou (tué entre le 17 et le 20 janvier 2016) ; Jean-Noël Bebona (tué le 27 janvier 2016) ; Gervais Magna (tué le 4 novembre 2015) ; Hervé Zangouli (tué le 4 ou le 5 mars 2016) © 2016 Privé

Human Rights Watch a rencontré Yékoua-Ketté en novembre 2015. Il avait alors déclaré que les taux de criminalité à Bangui avaient augmenté, en particulier depuis une évasion de la prison centrale de Ngaragba à Bangui et qu’il avait « trop de travail à faire avec trop peu de moyens », mais qu’il veillait à ce que ses hommes opèrent dans le cadre de la loi.

Human Rights Watch a partagé les conclusions de ses recherches avec le gouvernement transitoire et a demandé la suspension de ses fonctions de Yékoua-Ketté ainsi que l’ouverture d’une enquête le concernant dans une lettre confidentielle en date du 29 mars 2016. Human Rights Watch a réitéré sa demande dans une lettre datée du 26 avril 2016 adressée au gouvernement actuel, entré en fonction le 30 mars 2016.

L’organisation n’a reçu aucune réponse des autorités gouvernementales de transition. Toutefois, des membres haut placés du gouvernement actuel ont assuré à Human Rights Watch que des mesures seraient prises pour démettre Yékoua-Ketté de ses fonctions. Depuis, de hauts représentants de la justice ont déclaré à Human Rights Watch être prêts à enquêter sur les exécutions et à entamer des poursuites judiciaires si les allégations étaient fondées.

« Robert Yékoua-Ketté et ses hommes ont clairement pensé qu’ils pouvaient exécuter les gens en toute impunité », a déclaré Lewis Mudge. « Le nouveau gouvernement, soutenu par la communauté internationale, a pris la bonne décision en démettant Yékoua-Ketté de ses fonctions. Mais il doit à présent montrer aux Centrafricains que même les commandants "intouchables" devront rendre des comptes. »

La composante des droits humains de la MINUSCA, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en République centrafricaine, a enquêté sur les exécutions perpétrées par l’OCRB depuis mars 2015 et a soulevé le problème à plusieurs reprises, tant de manière informelle que dans le cadre de correspondances officielles avec les autorités de transition et le nouveau gouvernement. Yékoua-Ketté a reconnu devant des représentants de la MINUSCA avoir ordonné l’exécution d’au moins deux hommes, Nathan Badi et Saint-Cyr Dezoua, tous deux tués par des agents de l’OCRB dans le quartier Miskine, le 31 juillet 2015.

Le droit international et celui de la République centrafricaine interdisent les exécutions arbitraires et sommaires de détenus ou de suspects. Les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application de la loi exigent de ces derniers le recours à des moyens non violents dans la mesure du possible et celui à la force meurtrière seulement pour protéger des vies humaines. Ces principes exigent également des gouvernements de veiller à ce que l’utilisation arbitraire ou abusive de la force et des armes à feu par les responsables de l’application de la loi soit punie par la législation comme une infraction passible de sanctions pénales.

Plusieurs membres des familles des victimes ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils poursuivraient Yékoua-Ketté devant les tribunaux locaux s’ils se sentaient en sécurité pour ce faire. Le mandat de la MINUSCA inclut le soutien à la police nationale et aux institutions judiciaires. Il pourrait aussi englober la protection des témoins dans le cadre d’affaires sensibles comme les poursuites engagées contre Yékoua-Ketté pour meurtres commis par lui-même ou des hommes placés sous son commandement.

La MINUSCA devrait prêter assistance au gouvernement national en matière de justice, d’enquête et de protection dans le cadre de ses efforts pour que l’OCRB ait à répondre de ses actes.

« C’est une bonne chose que Yékoua-Ketté ait été démis de ses fonctions, mais cela ne doit pas s’arrêter là », a déclaré le père d’une victime à Human Rights Watch. « J’ai la photo de mon fils sur moi et je la garderai sur moi jusqu’au jour où Yékoua-Ketté comparaîtra devant un juge pour expliquer pourquoi il a assassiné mon fils de sang-froid. »

Pour davantage d’informations sur les exactions commises par l’OCRB, veuillez lire la suite.

L’OCRB

L’OCRB est une unité spéciale de la police créée pour s’occuper de la montée du banditisme à la suite d’une série de mutineries de l’armée en 1996 et 1997. L’unité a été principalement active à Bangui. De 2006 à 2013, elle a été impliquée dans des actes de détention illégale, de torture et des meurtres extrajudiciaires, y compris dans la disparition hautement médiatisée de Jean Bianga, chauffeur de l’ancien ministre des Finances, en 2012.

En décembre 2015, la MINUSCA a publié un rapport sur les droits humains dans lequel elle a souligné l’arrestation et le passage à tabac de 21 enfants des rues par l’OCRB. Les enfants ont été détenus pendant deux jours, puis relâchés.

Une rue de Bangui, la capitale de la République centrafricaine.  © 2016 Reuters

Le siège de l’OCRB est situé dans le centre de Bangui, près du PK0, mais il dispose de représentants dans les bureaux de police de Damala, 92 Logements, Ngouciment, PK13, Bangouma, et Katine Plateau.

Yékoua-Ketté a été nommé directeur de l’OCRB par un décret de la présidente de transition, Catherine Samba-Panza, en février 2015, alors que le pays sortait de plus deux ans de conflit sectaire prolongé. La violence était particulièrement extrême à Bangui, où des combats de grande envergure se sont déroulés pas plus tard qu’en novembre 2015. La criminalité de rue a également augmenté pendant le conflit.

Bien que d’autres allégations d’abus par l’unité de lutte contre la criminalité précèdent la nomination de Yékoua-Kétté au poste de directeur, Human Rights Watch a constaté une vague de meurtres depuis sa prise de fonction début 2015.

Pendant sa direction, Yékoua-Ketté a été affublé du titre de « shérif de Bangui » à cause de sa réputation de tuer des criminels présumés sur-le-champ et de son habitude de porter un chapeau de cowboy. Yékoua-Ketté est lieutenant dans l’armée nationale, mais s’est déclaré colonel et a rejoint les rangs de la Séléka, une coalition de rebelles principalement musulmans ayant contrôlé Bangui de mars 2013 à janvier 2014. Le règne de la Séléka a été marqué par de graves violations des droits humains.

Victimes d’exécutions extrajudiciaires commises par l’OCRB entre avril 2015 et mars 2016

Alfred Yawi, tué entre le 24 et le 26 avril 2015

Âgé de 35 ans et père de quatre enfants, Alfred Yawi a été arrêté par Yékoua-Ketté et des agents de l’OCRB hors de son domicile près du quartier PK13 à Bangui, dans le début de l’après-midi du 24 avril. Yawi n’a pas résisté à l’arrestation, a rapporté un témoin. Un membre de la famille a déclaré : « Nous savions qu’il avait été emmené dans les locaux de l’OCRB, mais nous ne sommes pas allés le chercher car il est difficile, voire dangereux, de s’y rendre pour parler au "shérif de Bangui" sans avoir été invité. »

Deux jours plus tard, des membres de la famille ont entendu une annonce à la radio indiquant qu’un corps avait été retrouvé au bord du fleuve Oubangui dans le 2e arrondissement. Des membres de la famille ont identifié le corps comme étant celui de Yawi, qui avait apparemment eu les mains liées dans le dos au moment de son exécution. Un témoin qui avait vu l’unité de police l’arrêter a affirmé : « Il portait les mêmes vêtements que lorsqu’il a été emmené. Son corps avait déjà commencé à se décomposer, nous n’avons donc pas eu d’autre choix que de l’emmener au cimetière. »

Nathan Badi et Saint-Cyr Dezoua, tués le 31 juillet 2015

Des témoins ont vu Nathan Badi, 28 ans, et Saint-Cyr Dezoua, 25 ans, fuir en courant un véhicule de l’OCRB dans le quartier Miskine le 31 juillet 2015. Ils n’étaient pas armés. « Je me trouvais devant une maison près du rond-point lorsque j’ai vu les deux jeunes hommes marcher », a déclaré un témoin. « Je connaissais Saint-Cyr. Un pick-up de l’OCRB s’est arrêté avoir les avoir dépassés et les deux se sont mis à courir. Le véhicule a fait demi-tour et a accéléré à leur poursuite. Environ une minute plus tard, j’ai entendu des coups de feu. Le lendemain matin, j’ai entendu dire dans la rue que les hommes de Yékoua-Kétté avaient tué deux bandits. Je savais qu’ils devaient parler de Saint-Cyr. Je suis allé directement à la morgue et j’ai vu les garçons. Saint-Cyr avait reçu deux balles dans la poitrine. »

Des représentants de la morgue ont indiqué à Human Rights Watch que lorsque les corps ont été déposés, un agent de l’OCRB a déclaré qu’il s’agissait de voleurs. D’autres sources ont rapporté que les hommes avaient été accusés d’avoir jeté une grenade pendant un cambriolage dans le quartier 36 Villas, causant cinq blessés.

Emmanuel Régavé et Isaac, tués le 22 octobre 2015

Âgé de 23 ans et père d’un enfant, Emmanuel Régavé a été arrêté par la police en même temps qu’un ressortissant congolais connu sous le nom d’Isaac, le 22 octobre dans le quartier Ouango. Les deux hommes étaient accusés de vol et avaient été identifiés par des personnes locales à la police la nuit précédente. Des témoins ont raconté que la police avait appelé l’OCRB après avoir arrêté Emmanuel Régavé. Ils ont décrit que Yékoua-Ketté était arrivé avec ses hommes et, dès qu’il a vu Emmanuel Régavé, il s’est exclamé « Ah ! Maintenant, tu vas mourir ! »

Le pick-up utilisé par l’Office central de répression du banditisme (OCRB) pour arrêter des criminels présumés dans la capitale de la République centrafricaine, Bangui, y compris plusieurs victimes qui ont été vues vivantes pour la dernière fois à bord de ce véhicule, d’après les témoignages recueillis par Human Rights Watch, et retrouvées mortes par la suite le long des rives du fleuve Oubangui. © 2016 Lewis Mudge/Human Rights Watch

Plus tôt ce jour-là, l’OCRB avait arrêté un complice présumé de Régavé, Urie Kolaba. Kolaba, Régavé et Isaac ont été détenus un court instant devant le domicile de Régavé avant que Yékoua-Ketté n’ordonne à Kolaba de monter dans le pick-up de police, dans lequel se trouvait déjà un voleur présumé de 14 ans, Samson Ndakouzou, selon les affirmations de témoins.

À cet instant, plus d’une dizaine de témoins assistaient à la scène. Des témoins ont déclaré que Yékoua-Ketté avait ordonné à ses hommes de tirer sur Régavé et Isaac alors qu’ils se tenaient hors du domicile de Régavé. Isaac a tenté de s’enfuir lorsqu’il a entendu l’ordre, mais a été rapidement rattrapé. « L’un des hommes de Yékoua-Kétté a tiré deux balles en l’air pour nous faire fuir, puis il a tiré rapidement sur Emmanuel et le Congolais », a rapporté un témoin. « L’OCRB est ensuite parti avec les prisonniers. » Isaac n’était pas mort, selon les dires d’un autre témoin : « Il était vivant, il pouvait demander de l’eau. L’OCRB est revenu environ 30 minutes plus tard pour l’achever. » Les corps ont été laissés par terre.

Samson Ndakouzou et Urie Kolaba, tués le 24 octobre 2015

Samson Ndakouzou, suspecté de vol, a été arrêté par les autorités locales dans le 7e arrondissement le 22 octobre. Le même jour, il a été remis aux mains de l’OCRB qui l’a gardé en détention dans son quartier général pendant deux jours.

Urie Kolaba a également été arrêté le 22 octobre et emmené au quartier général de l’OCRB après l’exécution d’Emmanuel Régavé et d’Isaac. Un proche est venu rendre visite à Kolaba le 22 et le 23 octobre et a pu lui parler. Il a raconté avoir imploré pour la vie de Kolaba auprès de Yékoua-Ketté, mais ce dernier lui a répondu : « Non, c’était un voleur qui a essayé de voler avec son ami, alors nous le tuerons. » Ce proche a indiqué que Kolaba lui a dit : « Ils disent qu’ils vont me tuer, ils ne s’en cachent pas. J’ai tellement peur. »

Ndakouzou et Kolaba ont été tués dans un secteur du 7e arrondissement appelé le Jardin des fleurs, un terrain vague à proximité de quelques maisons. Un témoin a déclaré que Yékoua-Ketté avait ordonné à ses hommes de tirer dans le dos des deux hommes : « Après avoir tiré sur Urie, ils ont demandé à Samson de se retourner. Il avait les mains attachées dans le dos. Ils lui ont tiré dans le dos et à la gorge. » Le proche qui avait rendu visite à Kolaba en prison a vu son corps à la morgue : « Urie avait reçu trois balles, une dans la tête, une dans le cou et une dans le dos. »

La famille de Ndakouzou a récupéré son corps plus tard à la morgue.

Romaric Vounbo, tué le 28 octobre 2015

Romaric Vounbo, 28 ans, a été arrêté pour vol et détenu à la prison de Ngaragba. Le 28 septembre, il fut l’un des 500 à 700 prisonniers à s’enfuir lors d’une évasion massive. Des passants l’ont identifié le 28 octobre alors qu’il prenait un verre dans un bar de La Kouanga. La police a été mise au courant et est venue l’arrêter. Ses amis l’ont suivi jusqu’au poste de police dans le 2e arrondissement et l’ont vu être embarqué par un véhicule de l’OCRB. Il a été emmené dans la périphérie du 7e arrondissement, près du Jardin des fleurs, où Yékoua-Ketté l’a exécuté.

Un témoin a déclaré :

Nous nous cachions dans les herbes hautes. Les hommes de Yékoua-Kétté ont fait asseoir Romaric sur le sol près du véhicule. Nous avons vu Yékoua-Ketté sortir du pick-up et les gardiens ont dit à [Vounbo] de se lever. Il semblait avoir mal mais il s’est levé. Les hommes l’ont poussé vers Yékoua-Ketté et lui ont ôté ses menottes. Il l’a ensuite forcé à se mettre à genoux. Yékoua-Ketté a pointé un fusil sur lui et a crié « Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que vrai ? Parle maintenant ! » Romaric disait « Je suis désolé, pardonnez-moi ! » Il avait les mains étendues. Yékoua-Ketté lui a tiré dans le ventre, mais Romaric n’est pas tombé. Il a commencé à saigner, mais il n’est pas tombé. Yékoua-Ketté a tiré un deuxième coup, il ne tombait toujours pas. Yékoua-Ketté a secoué la tête et est retourné à sa voiture pour chercher son revolver. Il est revenu... a mis de force son revolver dans la bouche de Romaric et lui a tiré dans la tête.

Un proche de Vounbo a dit : « J’ai vu son corps. L’arrière de sa tête avait explosé. Son visage était intact, mais le crâne était vide. Il avait aussi reçu deux balles dans la poitrine... Comment peuvent-ils arrêter quelqu’un à 16 h et le tuer comme ça à 17 h 30 ? »

Gervais Magna, tué le 4 novembre 2015

Âgé de 33 ans et père de 6 enfants, Gervais Magna dirigeait un groupe anti-balaka, des milices majoritairement chrétiennes et animistes ayant lutté contre la Séléka, dans la province de Lobaye. Le 3 novembre 2016, une fille de 16 ans est morte dans son village et Magna a pris la tête d’un groupe qui accusa une vieille femme d’avoir causé la mort de la fille à coup de sorcellerie. Le groupe a battu la femme à mort. La police a arrêté Magna, qui a résisté à l’arrestation et s’est battu avec la police. La police a appelé Yékoua-Kétté. Un proche de Magna a déclaré : « Nous savions qu’ils avaient appelé l’OCRB, mais nous pensions qu’il serait amené à Mbaïki [la capitale de la province de Lobaye]. »

Des témoins ont affirmé que Yékoua-Ketté est arrivé l’après-midi suivant et a emmené Magna. Les proches de Magna ont tenté d’accompagner le véhicule de l’OCRB mais Yékoua-Ketté ne l’a pas autorisé. L’un de ses hommes a annoncé à la famille : « Suivez-nous jusqu’à Bangui et retrouvez-le au quartier général de l’OCRB. » Le lendemain matin, tandis que la famille collectait de l’argent pour payer les transports jusqu’à Bangui, elle a reçu un appel indiquant que le corps de Magna avait été retrouvé la nuit précédente près d’une plantation forestière le long de la route principale menant à la capitale. « Nous sommes allés dans la zone indiquée et nous avons retrouvé son corps enveloppé dans un tissu », a rapporté un proche. « On lui avait tiré dessus deux fois, une fois dans la tête, une fois dans le dos. »

Jordi Befio, tué entre le 5 et le 7 décembre 2015

Jordi Befio, 19 ans, a été arrêté le 5 décembre par l’OCRB au cours d’une bagarre au marché de Pétévo. Un témoin a déclaré que Yékoua-Ketté est arrivé pendant la lutte et est sorti de son pick-up pour évaluer la situation. Le témoin a expliqué que Befio avait un couteau pendant la lutte, mais l’a lâché immédiatement sur les ordres des agents de l’OCRB. Befio a été arrêté par Yékoua-Ketté et ses hommes. Sa famille l’a cherché sans succès pendant deux jours dans les postes de police locaux, et le 7 décembre, elle a retrouvé son corps le long des rives du fleuve Oubangui dans le 2e arrondissement. Un proche a déclaré : « J’ai vu son corps. Il avait reçu deux balles dans le flanc. Son abdomen et ses intestins ressortaient. Nous avons placé le corps dans un cercueil et nous sommes allés directement l’enterrer car il commençait à se décomposer. Ce n’était pas un criminel. Il a juste pris une mauvaise décision ce jour-là lors de la bagarre. Il ne méritait pas cela. »

Raymond Gongalut, tué le 24 ou le 25 décembre 2015

Âgé d’une cinquantaine d’années et père de trois enfants, Raymond Gongalut, membre présumé d’un groupe anti-balaka, a été arrêté sur sa moto le 24 décembre dans le 8e arrondissement par des agents de l’OCRB. Des témoins ont déclaré que Gongalut tenait une grenade au moment de l’arrestation mais qu’il n’a pas résisté et que les agents de l’OCRB l’ont désarmé sur place sans user de force.

Un proche s’est rendu au quartier général de l’OCRB le jour même pour le voir : « Lorsque nous sommes arrivés à l’OCRB, ils ont confirmé qu’il était là mais ils ne nous ont pas laissés le voir. Le lendemain matin, nous y sommes allés à 6 h du matin. Cette fois encore, nous avons demandé à voir Raymond et l’agent a dit "Nous l’avons emmené à 4 h". J’ai eu peur car cela signifie qu’il faut aller à l’hôpital pour récupérer le corps. Nous sommes allés à l’hôpital et avons trouvé son corps à la morgue. » Il avait reçu quatre balles dans le ventre.

Senele Ombade, tué le 10 janvier 2016

Yékoua-Ketté et des agents de l’OCRB ont arrêté Senele Ombade, chauffeur de taxi moto âgé de 31 ans, le 10 janvier près du carrefour d’Abed Goumba dans le 5e arrondissement, selon les dires de témoins. Les motifs de son arrestation restent obscurs.

Un proche de Ombade a déclaré : « Lorsque j’ai entendu dire qu’il avait été emmené par l’OCRB, je me suis rendu immédiatement au quartier général pour le chercher. Il n’était pas là. Ensuite, alors que j’étais en ville, j’ai entendu dire que des corps avaient été retrouvés à Ouango [un quartier du 7e arrondissement]. Je suis allé à Ouango et j’ai retrouvé son corps sur la route en direction de Kassai. Il avait été jeté là et personne n’avait réclamé le corps. On lui avait tiré dans la tête. »

Cyril Ndourogbo, tué le 14 ou le 15 janvier 2016

Yékoua-Ketté a arrêté Cyril Ndourogbo, âgé de 24 ans et père de deux enfants, lors d’un enterrement dans le quartier UCATEX dans la soirée du 14 janvier. Un témoin a raconté : « Yékoua-Ketté est arrivé et a enfoncé son revolver dans la poitrine de Cyril, puis lui a ordonné de bouger. Je les ai suivis jusqu’au parking et j’ai vu Cyril être embarqué dans le pick-up de l’OCRB. Ils l’ont forcé à s’allonger à l’arrière. Yékoua-Ketté conduisait et ses hommes étaient derrière. » La famille de Ndourogbo s’est rendue au quartier général de l’OCRB le 15 janvier mais n’a pu obtenir aucune information officielle à son sujet. Toutefois, un prisonnier de l’OCRB qu’ils connaissaient de leur quartier leur a dit : « Cyril a été tué hier et son corps a été placé dans un sac. J’ai dû aider à jeter le sac dans le fleuve. »

Le 16 janvier, la famille est retournée dans les locaux de l’OCRB. Plusieurs membres de la famille ont déclaré que Yékoua-Ketté s’est énervé contre eux et a demandé à ses hommes de les faire sortir de force de l’enceinte. Avant qu’ils ne partent, il leur a crié : « J’étais à sa [Ndourogbo] recherche. Quand je l’ai trouvé, je l’ai tué. Vous trouverez son corps dans un sac sur le fleuve Oubangui. » Son corps n’a pas été retrouvé.

Rufen Balekouzou, tué entre le 17 et le 20 janvier 2016

Le 16 janvier, des agents de l’OCRB ont arrêté Rufen Balekouzou, âgé de 32 ans et père de deux enfants, sur son lieu de travail au Kilomètre 5 et l’ont embarqué dans leur véhicule. Le jour suivant, des membres de sa famille ont rendu visite à Balekouzou dans le centre de détention de l’OCRB. « J’ai payé 500 francs (environ 0,85 dollars US) pour parler à Rufen », a expliqué un proche. « Nous avons parlé pendant une heure environ. Il m’a expliqué qu’il était accusé de vol. Il m’a dit "J’ai très peur, les conditions sont très mauvaises ici." »

Lorsque des membres de la famille sont retournés lui rendre visite le 20 janvier, on leur a dit qu’il avait été transféré à la prison centrale de Ngaragba, mais ils n’ont pas pu le trouver là-bas. Plus tard le même jour, ils ont entendu une annonce à la radio indiquant la découverte d’un corps le long du fleuve Oubangui. C’était celui de Balekouzou. Il avait reçu quatre balles.

Faustin Ngoudi, tué aux alentours du 20 janvier 2016

Âgé de 26 ans et père d’un enfant, Faustin Ngoudi, que ses connaissances ont décrit comme un criminel réputé, a été tué par balle par l’OCRB à Kina autour du 20 janvier. « C’était entre 9 h et 10 h du matin », a expliqué un témoin. « C’était après le conflit d’octobre dernier, le quartier avait été abandonné. J’y retournais parfois pour vendre du pain et voir ce qui se passait. À cette heure-là, il était rare de voir un véhicule passer. Alors, lorsque le pick-up de l’OCRB est passé avec des agents à l’arrière, je l’ai remarqué. Juste après son passage, j’ai entendu huit ou neuf coups de feu près du marché de Kokoro... Des personnes sont alors venues de cette direction en courant, en criant que des hommes venaient d’être abattus là-bas. J’ai couru et j’ai vu que Faustin avait été tué par balle. »

Un autre témoin a vu un véhicule de l’OCRB lâcher le corps de Ngoudi près de l’église Notre-Dame de Fatima, plus tard ce jour-là. Faustin Ngoudi avait reçu quatre balles dans le ventre.

Jean-Noël Bebona, tué le 27 janvier 2016

Âgé de 33 ans et père de trois enfants, Jean-Noël Bebona, ancien combattant anti-balaka, a été arrêté et tué par l’OCRB alors qu’il vendait des produits près du marché de Poumale, à l’extérieur du 7e arrondissement. Des témoins l’ont vu implorer pour sa vie avant d’être tué par balle. Un proche a déclaré : « Lorsque nous sommes arrivés à la morgue, un gardien est venu et nous a demandé ce que nous voulions. Je lui ai dit "Nous cherchons un corps qui a été emmené ici par l’OCRB." Il a répondu "Oui, ils ont déposé un corps ici." J’ai vu son corps, il avait reçu une balle dans la tête et dans le dos. »

Romaric Yakoro, tué le 13 février 2016

Romaric Yakoro, 19 ans, alias « Likolo », a été arrêté pour vol la nuit du 12 février par des soldats dans le quartier de Yassi-Mandji. Le 13 février, il a été transféré au poste de l’OCRB à Ngouciment. Yékoua-Ketté est venu le chercher peu de temps après. Un chauffeur de taxi moto qui connaissait Yakoro a déclaré :

Il était aux alentours de 11 h du matin. J’emmenais un client en ville près de l’hôtel Oubangui. Je m’étais arrêté pour prendre de l’essence lorsque j’ai vu le pick-up de l’OCRB passer à toute vitesse. Lorsqu’il est passé, j’ai vu Likolo à l’arrière. Il était avec deux agents de l’OCRB. Yékoua-Ketté conduisait. Je savais que Yékoua-Ketté tuait des criminels en ville et je savais que Likolo était en danger. J’ai donc laissé mon client et j’ai suivi le véhicule de l’OCRB jusqu’au 7e arrondissement. Nous nous sommes dirigés vers Ouango. J’étais juste derrière eux et j’ai vu Likolo à l’arrière avec les deux policiers. Je pensais qu’ils allaient amener Likolo à [la prison centrale de] Ngaragba, mais ce ne fut pas le cas, ils dépassèrent la prison. Je me suis donc arrêté et j’ai attendu qu’ils reviennent.

Environ 30 à 40 minutes plus tard, le véhicule est revenu les phares allumés. Le hayon était ouvert et deux pieds dépassaient. Les pieds basculèrent sur le côté.

Je suis allé à Yassi-Mandji et j’ai raconté que j’avais vu Likolo se faire embarquer par l’OCRB et qu’il semblait avoir été tué. On m’a dit qu’il avait été emmené plus tôt par les militaires jusqu’à la base de l’OCRB et que Yékoua-Ketté l’avait récupéré. Nous savions donc qu’il était mort.

Des proches ont finalement retrouvé le corps de Yakoro à la morgue. Yakoro avait reçu deux balles dans l’abdomen.

Hervé Zangouli, tué le 4 ou le 5 mars 2016

Hervé Zangouli a été arrêté par l’OCRB le 4 mars alors qu’il fumait de la marijuana le long du fleuve Oubangui River près du PK0, d’après des témoins. Il a été vu vivant pour la dernière fois à l’arrière d’un pick-up de l’OCRB. Son corps a été retrouvé tôt le lendemain matin au bord du fleuve Oubangui. Un membre de la famille a déclaré à Human Rights Watch que Zangouli avait reçu une balle dans la poitrine.

Versements de rançons à l’OCRB

Human Rights Watch a noté deux cas dans lesquels Yékoua-Ketté a retenu personnellement des prisonniers en échange d’une rançon réclamée à leurs familles.

L’unité de police a détenu une femme de 18 ans pendant environ 6 semaines entre le 22 octobre et début décembre 2015. Elle a déclaré que Yékoua-Ketté l’a menacée de mort à multiples reprises et qu’elle avait fait une fausse-couche dans la prison de l’OCRB : « J’ai dû rester deux jours dans mon propre sang avant qu’ils n’autorisent ma famille à me donner du savon pour que je puisse me nettoyer. » Yékoua-Ketté a réclamé 100 000 francs (environ 170 dollars US) à sa famille, mais ils ont pu négocier un prix plus bas. La femme n’a jamais été accusée de crime.

Le 28 avril 2016, Yékoua-Ketté et ses hommes ont arrêté un ancien combattant anti-balaka âgé de 25 ans, le long du fleuve Oubangui. L’homme était accusé d’avoir commis un vol armé plus tôt dans l’année. Yékoua-Ketté a ordonné à ses hommes de battre l’homme en public et l’a emmené au quartier général de l’OCRB. Yékoua-Ketté a ensuite réclamé 100 000 francs (environ 170 dollars US) à la famille pour libérer l’ancien combattant anti-balaka. Au bout de 10 jours, la famille a pu négocier un prix plus bas et leur proche a été libéré sans aucune poursuite.

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À lire aussi :

RFI Afrique 27.06.16    BBC Afrique 27.06.16   VOA Afrique 27.06.16

Africa News 27.06.16   Koaci 27.06.16   Metro 27.06.16

ADIAC 27.06.16    Ouest France 27.06.16 (réaction du ministre / AFP)

Le Soir (Belg.) 27.06.16

RFI.fr 28.06.16     Le Monde 28.06.16  ("Qui sont les victimes ?")

 

 

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