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Pour la première fois depuis 2005, l’Algérie vient d’accorder à Human Rights Watch des visas d’entrée. De retour après tant d’années, je vois des familles de personnes « disparues » lors de la guerre civile sanglante des années 90 qui manifestent encore régulièrement, scandant « Rendez nous nos fils » sur un trottoir du centre ville d’Alger – comme elles le font depuis quinze ans. Les automobilistes qui circulent devant eux préféraient sans doute qu’on ne leur rappelle pas les violences qui ont déchiré leur pays après qu’un coup d’État soutenu par l’armée ait interrompu les élections de 1992 que les islamistes s’apprêtaient à gagner. Lors des violences qui ont suivi, impliquant principalement les forces de sécurité et les groupes armés, plus de 100 000 personnes ont été tuées – des civils pour la plupart. Les manifestants ont vieilli. Depuis ma dernière visite, j’ai reçu divers emails à plusieurs mois d’intervalle m’informant qu’un parent de l’une des personnes disparues est décédé, sans avoir pu savoir ce qu’il était advenu de son enfant.

Le 15 octobre, Ambarek Hamdani, le père d’un « disparu », a parcouru sous la pluie quelque 50 kilomètres depuis son village de Heluoia, dans le gouvernorat de Blida, pour rejoindre la quarantaine d’autres manifestants. Le 23 mars 2015, cela fera vingt ans que son fils Djamel a disparu. Alors que la photo d’un jeune adolescent – ayant peut-être le même âge que mon propre fils – figure sur l’affiche brandie par son père, Djamel serait aujourd’hui un homme d’âge mûr.

L’ordonnance qui en 2006 a mis en œuvre la Charte pour la paix et la réconciliation nationale a  mené à des offres d’indemnisation aux familles dans plus de 7 000 cas de disparitions reconnues par l’État, mais elle a aussi accordé l’amnistie aux agents de l’État qui ont commis ces crimes. La plupart des familles ont accepté ces offres d’indemnisation, choix qui est leur droit.

Et puis il y a les familles qui refusent une indemnisation tant que l’État ne révèle pas le sort  connu par leurs enfants. Pour nombre de ces familles, « la vérité » signifie bien plus que d’apprendre si, et comment, leurs enfants sont morts, et aux mains de qui. Ils attendent la confirmation par l’État que leur enfant faisait partie des nombreuses personnes innocentes  balayées par les forces de sécurité lors d’une guerre sale contre le terrorisme, simplement par qu’elles connaissaient quelqu’un, qu’elles étaient désignées par un détenu sous la torture, ou bien qu’elles avaient un cousin dans un groupe armé. 

La plupart des familles qui refusent une indemnisation comprennent que leurs enfants ne reviendront probablement jamais. Mais elles sont déterminées à interpeller les dirigeants algériens, qui insistent pour « tourner la page » sans mener aucune enquête ni poursuites judiciaires. Tout ce que peuvent faire ces familles pour garder leurs enfants, c’est se tenir ensemble au bord de la route et brandir leurs photos.

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Eric Goldstein est directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. Sur Twitter @goldsteinricky

 

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