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Europe : Il faut mettre à jour la convention sur le travail forcé

Près de 21 millions de personnes sont victimes de l’esclavage moderne

(Berlin) – Les gouvernements européens devraient marquer la Fête du Travail, le 1er mai 2014, en s’engageant à mettre en place des normes juridiquement contraignantes pour prévenir le travail forcé et pour protéger et indemniser les victimes, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L'Organisation internationale du Travail (OIT) estime que 20,9 millions de femmes, d’hommes et d’enfants sont victimes du travail forcé dans le monde entier.

L'OIT estime qu'il existe 880 000 victimes du travail forcé dans l'Union européenne, et 1,6 million d’autres victimes en Europe centrale et du Sud,  ainsi que dans la Communauté des États indépendants.

« Des millions de personnes dans le monde entier sont piégées dans des situations de travail forcé, dans des conditions d'exploitation qui choquent la conscience », a déclaré Nisha Varia, chercheuse senior sur les droits des femmes à Human Rights Watch. « Les membres de l'OIT devraient déployer d’importants efforts pour munir les gouvernements de normes solides et efficaces et, compte tenu du nombre élevé de leurs bonnes pratiques, les pays européens devraient ouvrir la voie. »

La Convention 29 de l'OIT sur le travail forcé, adoptée en 1930, est l'un des traités les plus importants du droit international du travail. Elle a été ratifiée par 177 pays, mais un grand nombre de ses dispositions sont obsolètes. Des représentants de gouvernements, de syndicats et d’organisations patronales se réuniront à Genève en juin afin de négocier des normes complémentaires qui répondent mieux aux exactions contemporaines. Ces nouvelles normes devraient être juridiquement contraignantes, selon Human Rights Watch.

Les membres de l'OIT voteront pour décider si ces nouvelles normes supplémentaires devraient constituer un protocole juridiquement contraignant que les pays puissent ratifier ou bien seulement une recommandation non contraignante. Dans leurs indications préliminaires sur leurs positions, les gouvernements sont partagés, notamment les gouvernements européens. Parmi les pays qui se sont prononcés en faveur de normes juridiquement contraignantes figurent la France, l’Allemagne, la Grèce, la Russie, le Brésil, la Chine, le Mexique, l'Afrique du Sud et les États-Unis. Ceux qui préfèrent une recommandation non contraignante comprennent les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni, l'Australie, l'Argentine, l'Inde, l'Indonésie, le Qatar et les Philippines.

« S'engager en faveur de mesures fondamentales de prévention et de protection pour éliminer le travail forcé ne devrait pas être facultatif », a souligné Nisha Varia. « Il est choquant que, malgré des normes strictes au niveau national et des engagements publics pour combattre le travail forcé, des pays tels que la Norvège, la Suède, l'Espagne et les Pays-Bas ont été réticents à soutenir de fortes protections au niveau mondial. »

L'Europe dispose de plusieurs normes régionales pour lutter contre le travail forcé et la traite humaine, notamment dans la Convention européenne des droits de l'homme, la Convention de 2005 du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et une directive de 2011 de l'UE sur la traite des êtres humains.

Une mise à jour des normes internationales sur le travail forcé viendrait compléter les efforts de lutte contre la traite des êtres humains, étant donné le chevauchement important entre le travail forcé et la traite des êtres humains. Cependant, les efforts de lutte contre la traite des êtres humains dans un grand nombre de pays du monde entier ont été orientés vers la traite à des fins d'exploitation sexuelle, accordant relativement peu d’attention à l'identification et la protection des victimes de la traite de la main-d’œuvre. Parmi les plus de 18 millions de personnes en situation de travail forcé dans l'économie privée, l'OIT estime que 4,5 millions sont victimes d'exploitation sexuelle et 14,2 millions sont victimes d'exploitation au travail.

Dans un rapport de mars, Human Rights Watch a documenté la façon dont les travailleurs domestiques migrants accompagnant leurs employeurs au Royaume-Uni sont soumis à de graves exactions, notamment le travail forcé.

Andrea N., une employée de maison philippine, s’est rendue à Londres avec son employeur diplomate et sa famille en provenance d'un pays du Golfe. Andrea N. s'occupait des enfants, cuisinait et faisait le ménage sept jours par semaine, sans jour de congé. Elle commençait à 6 heures du matin et travaillait jusqu'à 22 ou 23 heures tous les soirs. « Avant de venir ici, le contrat disait que mon salaire serait de 1 000 livres [par mois], mais ils m'ont payé 200 livres », a-t-elle affirmé. « Ils m'ont enfermée dans la maison à Londres et quand nous sortions, parfois, ils ne me donnaient pas à manger. »

Au cours des dix dernières années, Human Rights Watch a publié 49 rapports sur le travail forcé couvrant des exactions telles que la mendicité forcée des enfants ; l’exploitation dans le travail domestique, la construction, l'agriculture et le secteur minier ; le travail forcé dans les prisons et centres de détention pour toxicomanes ; et la conscription à durée indéterminée. Les victimes travaillent souvent de longues heures dans des conditions dangereuses pour peu ou pas de salaire, sont confrontées à la violence psychologique, physique ou sexuelle, et ne sont pas libres de partir en raison de confinement, de servitude pour payer des dettes, de menaces de représailles, ou d'autres sanctions.

Ces exactions sont souvent cachées au public et entraînent des coûts financiers pour les victimes et la société. L'OIT estime que les travailleurs en situation de travail forcé perdent 21 milliards de dollars US en salaires chaque année et que ceux qui imposent le travail forcé font 44 milliards de dollars US de profits illégaux. Les pays perdent des milliards de dollars en recettes fiscales et en cotisations de sécurité sociale.

Exemples de travail forcé publiés dans des rapports de Human Rights Watch 
Au Sénégal, au moins 50 000 enfants fréquentant des écoles coraniques résidentielles sont dans des conditions de travail forcé. Ils sont forcés de mendier et de gagner des quotas quotidiens de nourriture et d'argent pour les donner à leurs enseignants. Ibrahima T., un garçon de 13 ans, a expliqué à Human Rights Watch :

Chaque fois que je ne pouvais pas remplir le quota avant 10 heures du matin, l'un des grands talibés [assistants enseignants] m’emmenait dans une pièce et m’enchaînait par les chevilles. Puis il me frappait avec un câble électrique ou une chambre à air – les coups étaient trop nombreux pour les compter .... La punition était la même pour les retards. Si je revenais après 10 heures, même avec le quota, j'étais enchaîné jusqu'à la tombée de la nuit et battu.

Au Vietnam, les centres de détention pour toxicomanes gérés par le gouvernement, mandatés pour « traiter » et « réhabiliter » les toxicomanes, ne sont guère plus que des camps de travaux forcés où les toxicomanes travaillent six jours par semaine dans le traitement des noix de cajou, la couture de vêtements ou la fabrication d'autres articles. Vu Ban avait une vingtaine d’années quand il a été détenu au centre n° 2 (province de Lam Dong) pendant cinq ans. Il a confié à Human Rights Watch : « J'avais un quota de 30 kilos [de noix de cajou] par jour et je travaillais jusqu'à ce qu'ils soient achevés. Si vous refusiez de travailler vous étiez envoyé dans la pièce de punition et après un mois [dedans] vous acceptiez de travailler à nouveau. »

Au Qatar, Raju S., un travailleur de 20 ans originaire du Népal, a déclaré qu’un recruteur lui avait promis un emploi dans un bureau gagnant 1 200 riyals (329 dollars US) par mois. Il a payé l'agent 130 000 roupies népalaises (1 781 dollars US). Au lieu de cela, quand il est arrivé, son employeur l’a fait travailler dans la construction et l'a payé seulement 600 riyals (165 dollars US) par mois. Quand il a essayé de refuser les conditions, son employeur a réclamé 1 000 riyals supplémentaires (275 dollars US) pour rompre son contrat. Raju S. a déclaré qu'il a dû rester pour rembourser ses prêts.

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