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Russie : Tactiques contre-insurrectionnelles abusives au Daguestan

La répression dans cette république du Caucase vise les musulmans salafistes

Des habitants du village de Novyi Agachaul, au Daguestan, petite république russe située dans le Caucase, parmi les débris d’une maison à la suite à une opération contre-insurrectionnelle menée par les forces russes en février 2014.  © 2014 Varvara Parkhomenko
 
(Moscou) – La réponse du gouvernement russe à une insurrection qui dure depuis une décennie au Daguestan, une république du sud de la Russie, a été entachée de graves violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. De leur côté, les insurgés ont commis des attaques contre des civils.

Ce rapport de 97 pages, intitulé « ‘Invisible War’: Russia’s Abusive Response to the Dagestan Insurgency » (« 'Une guerre invisible': La réponse abusive de la Russie à l'insurrection au Daguestan »), ainsi qu'une vidéo qui l'accompagne, documentent des violations des droits humains commises dans le cadre des efforts du gouvernement russe pour mater l'insurrection, ainsi que des crimes commis par les rebelles au Daguestan, de 2012 à 2014. Ces abus ont été commis dans un contexte dans lequel les autorités traitent les adhérents au salafisme, une interprétation fondamentaliste de l'Islam sunnite de plus en plus populaire au Daguestan, comme des suspects de crimes, malgré l'absence de fondements permettant de les soupçonner d'infractions particulières.

« De nombreux musulmans salafistes au Daguestan font l'objet d'un harcèlement constant et envahissant de la part de la police et des forces de sécurité », a déclaré Tanya Lokshina, directrice du programme Russie à Human Rights Watch. « Ce traitement abusif ne fait que marginaliser davantage les communautés salafistes et susciter leur hostilité à l’égard du gouvernement, faisant ainsi le jeu des insurgés islamistes. »
 


Human Rights Watch a interrogé près de 80 personnes au Daguestan de 2012 à 2015, y compris des victimes d'abus ou leurs proches, des avocats, des responsables de la police et du gouvernement, des défenseurs des droits humains et des journalistes.

La police place les salafistes sur des listes de surveillance spéciales, communément appelées « registres des wahhabites », les autorités locales assimilant souvent le salafisme au « wahhabisme », terme qu'elles utilisent avec une connotation péjorative. Elles appréhendent souvent des salafistes et les soumettent à des interrogatoires sans raison particulière, les photographient et prennent leurs empreintes digitales à de nombreuses reprises et, dans certains cas, effectuent de force des prélèvements d'ADN.

Une des personnes interrogées par Human Rights Watch a déclaré:

Ils [les policiers] … vous retiennent là-bas et vous posent la même série de questions: Où allez-vous ? Pourquoi ? Que pensez-vous du wahhabisme ? Une fois, un agent de police me pressait sans cesse: ‘Alors, comment se fait-il que vous ne soyez pas encore dans les bois ? ... Pourquoi ne les rejoignez-vous pas [les insurgés]?’ On dirait qu'ils essayent de m'y pousser, de me faire fuir dans la forêt. Ils ne me laissent pas avoir une vie normale. Et c'est pareil pour beaucoup d'autres.

Human Rights Watch a également détaillé plusieurs opérations de contre-insurrection lors desquelles des biens civils ont été détruits ou endommagés et pour lesquels les propriétaires n'ont pas reçu une compensation adéquate – voire même aucune dans certains cas.

En 2013, des responsables de la sécurité ont pillé et détruit un certain nombre de maisons et d'entreprises dans le village de Gimry, au cours d'une période de 10 jours lors de laquelle les forces de sécurité ont forcé la plupart des habitants à évacuer le village. Après cela, les autorités ont empêché les journalistes et les défenseurs des droits humains d'entrer dans le village pendant des semaines.

Lors d'une opération prolongée dans le village de Vremenny en 2014, les forces de sécurité ont rassemblé des centaines de personnes pour vérification d'identité et interrogatoire, ont ensuite forcé la totalité de la population à quitter le village et ont détruit ou gravement endommagé des dizaines d'habitations.

« Les opérations de contre-insurrection sont peut-être nécessaires pour protéger le public mais ce qui n'est jamais justifié, c'est que les forces de sécurité effectuent ces opérations sans considération pour les normes relatives aux droits humains », a affirmé Tanya Lokshina.

Human Rights Watch a constaté que dans certains cas, les autorités avaient eu recours à une force excessive en arrêtant des suspects, en faisant disparaître de force certaines personnes, ou en les détenant au secret dans des lieux inconnus, sans accès à leur famille ou à des avocats. Dans certains de ces cas, la police a battu les suspects pour les contraindre à faire des aveux ou à donner des informations. Les responsables locaux et les forces de sécurité mettent fréquemment d'importants obstacles sur les pas des avocats et des défenseurs des droits humains qui défendent les personnes visées dans les opérations de contre-insurrection et des journalistes qui enquêtent sur ces affaires, et dans certains cas ont proféré des menaces contre leur vie ou leur bien-être.

Les tactiques des insurgés au Daguestan ont inclus des attaques contre des militaires et des policiers, ainsi que des assassinats de responsables et des attentats commis sans discernement contre des civils. Human Rights Watch a documenté deux cas d'attentat-suicide lors desquels des civils ont été blessés et des secouristes ont été pris pour cible, ainsi que les meurtres, vraisemblablement par les insurgés, de deux imams qui avaient critiqué le mouvement militant islamiste clandestin.

Le gouvernement russe devrait cesser immédiatement de recourir à des tactiques abusives au Daguestan. Les autorités devraient promouvoir un climat favorable pour que les journalistes, les avocats et les défenseurs des droits humains puissent faire leur travail dans cette région, a déclaré Human Rights Watch.

« Les attentats commis par les insurgés contre des civils, des responsables gouvernementaux et des policiers sont des crimes graves et leurs auteurs devraient être traduits en justice », a conclu Tanya Lokshina. « Mais le gouvernement russe ne peut invoquer la responsabilité qui lui incombe d'empêcher les attaques des insurgés et de punir leurs auteurs pour justifier la violation des droits des personnes. »
 

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