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République centrafricaine : Des musulmanes sont retenues en captivité et violées

L’ONU et le gouvernement devraient libérer les femmes et les enfants peuls détenus par des anti-balaka

(Nairobi) – Au moins 42 bergers musulmans de l’ethnie Peul, principalement des femmes et des jeunes filles qui sont exposées au risque de violences sexuelles, sont retenus en captivité par des combattants anti-balaka en République centrafricaine, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Il existe des informations selon lesquelles de nombreuses autres personnes pourraient également être retenues prisonnières. Les forces de maintien de la paix des Nations Unies et le gouvernement devraient de toute urgence prendre des mesures afin de les libérer.

Des membres d’une famille interrogés par Human Rights Watch le 13 avril 2015 ont décrit les horreurs qu’ils ont endurées pendant 14 mois de captivité à Pondo, un village situé dans le sud-ouest du pays. Les anti-balaka ont tué deux garçons, âgés d’environ 6 et 7 ans, et ont violé trois jeunes femmes et filles, dont l’une est tombée malade et est morte en captivité. Son bébé de douze mois est mort de malnutrition. Les survivants de la famille ont été secourus samedi 4 et dimanche 5 avril.

« Détenir des civils en captivité, tuer des enfants et réduire à l’esclavage sexuel des femmes et des filles sont des actes horribles commis par ces anti-balaka et constituent des crimes de guerre », a déclaré Lewis Mudge, chercheur sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Les forces de maintien de la paix de l’ONU et les autorités gouvernementales, qui ont déjà pris des mesures audacieuses pour libérer un groupe de Peuls, devraient intervenir de toute urgence pour libérer ceux qui sont encore prisonniers et arrêter leurs ravisseurs. »

Les anti-balaka sont un groupe armé qui a tué et pris pour cible des milliers de musulmans depuis 2013. Treize membres de la famille ayant survécu ont été délivrés les 4 et 5 avril à la suite de l’intervention des autorités locales et de la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, la MINUSCA. Human Rights Watch avait indiqué qu’un groupe de Peuls était retenu en captivité à Pondo le 22 décembre 2014 et avait insisté pour qu’une action soit menée afin de les libérer.

Des membres de la famille récemment libérée, des témoins ainsi que d’autres sources ont affirmé que des dizaines d’autres Peuls sont détenus dans le sud-ouest de la RCA, notamment dans des villes et des villages proches de Pondo. Ils ont indiqué qu’une trentaine de personnes sont détenues à Lambi, onze à Ngbaina et une à Betefio. Human Rights Watch a également été informé que des dizaines de Peuls sont détenus à Gadzi et d’autres à Gaga, bien que la situation exacte dans laquelle ils se trouvent demeure obscure. La plupart de ces personnes sont des femmes et des jeunes filles, dont certaines sont détenues depuis plus d’un an. Les informations dont nous disposons laissent fortement supposer que d’autres groupes de Peuls sont également détenus.

Une jeune femme, âgée d’environ 18 ans, a déclaré avoir été violée par de nombreux combattants anti-balaka durant sa captivité. « J’ai été prise comme épouse par les anti-balaka », a-t-elle confié. « C’était contre ma volonté, je ne voulais pas l’accepter. Ce n’était pas qu’un seul homme, c’était avec de nombreux hommes différents. Ils se contentaient de me prendre. Ils me brutalisaient et maintenant je suis enceinte. »

La sœur de la victime, âgée d’environ vingt ans, a été violée à maintes reprises durant sa captivité par un combattant anti-balaka qui prétendait qu’elle était son « épouse ».

Les vingt membres de cette famille élargie tentaient de fuir les attaques menées par les anti-balaka fin 2013 et début 2014, comme de nombreux autres Peuls à ce moment-là. Ils se sont retrouvés piégés dans une zone forestière avec leur bétail, ne sachant où se mettre en sécurité. En février 2014, alors que la famille campait avec son bétail à Yassibele, près de Pondo, les anti-balaka les ont attaqués. Les membres de la famille ont couru dans différentes directions, mais la plupart ont été capturés. Le sort de trois hommes demeure inconnu.

Les combattants anti-balaka, commandés par François Wote, ont emmené les Peuls capturés jusqu’à Pondo. Quatre membres de la famille ont expliqué à Human Rights Watch que les combattants anti-balaka avaient assuré qu’ils les « protègeraient », mais il est rapidement devenu évident qu’ils étaient retenus prisonniers. Ils ont été détenus dans une maison dans les environs de Pondo, encerclée par des combattants anti-balaka.

Des membres de la famille ont rapporté ces propos de Wote : « Nous allons vous garder. Les Blancs doivent venir payer pour la protection que nous vous donnons. Si personne ne vient jamais payer, vous ne partirez jamais. » Des membres de la famille ont ajouté que les anti-balaka les menaçaient souvent en disant : « Nous allons vous tuer aujourd’hui », ou bien à d’autres moments : « Vous êtes des Peuls, pourquoi on vous protège ? » insinuant qu’ils devraient être tués.

Quelques semaines après la capture de la famille, des combattants anti-balaka d’un village voisin ont emmené deux garçons, Baboule et Issa Bouba, et les ont tués. Les combattants anti-balaka ont déclaré à la famille : « Nous ne voulons pas voir d’hommes, nous ne voulons voir que des femmes. »

Un membre féminin de la famille a expliqué à Human Rights Watch à quel point elle s’était sentie impuissante lorsque les anti-balaka ont pris Issa. « Issa ne voulait pas y aller [avec les anti-balaka] », a-t-elle indiqué. « Il a essayé de s’accrocher à nous pour rester en vie parce qu’il avait tellement peur. Mais si nous avions essayé de sauver Issa, les anti-balaka nous auraient tués nous aussi. »

Une petite fille nommée Biba est morte de malnutrition après plusieurs mois de détention. Des membres du groupe ont indiqué à Human Rights Watch que sa mère, Aï, avait été violée et qu’elle était morte plus tard d’une maladie non diagnostiquée.

Les 4 et 5 avril, les autorités locales de cette région, ayant entendu dire qu’un groupe de Peuls était peut-être détenu à Pondo, s’y sont rendues et les ont délivrés. Les forces de maintien de la paix de l’ONU ont facilité l’opération. Ces Peuls ont été conduits jusqu’à l’enclave musulmane de Yaloké, où ils ont accès aux services médicaux de base. Ils ont affirmé vouloir quitter l’enclave pour se rendre au Cameroun, afin de rejoindre d’autres Peuls qui s’y sont réfugiés.

Human Rights Watch a documenté d’autres cas où des combattants anti-balaka ont pris des civils en otage en 2014, à Ngbaina dans le sud-ouest du pays et dans la province de Nana-Grebezi dans la partie centrale du pays. Dans un de ces cas, 34 femmes et enfants ont été relâchés, seulement après que les anti-balaka ont reçu un paiement de la part de leur famille.

Wote, le chef anti-balaka à Pondo, rend compte à Guy Wabilo, le commandant de zone anti-balaka pour la région de Gadzi. Les anciens prisonniers de Pondo ont indiqué que Wabilo visitait régulièrement le village, était au courant de leur captivité et avait enregistré leurs noms. Les membres de la famille ont ajouté que les anti-balaka de Pondo avait demandé de l’argent à Wabilo pour relâcher les Peuls, mais il leur avait répondu qu’il n’en avait pas et qu’ils « devaient juste nous garder. » Les Peuls qui seraient retenus captifs à Ngbaina et Betefio se trouvent également dans la zone contrôlée par Wabilo. Au cours des dernières semaines, Wabilo a affirmé à des représentants de l’ONU qu’il souhaitait coopérer à la libération d’autres prisonniers.

Human Rights Watch a cherché en vain à s’entretenir avec Wabilo à plusieurs occasions, tant à Yaloké que par téléphone. En mars 2014, Wabilo a déclaré à Human Rights Watch : « Tout anti-balaka qui enfreint la loi doit être arrêté. » Il a alors indiqué qu’il rendait compte à Patrice Edouard Ngaissona, qui revendique le commandement national des anti-balaka.

Le système judiciaire national en République centrafricaine a été anéanti par les conflits successifs, et n’a ni les ressources ni l’expertise pour traduire en justice les responsables de graves crimes internationaux En septembre, agissant sur un renvoi du gouvernement de transition, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une deuxième enquête en République centrafricaine concernant les crimes commis depuis janvier 2012.

Le Conseil national de transition (CNT), le parlement centrafricain de transition, examine en ce moment un projet de loi visant à créer une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire national, qui serait composée de magistrats et de personnels nationaux et internationaux. Cette cour spéciale complèterait les travaux de la CPI et serait chargée de juger les auteurs de crimes graves. Le projet de loi examiné spécifie que la cour spéciale devrait accorder une attention spécifique aux violences sexuelles et aux crimes contre les enfants, comme ceux que Human Rights Watch a documentés à Pondo.

La République centrafricaine traverse une crise depuis début 2013, lorsque les rebelles de la Séléka, en majorité musulmans, ont pris le pouvoir lors d’une campagne militaire marquée par des meurtres généralisés de civils, des incendies, des pillages de maisons, et d’autres graves exactions. À la mi-2013, des groupes se faisant appeler les anti-balaka se sont organisés pour combattre la Séléka et ont mené des attaques de représailles à grande échelle contre les civils musulmans, notamment des bergers nomades Peuls. Des milliers de civils ont été tués et des centaines de milliers de personnes ont été déplacées durant le conflit. Le conflit se poursuit entre les Séléka, les anti-balaka et les forces internationales – la MINUSCA et des troupes françaises – dans la partie est du pays.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a mandaté la MINUSCA pour lutter contre les violences sexuelles, et pour s’assurer que ces efforts sont intégrés dans tout le travail de la mission, notamment en aidant à traduire en justice les auteurs de ces violences. Le mandat de la MINUSCA doit être renouvelé le 28 avril et les dispositions visant à combattre les violences sexuelles devraient demeurer fortes.

« Les personnes responsables de ces crimes atroces doivent rendre compte de leurs actes devant la justice car la poursuite de l’impunité ne peut qu’encourager les agresseurs », a conclu Lewis Mudge. « Les responsables de l’ONU et du gouvernement centrafricain devraient également mener de toute urgence des enquêtes pour localiser les Peulhs et les autres civils qui pourraient être retenus en captivité, s’employer à les libérer et aider les victimes à obtenir l’aide psychologique et les soins médicaux nécessaires. » 

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Interview de Peter Bouckaert et du père Kinvi

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