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« Madame, j’espère que maintenant vous allez cesser de défendre les droits de l’homme des terroristes  ». Ce commentaire d’un internaute sur ma page Facebook reflète bien l’esprit de certains Tunisiens après les attentats sanguinaires qui ont visé un lieu symbolique de l’histoire tunisienne, le Musée du Bardo, faisant 21 morts et 42 blessés selon le bilan officiel. Dans les médias, on entend le même son de cloche avec un matraquage sans précédent. Il y a eu une avalanche de déclarations de hauts responsables, d’intellectuels et de syndicalistes de la police, abondant dans le même sens. Le ministre de l’Éducation, Néji Jalloul, a ainsi affirmé  sur le plateau d’une télévision privée, que « les terroristes ne reconnaissent pas les droits de l’homme, c’est pour cette raison que nous ne devons pas leur reconnaitre de droits ». De même, un éditorialiste du quotidien Le Temps s’est attaqué aux « moralistes défenseurs des droits de l’homme, endimanchés et installés confortablement dans leur tour d’ivoire galactique ».

Les militants des droits humains sont donc dans la ligne de mire d’une partie de l’opinion publique, qui leur fait porter la responsabilité du laxisme des autorités en matière de lutte contre le terrorisme. Or le rôle de ces organisations se limite à exhorter les autorités, dans leur stratégie sécuritaire, au respect de certaines règles fondamentales pour la préservation de la vie, de la dignité et de la liberté de leurs citoyens. Les positions citées ci-dessus nous projettent dans un mimétisme de la barbarie qui risque de mener à une escalade de la violence et des atrocités. Elles justifient implicitement la torture pour les « terroristes », et appellent à fermer les yeux sur des abus parce que ces êtres ne sont plus « humains ».

On ne se rend pas assez compte qu’accepter une telle rhétorique, c’est sacrifier une partie de nos valeurs et risquer de se retrouver aussi dépouillé de ces droits qu’eux. Légitimer les dérives policières, les exceptions aux droits et la mise à l’écart des garanties essentielles, c’est nous livrer tous, le bon grain et l’ivraie, les coupables et les innocents, à l’arbitraire de l’État. L'aval donné à des pratiques policières abusives contre ces individus peut devenir une pratique généralisée contre tous. Cela ne veut pas dire favoriser le laxisme, ni empêcher une réponse ferme face à la barbarie des extrémistes. L’exigence de respect d’un État de droit est la condition même du succès de toute lutte efficace contre le terrorisme. Les abus et les violences gratuites sont au contraire le terreau dans lequel le terrorisme peut croitre, parce qu’il se nourrit de ces déviances, de la fabrique des injustices et de l’aveuglement des autorités par rapport à ses causes sociologiques et politiques profondes. Elles peuvent même aggraver le ressentiment qu’éprouve une partie de la jeunesse envers les forces de sécurité considérées comme une force répressive, et aggraver l’aliénation quotidienne dont elle souffre en la jetant dans les bras de groupes extrémistes.

La rhétorique anti droits humains est donc dangereuse et contreproductive. Elle ne permettra pas de trouver des solutions rationnelles au problème du terrorisme mais ne fait que fragiliser les institutions d’un État de droit naissant.

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Amna Guellali est la directrice du bureau de Human Rights Watch en Tunisie.

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