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Le tribunal créé à Dakar par l’Union africaine et le Sénégal pour juger les principaux responsables des crimes internationaux commis au Tchad sous le régime de Hissène Habré célèbre aujourd’hui son premier anniversaire. Si certaines voix africaines se sont élevées en 2013 pour critiquer la Cour pénale internationale supposée à la botte d’un Occident impérialiste et raciste, ces protestations ne peuvent occulter une Afrique qui se bat contre l’impunité.

Après plus de deux décennies d’une campagne acharnée, les survivants du régime de Hissène Habré (1982-1990) commencent à prendre goût à la justice. Son régime à parti unique s’est distingué par des atrocités commises à grande échelle : torture systématique, arrestations arbitraires, assassinats politiques et vagues de répression contre des ethnies. Ces crimes ont été perpétrés inlassablement par la police politique du régime, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS). Habré vit en exil au Sénégal depuis plus de 23 ans.

La campagne des victimes les a menées devant les juridictions sénégalaises, tchadiennes et belges, ainsi que devant le Comité contre la Torture et la Cour de justice de la CEDEAO. Les demandes des rescapés et des ONG les accompagnant dans leur combat pour la justice ont résonné sur divers continents, dans les enceintes de l’Union africaine, du Parlement européen et du Congrès américain. Grâce à l’arrivée au pouvoir de Macky Sall, le nouveau président sénégalais, et à la condamnation du Sénégal par la Cour internationale de Justice saisie par la Belgique, l’avènement d’un tribunal s’est enfin concrétisé en 2012.

Les « Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises » ont été créées par un traité entre l’Union africaine et le Sénégal en août 2012. Il y a un an, le 8 février 2013, cette juridiction novatrice lançait ses activités par une cérémonie d’inauguration à Dakar.

En une année d’activités, ce tribunal n’a pas à rougir de son bilan. Loin de là. Hissène Habré a été inculpé en juillet pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture, puis placé en détention provisoire, provoquant un véritable émoi au Tchad. Cinq de ses complices, des tortionnaires redoutés, sont aussi visés par les Chambres. Les juges d’instruction ont déjà effectué deux commissions rogatoires internationales au Tchad. Ils y ont entendu près de 2000 victimes, suscitant une réelle effervescence chez des personnes laissées en marge de la société tchadienne et jamais prises au sérieux jusqu’alors par des autorités judiciaires. Au moins une quarantaine de témoins clefs ont aussi été auditionnés par les juges, y compris des « insiders », ces proches de Habré placés dans les rouages de l’administration répressive. Les Chambres ont par ailleurs saisi une propriété dans un quartier chic de Dakar, ainsi que deux comptes bancaires de Habré qui avait vidé les caisses du trésor national tchadien avant de fuir son pays en 1990.

Le travail diligent de cette juridiction a eu des répercussions immédiates au Tchad, où le pouvoir judiciaire a enfin inculpé 27 agents de la DDS sur la base de plaintes déposées par les victimes en 2000. Une vingtaine de ces anciens bourreaux se trouvent aujourd’hui en détention provisoire.

En 2014, les juges d’instruction sénégalais devraient se rendre encore une fois au Tchad pour une troisième commission rogatoire lors de laquelle ils effectueront possiblement des exhumations. Plusieurs experts ont aussi été dépêchés pour parfaire les investigations. 

Dans un an donc pourrait débuter le premier procès de l’histoire moderne d’un ancien chef d’État devant les tribunaux d’un pays qui n’est pas le sien. Le deuxième anniversaire des Chambres africaines extraordinaires ne pourra que conforter cette société civile de l’Afrique qui lutte pour ses droits.

Henri Thulliez est chargé de mission sur l'affaire Habré pour Human Rights Watch.

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