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Conseil de sécurité de l’ONU : Il faut saisir la CPI de la situation en Syrie

La Russie et la Chine devraient s’abstenir d’opposer leur veto à la résolution proposée par la France

(New York) – Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait adopter de toute urgence une nouvelle résolution proposée par la France et visant à déférer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. La Russie et la Chine devraient s’abstenir d’opposer leur veto à cette résolution.

Le 12 mai 2014, la France a fait circuler une résolution aux membres du Conseil de sécurité qui donnerait compétence à la CPI à l’égard des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis en Syrie. La guerre en Syrie a été marquée par l'impunité pour les exactions commises par toutes les parties belligérantes.

« Avec un nombre de victimes dépassant de loin  150 000 morts en Syrie et de nouvelles atrocités commises tous les jours, le Conseil de sécurité a une responsabilité urgente d'agir pour la justice », a insisté Richard Dicker, directeur de la division Justice internationale à Human Rights Watch. « Le Conseil devrait mettre fin au sentiment d'impunité de toutes les parties, et adresser un message clair avertissant que les responsables de ces tueries pourraient se retrouver un jour dans des cellules de prison à La Haye. »

Une large majorité des 15 membres du Conseil de sécurité  - la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Luxembourg, l'Argentine, l'Australie, la Corée du Sud, le Chili, la Lituanie et le Nigeria - a publiquement soutenu un rôle pour la CPI en Syrie. Une résolution du Conseil de sécurité exige neuf votes positifs pour être adoptée. La Russie a par le passé exprimé des objections à une telle mesure, le 15 janvier 2013, décrivant les efforts pour obtenir une saisine de la CPI comme « inopportuns et contre-productifs ». La Chine ne s’est pas prononcée à ce sujet. Les deux pays, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité, ont le pouvoir d’opposer leur veto à des résolutions.

Les membres du Conseil de sécurité et d'autres pays qui ont à plusieurs reprises exprimé leur préoccupation au sujet des crimes en Syrie devraient parrainer conjointement la résolution comme une expression de soutien à la justice pour les violations graves, selon Human Rights Watch. Ils devraient également mettre en garde la Russie et la Chine contre leur opposition à une résolution sur la responsabilisation pour les violations commises par toutes les parties. Cinquante-huit pays qui ont soutenu conjointement un renvoi devant la CPI le 14 janvier 2013, sont censés émettre une lettre ouverte appelant les pays membres de l'ONU à approuver officiellement le projet de résolution français.

Au cours des trois dernières années, Human Rights Watch a largement documenté les exactions perpétrées par les forces gouvernementales et pro-gouvernementales et a conclu qu'elles ont commis des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Le gouvernement continue de mener des attaques aériennes et d'artillerie aveugles frappant des zones civiles et de détenir arbitrairement, de torturer et d’exécuter de façon extrajudiciaire les civils et les combattants. Human Rights Watch a également documenté des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis par de nombreux groupes armés non étatiques, notamment l'utilisation de voitures piégées pour cibler les civils, l'utilisation aveugle d’obus de mortier, l'enlèvement, la torture et les exécutions extrajudiciaires.

Ni les autorités syriennes ni les dirigeants des groupes armés non étatiques n’ont pris de mesures concrètes afin d’exiger des comptes pour les crimes graves contre les droits humains passés et en cours. L’absence de poursuites menées contre les responsables de ces violations n'a fait qu'alimenter de nouvelles atrocités de la part de toutes les parties belligérantes, selon Human Rights Watch.

Le dernier rapport de la Commission d'enquête de l'ONU pour la Syrie, publié le 5 mars 2014, a constaté que toutes les parties au conflit en Syrie ont continué de commettre des crimes graves au regard du droit international et a conclu que le Conseil de sécurité ne parvenait pas à prendre des mesures pour mettre fin à l'état d’impunité. La commission, qui a publié sept rapports approfondis depuis sa création en août 2011, a recommandé que le Conseil de sécurité donne un mandatà la CPI pour enquêter sur les exactions en Syrie. Soixante-cinq pays à travers le monde ont déjà exprimé leur soutien à l’implication de la Cour en Syrie. La Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme a également, à plusieurs reprises, recommandé que le Conseil de sécurité défère la situation à la CPI, et tout récemment au cours d'une séance d'information avec le Conseil de sécurité le 8 avril 2014.

La Syrie n'est pas un État partie au Statut de Rome, le traité qui a institué la CPI. Par conséquent, la CPI ne peut obtenir juridiction sur les crimes dans ce pays que si le Conseil de sécurité défère la situation en Syrie à la Cour. Cette décision donnerait à la CPI la compétence pour enquêter sur les graves abus commis par toutes les parties au conflit en Syrie. Le Conseil de sécurité a fait des références similaires à deux reprises, pour la région du Darfour au Soudan en 2005 et pour la Libye en 2011. La Russie, tout comme la Chine, ont appuyé le renvoi à la CPI de la situation en Libye dans un vote unanime du Conseil de sécurité.

La CPI est une cour internationale permanente ayant pour mandat de juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité lorsque les autorités nationales sont incapables ou refusent de le faire. La Cour a été créée pour répondre exactement au genre de situation qui existe aujourd'hui en Syrie, selon Human Rights Watch.

La résolution proposée par la France comprend –en guise de concession aux États-Unis, selon certains diplomates – une disposition qui exempterait les ressortissants de pays non-États parties à la CPI de la compétence de la Cour dans le cas où ils participeraient à des opérations en Syrie mandatées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. La résolution ferait également porter toute la charge financière d'une enquête sur la Syrie aux États parties à la CPI, interdisant tout financement des Nations Unies pour les poursuites résultant de la saisine par le Conseil de sécurité. Human Rights Watch déplore les deux dispositions, mais estime que la résolution dans son ensemble ferait tout de même avancer la cause de la justice en Syrie.

« La Russie et la Chine ont paralysé le Conseil de sécurité pendant trop longtemps et doivent répondre à la demande de justice des Syriens ainsi que d'autres pays à travers le monde », a conclu Richard Dicker. « Après des années de tueries et de chaos en Syrie, opposer un veto à cette résolution serait une gifle en pleine figure pour d'innombrables victimes qui reviendra hanter Moscou et Pékin. »

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