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Afrique de l’Ouest : Offensive régionale contre Boko Haram

Cette initiative multinationale devrait assurer la protection des civils et respecter les droits des prisonniers

(Abuja, le 11 février 2015) – Les forces africaines qui ont entrepris de faire face à la menace croissante du groupe armé Boko Haram en lançant contre lui une offensive militaire multinationale devraient protéger les populations civiles et respecter les droits des prisonniers, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Le 7 février 2015, les gouvernements de la région, appuyés par l’Union africaine (UA), ont créé conjointement une Force spéciale multinationale (Multinational Joint Task Force, MNJTF) de 8 750 membres, constituée d’éléments provenant des forces de sécurité du Nigeria, du Tchad, du Cameroun, du Niger et du Bénin, pour combattre Boko Haram. Les attaques menées par ce groupe armé nigérian contre les populations civiles au cours de l’année écoulée ont fait des milliers de morts au Nigeria, et ses attaques meurtrières sur les territoires du Cameroun et du Niger voisins sont en augmentation.

« La force régionale doit prendre des mesures concrètes pour s’assurer que les civils de la région soient protégés, ainsi que les centaines de personnes et d’enfants soldats qui ont été enlevés par Boko Haram », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « La nécessité de respecter les droits humains, y compris ceux des prisonniers, ne doit pas être perdue de vue dans le contexte d’urgence créé par la menace régionale croissante posée par Boko Haram. »

Il est crucial que la force multinationale nouvellement créée se conforme pleinement aux normes internationales en matière de droits humains et au droit humanitaire international, a affirmé Human Rights Watch. Ceci est essentiel, non seulement pour remplir les obligations des pays membres de l’UA, mais aussi parce que les violations des droits humains qui seraient commises au nom de la lutte contre Boko Haram ne pourraient qu’accroître l’effet d’attraction qu’exerce ce groupe, parmi les populations à l’intérieur et à l’extérieur du Nigéria qui ont déjà été les victimes de la plupart des exactions commises par toutes les parties.

Les gouvernements régionaux s’emploient à mettre au point le mandat opérationnel de la mission destinée à combattre Boko Haram. Il est probable qu’ils sollicitent un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui pourrait aussi inclure la fourniture d’un soutien logistique par d’autre pays. En attendant, des milliers de militaires, ainsi que des avions et des hélicoptères de combat, du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria sont déjà engagés dans la lutte, à la fois sur le territoire de ces pays et à l’extérieur.

Le fait que de graves abus ont été commis dans le passé par certaines des forces de sécurité participant à cette force multinationale suscite des préoccupations, relatives à la nécessité que toutes les forces armées minimisent les dommages subis par les populations civiles et s’assurent que tous les prisonniers soient traités humainement, conformément au droit international en matière de droits humains, a affirmé Human Rights Watch. Ces préoccupations sont accentuées par la présence dans les rangs de Boko Haram d’enfants soldats et de nombreux hommes et garçons qui ont été recrutés de force comme combattants.

Les forces de sécurité nigérianes suscitent des préoccupations toutes particulières. Dans le cadre de leur riposte à Boko Haram depuis 2009, elles ont eu recours à une force excessive, ont incendié des habitations et des villages, et ont torturé et détenu des milliers de suspects dans des conditions inhumaines. De nombreuses personnes qu’elles ont arrêtées sont mortes en détention ou ont été tuées.

Les troupes tchadiennes déployées en République centrafricaine ont également été impliquées dans des abus qui n’ont toujours pas fait l’objet d’enquêtes. Parmi ces exactions, figure une attaque menée sans discernement contre un marché à Bangui en mars 2014, dans laquelle environ 30 personnes ont été tuées et plusieurs centaines d’autres ont été blessées, selon les Nations Unies.

« L’on sait que des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été enlevés par Boko Haram et vivent maintenant au sein de communautés qui sont sous le contrôle de ce groupe », a affirmé Daniel Bekele. « Les puissances régionales qui effectuent des opérations militaires doivent prendre toutes les mesures possibles pour protéger ces personnes, ainsi que les autres civils. »

Depuis 2009, et de plus en plus depuis le milieu de l’année 2013, Boko Haram a perpétré plusieurs centaines d’attaques contre des populations civiles et des structures civiles comme des écoles, des marchés et des lieux de culte. On estime à 3 750 le nombre des civils tués par Boko Haram dans ces attaques en 2014, qui constituent probablement des crimes contre l’humanité. Le groupe a également enlevé des centaines de femmes et de filles et a recruté de force de jeunes hommes et garçons. Près d’un million de personnes ont été déplacées par les combats sur le territoire du Nigeria et au-delà de ses frontières.

Boko Haram a aussi attaqué des villages au Cameroun et enlevé des hommes d’affaires, des dignitaires religieux et des touristes, les retenant en otages pour extorquer des rançons. Lors d’une attaque commise le 4 février 2015 dans la ville de Fokotol, à ce jour la plus meurtrière en territoire camerounais, Boko Haram aurait tué de nombreuses personnes, incendié des églises et des mosquées, et utilisé des civils comme boucliers humains. Le 8 février, le groupe est réputé avoir enlevé de nombreux civils dans un bus qui les emmenait à un marché local. Plusieurs d’entre eux auraient ensuite été tués.

Depuis le 6 février, Boko Haram a également perpétré quatre attaques contre des villes du sud-est du Niger. À Diffa, ses hommes ont pris d’assaut une prison et auraient fait exploser une voiture piégée à proximité d’un bâtiment gouvernemental.

Selon le droit international, les civils ne doivent jamais constituer de manière délibérée la cible d’une attaque, à moins qu’ils ne prennent directement part aux hostilités; et les parties à un conflit armé sont tenues de prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages infligés aux civils et aux biens civils. Les attaques qui ne font pas de distinction entre combattants et civils, ou qui risquent de causer des dommages disproportionnés aux civils, sont interdites. Les exactions commises contre des populations civiles et contre des combattants capturés, telles que des meurtres, des actes de torture et autres mauvais traitements, peuvent être considérées comme des crimes de guerre.

À l’heure où les gouvernements régionaux et l’Union africaine s’efforcent de finaliser le mandat opérationnel de la Force spéciale multinationale, ils devraient:

  • Inclure des juristes expérimentés dans l’application des lois de la guerre dans les conflits armés non internationaux, dans le traitement des crimes de guerre et dans l’application du concept de responsabilité de commandement;
  • Inclure des agents de police militaire – ou des militaires exerçant la fonction de prévôt des armées – mandatés pour traiter les manquements à la discipline commis par des soldats; 
  • Inclure dans le mandat de la force internationale la nécessité de mettre au point et rendre publiques des règles d’engagement qui donnent la priorité à la limitation des dommages infligés aux civils et aux biens civils lors des opérations militaires;
  • Inclure une équipe de surveillance des droits humains de l’UA, compétente et bien pourvue en personnel, chargée de travailler aux côtés de la force militaire régionale afin de superviser le respect du droit humanitaire international et des droits humains par toutes les parties, et soumettre régulièrement et publiquement au Conseil de paix et sécurité de l’UA ou à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples des rapports contenant ses constatations et ses recommandations;
  • S’assurer que toutes les allégations crédibles de violations des normes internationales en matière de droits humains et du droit humanitaire international par quelque partie que ce soit fassent rapidement l’objet d’une enquête exhaustive et impartiale, et que les individus responsables de crimes soient poursuivis en justice de manière appropriée. Les enquêteurs, les procureurs et les juges devraient être placés hors de la chaîne de commandement militaire;
  • Élaborer une stratégie visant à améliorer le traitement des combattants de Boko Haram, dont un grand nombre ont été enlevés et enrôlés de force, après leur désertion ou leur reddition, comportant la création de points de réception pour ces combattants;
  • S’assurer que tous les enfants capturés ou qui auraient échappé au contrôle de Boko Haram soient rapidement confiés aux soins de l’UNICEF, ou d’organisations officielles ou non gouvernementales nigérianes appropriées, et restitués à leurs familles le plus tôt possible, en tenant compte au mieux des intérêts de l’enfant; et
  • S’appuyer sur l’expertise des services de l’ONU compétents en matière de droits humains et de protection des populations civiles, y compris le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, le Département des opérations de maintien de la paix, le représentant spécial du Secrétaire général sur les enfants dans les conflits armés et le représentant spécial du Secrétaire général sur les violences sexuelles dans les conflits armés.

« Les habitants du nord-est du Nigeria se trouvent dans une situation précaire, pris entre Boko Haram et les forces de sécurité nigérianes », a conclu Daniel Bekele. « Toute action entreprise en leur nom devrait viser tout d’abord à leur épargner de nouvelles souffrances. »

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