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Le centre de transit de Gikondo, à Kigali, au Rwanda, en avril 2015.  © 2015 Human Rights Watch

Traduction française d'une tribune intulée « Le côté sombre de l’histoire à succès du Rwanda », publiée dans le journal néerlandais Trouw.

Le 3 octobre, la Journée du Rwanda sera célébrée à Amsterdam. C’est une occasion annuelle pour les Rwandais, en particulier les membres de la diaspora, et les amis du Rwanda de se rassembler et de discuter de l’histoire et de l’avenir de ce pays. Le Rwanda a beaucoup de choses à fêter, 21 ans après le génocide qui a dévasté le pays. Les indicateurs concernant la pauvreté, la santé et l’économie continuent d’avancer dans la bonne direction.

Néanmoins, alors que le pays a considérablement progressé dans certains domaines, il exhibe des défaillances dans d’autres. On constate de sévères restrictions concernant les droits politiques fondamentaux comme la liberté d’expression, et les opinions dissidentes ne sont pas tolérées. Dans cet environnement restrictif, les autorités arrêtent arbitrairement des personnes et les gardent en détention illégalement.

L’un des centres de détention illégale ayant acquis une triste notoriété dans la capitale, Kigali, est le centre de transit de Gikondo. La police arrête des indigents – vendeurs de rue, sans-abris, mendiants, travailleuses du sexe – dans les rues de la ville, puis les enferme dans ce centre pendant des semaines ou des mois sans fondement légal. La police les accuse d’être sales et de ternir l’image de Kigali en tant que ville propre.

Les conditions au centre de Gikondo sont déplorables. Les détenus sont confinés dans des espaces exigus, sans nourriture ni eau adéquates. Les visites des membres de leurs familles et de leurs amis ne sont pas autorisées. Les détenus sont fréquemment battus par la police ou par d’autres détenus à qui la police confie un rôle de maintien de l’ordre. Des femmes ont été frappées devant leurs enfants parce que ceux-ci avaient fait leurs besoins sur le sol, alors qu’ils ne sont autorisés à utiliser les toilettes que deux fois par jour.

Le gouvernement rwandais prétend qu’il s’agit d’un centre de réhabilitation, mais les détenus avec qui Human Rights Watch s’est entretenu n’avaient bénéficié d’aucune forme de réhabilitation, de formation ou d’autres activités. Beaucoup ont été relâchés – souvent après avoir versé de l’argent à la police – dans un état bien pire qu’à leur arrivée. Bon nombre de personnes, notamment les travailleuses du sexe, ont fait plusieurs séjours au centre de Gikondo.

Les détentions dans ce centre et les abus qui y sont commis enfreignent la loi rwandaise. Dans un courrier adressé à Human Rights Watch en novembre 2014, le ministre de la Justice rwandais a reconnu qu’il n’existait pas de cadre légal pour la gestion de ce centre.

La célébration de la Journée du Rwanda aux Pays-Bas illustre les relations étroites entre ces deux pays. La ministre néerlandaise du Commerce extérieur et de la Coopération au développement a visité le Rwanda à la fin de l’année 2014. Le ministre de la Justice rwandais s’est rendu aux Pays-Bas en juin 2015. Les Pays-Bas sont un important bailleur de fonds qui contribue à  financer la sécurité alimentaire, la gestion de l’eau et l’État de droit au Rwanda. Des budgets de 30,3 millions, 122,9 millions et 35 millions d’euros ont été affectés à ces  trois domaines pour la période 2014-2017.

Dans le cadre du programme sur l’État de droit, les fonds fournis par les Pays-Bas apportent un financement vital au ministère de la Justice rwandais. Le gouvernement néerlandais est, par conséquent, bien placé pour faire entendre sa voix lorsque l’État de droit n’est pas respecté au Rwanda.

Human Rights Watch a publié un rapport la semaine dernière décrivant la détention illégale et les mauvais traitements au centre de Gikondo – son deuxième rapport sur le centre en neuf ans. Le gouvernement rwandais, par l’intermédiaire du ministère de la Justice et du maire de Kigali, a d’abord soutenu que les informations présentées dans le rapport sont fausses – un refrain utilisé par tous les gouvernements du monde lorsque des vérités difficiles à entendre sont divulguées – avant de finalement déclarer que les personnes détenues au centre de Gikondo sont pour l’essentiel des toxicomanes nécessitant une assistance.

Toutefois, Human Rights Watch a constaté une réalité différente. La plupart des 57 personnes précédemment détenues au centre de Gikondo que nous avons interrogées étaient simplement des femmes et des hommes pauvres, qui luttent pour survivre en marge de la société à Kigali et qui peinent à gagner leur vie. Les conditions déjà rudes de leur vie sont rendues encore plus difficiles par l’existence de ce lieu illégal. Le gouvernement rwandais devrait fermer ce centre et la police devrait cesser de prendre pour cible des personnes qui tentent seulement de survivre. Si la politique du gouvernement rwandais consiste réellement à assurer la réhabilitation, la formation et l’éducation des groupes vulnérables, c’est certes un objectif louable. Mais cela n’est pas le cas à Gikondo.

Lors de la Journée du Rwanda, les décideurs néerlandais célèbreront à juste titre certains progrès remarquables réalisés au Rwanda. Mais ils devraient aussi porter leur regard sur l’envers du décor, et se souvenir des personnes détenues au centre de Gikondo, qui sont des victimes de graves abus simplement parce qu’elles sont pauvres. Les autorités néerlandaises devraient poser des questions difficiles à leurs interlocuteurs rwandais au sujet de ce centre, et signaler notamment à leurs partenaires au sein du ministère de la Justice rwandais que ce mépris flagrant de la loi et des droits humains fondamentaux est inacceptable.

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Anna Timmerman est la directrice senior du bureau de Human Rights Watch aux Pays-Bas.

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