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Préoccupations et recommandations de Human Rights Watch sur la France

Soumises au Comité des droits de l’homme de l'ONU préalablement à la publication de son Rapport sur la France

Human Rights Watch se félicite de la publication prochaine du rapport sur la France rédigé par le Comité des droits de l’homme. La présente note d’information dresse un bilan des principales questions qui nous préoccupent eu égard au respect par la France du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Nous espérons que ces observations seront utiles dans le cadre de la rédaction du rapport du Comité sur la France.

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Abus de la part de membres des forces de l’ordre contre des migrants et des demandeurs d’asile (article 7, paragraphe 8 de la liste de questions)

En novembre et décembre 2014, Human Rights Watch a fait état d’abus de la part de la police française à l’encontre de migrants et de demandeurs d’asile dans la ville portuaire de Calais, en violation de l’interdiction visée par l’article 7 qui défend de soumettre quiconque à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les abus décrits à Human Rights Watch prenaient diverses formes et notamment des passages à tabac et des attaques au gaz lacrymogène. Ces actes étaient perpétrés alors que des migrants et demandeurs d’asile marchaient dans la rue ou étaient cachés à l’intérieur de camions dans l’espoir de rejoindre le Royaume-Uni. En réponse à ces observations, les représentants du gouvernement français ont soit nié l’existence de tels abus, soit prétendu qu’ils ne disposaient pas de preuves suffisantes pour ouvrir des enquêtes.

Le 11 mai 2015, des membres de l’association locale Calais Migrant Solidarity a mis en ligne une vidéo filmée le 5 mai qui montre des CRS en train de pousser et frapper à coups de pied et de poings des migrants qui cherchaient à se cacher dans des camions et qui ne paraissaient pas menaçants. La vidéo montre également ces CRS aspergeant de gaz lacrymogène des migrants alors même que ceux-ci fuyaient. Le 12 mai, la Direction générale de la police nationale (DGPN) a annoncé qu’elle avait saisi l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) de la question, tout comme l’a fait le procureur de Boulogne-sur-Mer. Le Défenseur des droits s’est également saisi du dossier.

(Pour plus d’informations, veuillez consulter https://www.hrw.org/fr/news/2015/01/20/france-les-migrants-et-les-demandeurs-dasile-victimes-de-violence-et-demunis).

Le Comité devrait demander instamment à la France d’ouvrir des enquêtes au plus vite sur les accusations d’abus perpétrés à Calais par les représentants des forces de l’ordre contre des migrants et des demandeurs d’asile. Le gouvernement français devrait donner des directives claires aux membres des forces de l’ordre exerçant à Calais et leur ordonner de n’user de la force qu’en dernier recours et seulement lorsque cela est strictement nécessaire et proportionné à l’accomplissement d’un but légitime, tel que la protection de leur propre sécurité ou de la sécurité d’autres personnes.

Justice internationale (articles 6 et 7, paragraphe 9 de la liste des questions)

Les tribunaux français ont compétence universelle sur les crimes internationaux graves commis à l’étranger pour lesquels ni la victime, ni l’auteur du crime ne sont des ressortissants français. Toutefois, l’Article 689-11 du Code français de procédure pénale impose des limites à la compétence pour certains crimes comme les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.[i] Les parlementaires ont présenté en septembre 2012 un projet de loi visant à harmoniser les critères juridictionnels pour tous les crimes internationaux graves, mais le projet est au point mort.

Le projet de loi, s’il est adopté, donnerait compétence aux tribunaux français pour instruire des affaires de crimes internationaux graves commis à l’étranger lorsqu’un suspect est présent sur le sol français (par opposition à « résident ») sans que le délit ne soit nécessairement punissable là où il a été perpétré (double incrimination) et sans que la priorité ne soit donnée aux tribunaux du pays dans lequel le crime a eu lieu ou aux cours pénales internationales (subsidiarité).[ii] En outre, les victimes pourraient se constituer partie civile et déposer directement leur plainte devant les juges d’instruction, ce qui permettrait ainsi d’ouvrir une instruction judiciaire sans que celle-ci ne soit laissée à la discrétion du parquet.[iii] La réintégration de la procédure de partie civile a été l’aspect le plus controversé du projet de loi.

En février 2013, le Sénat a adopté une version modifiée du projet de loi qui écartait trois des critères mais maintenait la fonction de « surveillance » du parquet.[iv] Le projet de loi a été déposé devant l’Assemblée nationale mais n’a jamais été soumis au vote du fait au départ d’un remaniement gouvernemental et du fait ensuite d’une apparente absence de volonté politique.[v]

Un incident diplomatique avec le Maroc en février 2014 concernant des affaires portées devant les tribunaux français concernant des actes de torture présumés de la part d’agents des service de sécurité du Maroc a abouti à la suspension par le Maroc de toute la coopération judiciaire. En avril 2015, le gouvernement français a proposé un projet de loi visant à dessaisir les tribunaux français des dossiers où les délits sont présumés avoir été commis au Maroc par un ressortissant marocain (indépendamment du fait de savoir si les victimes sont des ressortissants français).[vi] Le projet de loi était soumis à l’examen du parlement français au moment de la rédaction.

La France doit faire de l’adoption du projet de loi de 2012, y compris la réintroduction de la procédure de partie civile, une priorité. Le Parlement doit également rejeter le projet de loi visant à modifier sa convention d’entraide judiciaire avec le Maroc au motif qu’il limiterait considérablement l’accès à la justice des victimes de violations graves des droits humains et pourrait enfreindre ses obligations juridiques internationales.

Loi de novembre 2014 sur la lutte contre le terrorisme (articles 12, 14, 15 et 19)

En novembre 2014, le parlement français a adopté une « loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ». La loi soulève des questions de compatibilité avec les droits à la liberté de mouvement, à la présomption d’innocence et à la liberté d’expression prescrits par les articles 12, 14 et 19 ainsi qu’avec le principe de légalité visé à l’article 15.

La loi permet aux autorités françaises d’empêcher toute personne de quitter le territoire français si celle-ci est soupçonnée de vouloir participer à des activités terroristes à l’étranger ou de menacer la sécurité nationale à son retour. La loi est formulée en des termes trop généraux et ne respecte pas le critère de proportionnalité prescrit par l’Article 12. Conformément à l’Article 1 de la loi, le ministre de l’Intérieur peut interdire à toute personne de quitter la France pendant une durée maximale de six mois s’il existe « des raisons sérieuses de penser » qu’elle projette des déplacements à l’étranger « ayant pour objet la participation à des activités terroristes » ou si les autorités suspectent des déplacements sur un théâtre d’opération de groupements terroristes dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français. Une fois que la décision est prise, le passeport et la carte d’identité de cette personne sont invalidés et celle-ci doit les restituer aux autorités dans un délai de 24 heures. La personne est soumise à une interdiction de sortie du territoire.

La loi a également créé une nouvelle infraction pénale consistant à « détenir, rechercher, se procurer ou fabriquer », dans le cadre d’une « entreprise terroriste individuelle », des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui et consistant également à recueillir des renseignements et s’entraîner ou se former en vue de la préparation d’un acte terroriste ou à séjourner à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes (Article 6). Comme l’a fait remarquer la Commission nationale consultative française des droits de l’homme dans son opinion sur le projet de loi, cette disposition pénalise « la préparation de la préparation » d’un délit. Le manque de précision de la définition de ce délit pourrait exposer une personne à des accusations criminelles et éventuellement à une peine d’emprisonnement pour une conduite dont elle ignorait l’illégalité. Ceci enfreindrait le principe de légalité prescrit par l’Article 15 et la présomption d’innocence prescrite par l’Article 14.

L’Article 5 de la loi de lutte contre le terrorisme a également supprimé de la loi française de 1881 sur la liberté de la presse les infractions criminelles consistant à publiquement « provoquer» à des actes terroristes ou à « faire l’apologie » de ces actes et les a intégrées dans le code pénal, ces infractions étant dès lors soumises à la procédure de lutte contre le terrorisme de la France ce qui peut, comme cela a été expliqué plus haut, fortement limiter l’accès à un avocat dans le cadre d’une garde à vue. En vertu dudit article, il est également possible de poursuivre une personne en comparution immédiate conformément à l’Article 395 du Code de procédure pénale.

Les termes « provoquer » et « faire l’apologie » des actes terroristes sont trop généraux et peuvent prêter à des interprétations sans lien direct de cause à effet avec un acte terroriste, et ce en violation du droit à la liberté d’expression prescrit par l’Article 19. La « provocation » ou l’« apologie » d’actes terroristes sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à cinq années d’emprisonnement et d’amendes pouvant atteindre 75 000 €. La loi a alourdi la peine pour les délits commis en ligne et l’a portée à sept années d’emprisonnement et à une amende de 100 000 €.

Suite aux attaques des 7, 8 et 9 janvier contre le journal Charlie Hebdo, des policiers et un supermarché casher à Paris, les magistrats français avaient ouvert au 14 janvier 69 dossiers d’ « apologie du terrorisme » présumée et de menaces d’actes terroristes. Plusieurs personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement suite à des comparutions immédiates et quelques-unes ont été incarcérées dans l’attente de leur jugement. Le 12 janvier, le ministre de la Justice a ordonné au parquet d’apporter une réponse pénale « systématique, adaptée et individualisée » aux propos « faisant l’apologie du terrorisme » ainsi qu’aux propos racistes et antisémites.[vii] Ces instructions faisaient explicitement référence aux attaques des 7, 8 et 9 janvier (pour plus d’informations, veuillez consulter :

www.hrw.org/fr/news/2015/01/16/la-france-pays-de-la-liberte-d-expression-pour-certains )

L’Article 12 de la loi sur la lutte contre le terrorisme autorise le gouvernement à bloquer les sites Internet aux motifs qu’ils « provoquent » au terrorisme ou « font l’apologie » du terrorisme, et ce sans autorisation indépendante et préalable de la justice et en violation des critères de nécessité et de proportionnalité visés à l’article 19. L’Article 12 de la loi sur la lutte contre le terrorisme et le décret d’application du 5 février 2015 peuvent aboutir à des violations de la liberté d’expression en permettant au gouvernement de bloquer l’accès à des sites Internet qui ne constituent pas une menace pour la sécurité nationale. Ces dispositions risquent d’avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2014/10/10/france-le-projet-de-loi-antiterroriste-constitue-une-menace-pour-les-droits-humains).

Le Comité doit demander instamment à la France d’abroger les dispositions de sa loi sur la lutte contre le terrorisme de novembre 2014 qui ne sont pas compatibles avec les droits à la liberté de mouvement, à la liberté d’expression et à la présomption d’innocence et de veiller à ce que toute mesure prise au nom de la lutte contre le terrorisme soit justifiée, nécessaire et proportionnée.

Situation des enfants migrants non accompagnés dans les zones d’attente (Articles 9, 10, 13, 24, 26)

En vertu du droit français, les enfants étrangers non accompagnés – qui arrivent dans un aéroport ou un port sans leurs parents ou leur tuteur – peuvent être maintenus dans l’une des quelques 50 zones d’attente pendant une période maximale de 20 jours au cours de laquelle le gouvernement estime qu’ils ne sont pas entrés sur le sol français. Cette fiction juridique permet au gouvernement français de refuser les droits à une procédure régulière desquels bénéficient les enfants non accompagnés en France, et ce en violation de l’Article 24 du Pacte. La France n’a pas modifié ses pratiques malgré la décision rendue par un tribunal français en 2009 aux termes de laquelle il a été déterminé que les zones d’attente font en réalité partie du territoire français et malgré le poids du droit international, notamment un arrêt exécutoire de 1996 prononcé par la Cour européenne des droits de l’homme établissant que les zones internationales dans les aéroports et ailleurs n’ont pas de statut extraterritorial.[viii]

Un projet de loi relatif à la réforme de l’asile présenté devant le Sénat au moment de la rédaction de la présente note mettrait fin au maintien des enfants non accompagnés dans les zones d’attente s’ils demandent à entrer en France pour y solliciter l’asile. Le projet de loi énumère toutefois un certain nombre d’exceptions. Ces exceptions concernent notamment les enfants qui proviennent d’un « pays d’origine sûr », ceux qui ont présenté de faux documents d’identité ou de voyage ou dissimulé des informations afin d’induire en erreur les autorités ou ceux dont la présence menace la sécurité nationale. Conformément au nouveau projet de loi relatif à la réforme de l’asile, la détention dans des zones d’attente resterait possible pour les enfants non accompagnés relevant de l’une de ces catégories ou pour ceux qui ne sont pas demandeurs d’asile.

(Pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2014/04/08/france-les-mineurs-non-accompagnes-se-retrouvent-bloques-aux-frontieres).

Le Comité doit appeler la France à cesser de maintenir les enfants dans les zones d’attente ou dans tous autres lieux de détention, qu’ils aient ou non l’intention de demander l’asile en France, et ce en accord avec la recommandation du Comité sur les droits des enfants selon laquelle « les Etats doivent immédiatement et totalement mettre fin à la détention des enfants en fonction de leur statut d’immigration ».[ix] Lorsqu’un enfant non accompagné arrive à la frontière, les autorités doivent le laisser entrer puis évaluer son statut d’immigration.

Accès limité à un avocat lors de gardes à vue (Article 14, paragraphe 2 de la liste de questions)

Alors qu’une réforme du Code français de procédure pénale de 2011 garantit aux personnes placées en garde à vue la possibilité de voir un avocat dès le début de leur détention, la loi autorise le parquet à retarder, pendant une durée maximale de 12 heures, l’entrevue avec l’avocat dans des cas exceptionnels impliquant des personnes suspectées de crimes graves. Dans ces cas de figure, un juge « des libertés et de la détention » peut décider de reporter l’entrevue avec un avocat pendant une durée maximale de 24 heures.

Comme c’était le cas avant la réforme de 2011, le juge « des libertés et de la détention » peut reporter, pendant une durée maximale de trois jours, l’entrevue avec un avocat pour les personnes soupçonnées de menacer la sécurité nationale. L’accès à un avocat dès le début de la détention sans exception est essentiel pour garantir le respect des droits des suspects à une procédure régulière et la préparation d’une bonne défense ainsi que pour assurer une protection fondamentale contre la torture et autres mauvais traitements.

Dans tous les cas, les détenus ont seulement droit à un entretien avec leur avocat pendant une durée maximale de 30 minutes, ce qui peut nuire au droit à une défense efficace en limitant la capacité des avocats à apporter des conseils lors d’une phase critique de la procédure.

La France doit donner à toute personne en garde à vue la possibilité de voir un avocat dès le début de la détention, indépendamment du délit duquel elle est suspectée. La France doit également supprimer la durée limite des entretiens avec les avocats et ne pas imposer des limites arbitraires sur le temps que les prévenus peuvent passer avec leur avocat dans le cadre de la préparation de leur dossier.

Surveillance et droit au respect de la vie privée (Article 17)

S’il est adopté, un projet de loi sur le renseignement, soutenu par le gouvernement et porté devant le parlement au moment de la rédaction de cette note, autoriserait les services de renseignement français à procéder à des opérations de surveillance numérique de grande envergure en violation du droit au respect de la vie privée visé à l’Article 17.

Le projet de loi, actuellement examiné par le parlement dans le cadre d’une procédure accélérée qui exclut une seconde lecture, permettrait au premier ministre d’autoriser la surveillance pour des motifs très généraux qui vont bien au-delà de ceux reconnus en droit international des droits humains, et ce sans aucune intervention des autorités judiciaires. En vertu de l’Article 1 du projet de loi, ces motifs incluent la prévention du terrorisme ainsi que « les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France », la prévention des « atteintes à la forme républicaine des institutions » et les violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale.

L’Article 2 du projet de loi permettrait également au premier ministre, aux fins de la prévention du terrorisme, d’exiger des fournisseurs d’accès à Internet qu’ils installent des dispositifs secrets et non spécifiés pour la détection de modes d’utilisation douteux par leurs usagers. Comme l’a fait remarquer la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son opinion sur le projet de loi, une telle mesure pourrait aboutir à la détection et éventuellement à la collecte et à la détention, potentiellement à grande échelle, de données concernant des personnes qui n’ont aucun rapport avec la préparation d’actes terroristes.

En dépit des pouvoirs de surveillance à grande échelle conférés en vertu du projet de loi sur le renseignement, celui-ci donne au premier ministre le pouvoir discrétionnaire absolu pour autoriser la surveillance. Le premier ministre est censé consulter au préalable un nouvel organe exécutif, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), mais n’est pas tenu de suivre ses recommandations. Le projet de loi n’impose aucune intervention des autorités judiciaires préalablement à la mise en œuvre des mesures de surveillance (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/06/france-le-projet-de-loi-sur-le-renseignement-risque-douvrir-la-voie-vers-une-societe).

Le droit français autorise déjà la surveillance des communications ce qui, de l’avis de Human Rights Watch, n’est ni nécessaire ni proportionné et est dès lors susceptible d’enfreindre l’Article 17. En décembre 2013, la France a adopté la loi n° 2013-1168 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. L’Article 20, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2015, autorise le gouvernement à mener des opérations de surveillance de grande envergure sans aucun contrôle judiciaire. La loi autorise les représentants désignés des ministères de l’Intérieur, de la Défense, de l’Economie et du Budget à demander des données de communication aux opérateurs et hébergeurs de sites Internet pour des motifs très généraux comme la sécurité nationale, la « sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France » et la prévention du terrorisme et des délits. La loi n’impose aucune autorisation de la part des tribunaux (pour plus d’informations, veuillez consulter : www.hrw.org/fr/news/2013/12/26/surveillance-des-donnees-les-contradictions-francaises).

Le Comité doit demander instamment à la France de ne pas adopter de loi qui pourrait enfreindre les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression en autorisant la surveillance à grande échelle, pour des motifs imprécis et trop généraux, en l’absence de contrôle adéquat. La France doit également réformer la législation existante datant de 2013 pour l’aligner sur le Pacte. Toute collecte ou utilisation de données de communication doit être autorisée par une autorité judiciaire et doit être strictement proportionnée à l’accomplissement des objectifs légitimes reconnus en vertu du droit international sur les droits humains, comme la protection de la sécurité nationale et de la sûreté publique.

Restrictions discriminatoires sur les symboles religieux (Articles 18 et 26, paragraphe 26 de la liste de questions)

Une interdiction interdisant aux étudiants de porter le foulard islamique (hijabs), la kippa juive, le turban sikh et la croix chrétienne (de grande taille), en vertu de la loi n° 2004/228 du 15 mars 2004 qui interdit le port de symboles religieux ostentatoires, enfreint les droits à la liberté religieuse (Article 18) et à la liberté d’expression (Article 19) ainsi que les droits conférés par d’autres actes sur les droits humains (notamment le droit à l’éducation). L’interdiction a un impact disproportionné sur les filles et femmes musulmanes qui portent le voile islamique et est dès lors discriminatoire et contraire aux principes d’égalité devant la loi, notamment l’égalité entre hommes et femmes, et à la protection contre la discrimination (Articles 2, 3 et 26). Nous sommes préoccupés par des rapports indiquant que cette interdiction a abouti à la suspension ou à l’exclusion des établissements scolaires de jeunes filles portant le voile islamique ainsi que de certaines jeunes filles portant des jupes longues considérées dans ces établissements comme des tenues associées à la religion. A titre d’exemple, dans une affaire relayée par les médias en avril 2015, une jeune musulmane de 15 ans s’est vu refuser l’entrée dans son école car le principal a jugé que sa longue jupe noire était un symbole religieux « ostentatoire ».

En octobre 2010, la France a adopté une loi interdisant la dissimulation du visage dans les lieux publics, à l’exception des lieux de culte. La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010, qui est entrée en vigueur le 11 avril 2011, prévoit une amende pouvant aller jusqu’à 150 € et/ou un cours de « citoyenneté » obligatoire pour les personnes portant des vêtements servant à dissimuler leur visage dans des lieux publics. La loi criminalise également le fait d’imposer à une personne de dissimuler son visage, une infraction passible d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2014/07/03/france-larret-de-la-cedh-sur-le-voile-integral-porte-atteinte-aux-droits-des-femmes)

Human Rights Watch est en désaccord avec la décision de juillet 2014 rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans le dossier S.A.S. c/ France aux termes de laquelle la Cour a confirmé l’interdiction. L’interdiction n’est ni nécessaire ni proportionnée et, de l’avis de Human Rights Watch, enfreint le droit à la liberté de religion et d’expression des personnes qui choisissent de dissimuler leur visage en public.

Elle touche de façon disproportionnée les femmes musulmanes et est, en tant que telle, discriminatoire (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2010/12/21/questions-r-ponses-sur-les-restrictions-relatives-aux-symboles-religieux-en-europe).

Le Comité doit demander instamment à la France d’annuler les interdictions concernant les symboles religieux ostentatoires dans les écoles publiques ainsi que les vêtements servant à dissimuler le visage en public. Le Comité doit également appeler la France à veiller à ce que ses lois ne soient pas appliquées d’une façon discriminant les filles et femmes musulmanes et à garantir qu’aucun enfant n’est empêché d’aller à l’école au motif que ses vêtements sont considérés comme des symboles religieux.

Discrimination contre les Roms (Articles 2 et 26, paragraphe 5 de la liste de questions)

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy et sous celle de François Hollande, les migrants roms ont fait face à des expulsions et évictions discriminatoires et ont été stigmatisés dans des déclarations publiques de hauts représentants.

Une circulaire du ministère de l’Intérieur d’août 2010 ordonnant aux préfets de démanteler systématiquement les camps non autorisés et de donner la priorité aux camps de Roms a fait l’objet d’une fuite dans la presse en septembre 2010. Alors que le gouvernement l’a supprimée et remplacée par une autre circulaire qui ne mentionnait pas spécifiquement les Roms, la circulaire a mis au jour une politique gouvernementale en matière d’évictions et déplacements discriminatoires qui ciblait clairement les Roms. Ces évictions et déplacements ont continué depuis lors. D’après une enquête menée par le Centre européen des droits des Roms et la Ligue des droits de l’Homme, en 2014, les autorités françaises ont expulsé 13 483 Roms ou personnes identifiées comme des Roms de 138 lieux différents. Même si la loi française manque de dispositifs de sauvegarde nécessaires contre les évictions forcées, suite au rapport de janvier 2013 de l’Examen périodique universel (EPU), le gouvernement français a rejeté la recommandation préconisant de modifier les lois existantes et d’en adopter de nouvelles en vue de mettre fin aux évictions forcées de Roms (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/news/2013/06/06/un-human-rights-council-adoption-outcome-upr-france ).

Une réforme de la loi sur l’immigration en 2011 a créé un délit d’ « abus du droit à la liberté de mouvement » de la part de citoyens européens, permettant ainsi aux autorités d’expulser plus facilement les Roms, qui sont des citoyens roumains ou bulgares, en partant du principe qu’ils exercent à plusieurs reprises leur droit, en tant que citoyens européens, à des séjours courts en France en vue de recevoir, un jour, les aides sociales (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2011/09/28/le-respect-par-la-france-de-la-directive-europ-enne-relative-la-libert-de-circulatio)

Le Premier ministre Manuel Valls a également tenu des propos discriminatoires à l’encontre des Roms à l’occasion d’un événement officiel alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Il a déclaré que le style de vie des Roms était « extrêmement différent du nôtre » et que seule une minorité souhaitait s’intégrer en France. Valls a indiqué que la seule solution consistait à démanteler progressivement les camps et à reconduire les Roms à la frontière (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2013/09/27/point-de-vue-des-propos-honteux-l-egard-des-roms-en-france).

En avril 2014, les médias ont révélé l’existence d’une note interne donnant consigne aux policiers d’un poste de police de Paris de localiser et d’ « évincer systématiquement » les Roms vivant dans les rues du 6ème arrondissement de Paris. Cette note a soulevé des questions graves quant au fait que les pratiques discriminatoires d’éviction ciblant les Roms ont continué malgré les garanties du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui assurait que la consigne avait été rectifiée (pour plus d’information, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2014/04/16/les-evacuations-forcees-de-roms-en-france-une-impression-de-deja-vu).

Le Comité doit demander instamment à la France de mettre fin à toutes les évictions forcées et aux expulsions discriminatoires des Roms, y compris au motif de l’ « abus du droit à la liberté de mouvement » prescrit par la loi sur l’immigration de 2011. La France doit également veiller à ce que les hauts représentants s’abstiennent de tenir en public des propos qui stigmatisent les Roms et contribuent à véhiculer des stéréotypes négatifs sur les Roms.

Contrôles d’identité abusifs (Article 26, paragraphe 27 de la liste de questions)

En dépit des promesses de campagne du président Hollande et d’un engagement pris à l’occasion de l’EPU de 2013 de la France, les autorités ont pris des mesures insuffisantes pour pallier le problème des contrôles d’identité abusifs effectués par la police, y compris le recours au profilage ethnique et les contrôles d’identité répétés et discriminatoires ciblant les minorités (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/reports/2012/01/26/la-base-de-l-humiliation-0).

Les membres des forces de l’ordre en France disposent de pouvoirs trop étendus pour arrêter et contrôler des individus indépendamment du fait de savoir si ces derniers sont soupçonnés d’activités criminelles. Ce pouvoir discrétionnaire aboutit à des abus, y compris des contrôles répétés, de longs interrogatoires, des ordres imposant aux personnes contrôlées de vider leurs poches, des fouilles de sac, des palpations intrusives ainsi que des violences verbales et physiques. La menace de la sanction pénale ajoute une dimension coercitive aux contrôles d’identité, le défaut de coopérer pendant un contrôle d’identité pouvant éventuellement aboutir à des charges d’ordre administratif ou pénal, allant du délit mineur de « refus de coopérer » aux chefs plus graves d’ « outrage » et « rébellion ».

Les preuves statistiques et empiriques indiquent que les jeunes noirs et arabes vivant dans des zones défavorisées sur le plan économique sont des cibles particulièrement fréquentes de ces arrestations, ce qui tendrait à montrer que la police a recours au profilage ethnique pour déterminer les personnes à arrêter. Une enquête d’opinion de mai 2014 révélait que les personnes d’origine nord-africaine étaient cinq fois plus susceptibles d’être arrêtées et fouillées par la police (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2014/05/09/france-un-sondage-sur-les-controles-d-identite-montre-une-attente-forte-de-mesures-e).

Le gouvernement a pris des mesures limitées pour pallier les abus et améliorer la responsabilisation, y compris la mise à jour du code de déontologie de la police afin de donner des directives sur le recours aux palpations, pour imposer aux officiers de faire preuve de politesse et également pour introduire l’utilisation de numéros d’identification sur les uniformes de la police. Toutefois, les autorités ont rejeté les propositions visant à introduire des réformes plus significatives.

En février 2015, Jacques Toubon, le Défenseur des droits français, a soumis des observations devant la Cour d’appel de Paris qui était saisie d’une plainte sur des contrôles d’identité discriminatoires déposée par 13 personnes.

M. Toubon a fait remarquer que, en n’adoptant pas des mesures concrètes pour empêcher et punir les contrôles d’identité discriminatoires, les autorités françaises fermaient les yeux sur la gravité de ces actes et les considéraient comme ordinaires (pour plus d’informations, veuillez consulter : https://www.hrw.org/fr/news/2015/02/13/france-les-observations-du-defenseur-des-droits-doivent-aboutir-une-reforme-en-profo).

Human Rights Watch demande instamment au Comité de recommander à la France d’introduire l’utilisation de nouvelles formes de contrôle – un registre écrit de la procédure – et de mettre en œuvre des réformes juridiques contraignantes aux fins de garantir que tous les contrôles d’identité sont effectués selon des critères objectifs et individualisés et aux fins de créer un cadre légal approprié pour les palpations pendant les contrôles d’identité.

 

[i] Le 9 août 2010, le Code français de procédure pénale a été amendé afin d’intégrer le Statut de Rome et d’étendre la compétence des tribunaux français de façon à inclure les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis après cette date. Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, No. 2010-930, entrée en vigueur le 11 août 2010,

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=DA7956739FD101F26E23CD144B032676.tpdjo02v_1?cidTexte=JORFTEXT000022681235

[ii] Pour de plus amples informations sur ces critères, veuillez consulter Human Rights Watch, The Legal Framework for Universal Jurisdiction in France, 17 septembre 2015, p. 2-7, https://www.hrw.org/sites/default/files/related_material/IJ0914France.pdf

[iii] Proposition de loi tendant à modifier l’article 689-11 du Code de Procédure Pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale, Sénat français, 6 septembre 2012, http://www.senat.fr/leg/ppl11-753.html.

[iv] La procédure de partie civile resterait la même pour la torture, les disparitions forcées et les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Proposition de loi adoptée, n° 191, Sénat français, 26 février 2013, http://www.senat.fr/leg/tas12-101.html. Au cours du débat parlementaire sur la proposition, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a évoqué les problèmes diplomatiques auxquels faisaient face d’autres pays en conséquence des dossiers de compétence universelle mais a exprimé son soutien à la réintégration de la procédure de partie civile. Débat au Sénat, Sénat français, 26 février 2013, http://www.senat.fr/seances/s201302/s20130226/s20130226004.html

[v] Le processus d’examen par l’Assemblée nationale aurait dû commencer par la désignation par la Commission nationale du droit d’un représentant chargé d’étudier la proposition, ce qui n’est jamais arrivé.

[vi] Questions/Réponses : Projet de Protocole additionnel à la Convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc, Human Rights Watch, Amnesty International, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), Ligue des droits de l’Homme, 27 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/27/francemaroc-votez-non-l-accord-d-entraide-judiciaire-entre-la-france-et-le-maroc

[vii] Circulaire du 12 janvier 2015 de la Garde des sceaux, ministre de la Justice : Infractions commises à la suite des attentats terroristes commis les 7, 8 et 9 janvier 2015,

http://www.justice.gouv.fr/publication/circ_20150113_infractions_commises_suite_attentats201510002055.pdf

[viii] Cour de cassation, Première chambre civile, Arrêt n°327 du 25 mars 2009 (08-14.125), http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/327_25_12330.html ; Ammur c/ France, Demande n° 19776/92, Jugement: 25 juin 1996, Rapports 1996-III, paragr. 52

[ix] Comité sur les droits de l’enfant, rapport sur la Journée de discussion générale de 2012 sur le thème : « Les droits de tous les enfants dans le contexte de la migration internationale »,

http://www2.ohchr.org/english/bodies/crc/docs/discussion2012/ReportDGDChildrenAndMigration2012.pdf

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