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France : Un détracteur du gouvernement kazakh doit être protégé

Il ne faut pas extrader ce réfugié vers un pays où il risque un procès inéquitable

Mise à jour 9 janvier 2014

Le 9 janvier 2014, un tribunal d’Aix-en-Provence a approuvé les demandes d’extradition déposées par la Russie et par l’Ukraine qui visaient Mukhtar Ablyazov, ancien président de la banque BTA et figure de l’opposition kazakhe. Le tribunal a estimé que la demande déposée par la Russie était prioritaire, après que le procureur français a fait valoir qu’Ablyazov aurait commis  dans ce pays des délits, y compris les détournements de fonds, à une plus grande échelle qu’en Ukraine.

Un avocat de la famille d’Ablyazov a indiqué à Human Rights Watch que les juges n’avaient pas justifié leur décision, mais qu’une version écrite serait fournie ultérieurement. Ablyazov et ses avocats ont déclaré qu'ils envisagent de faire appel de la décision devant la Cour de Cassation à Paris.

Les arguments concernant l’extradition d’Ablyazov vers la Russie et l’Ukraine ont été entendus le 12 décembre 2013. Les avocats d’Ablyazov ont qualifié l’audition de « désorganisée et bâclée », et ont indiqué que leur client n’avait pas bénéficié des « dispositifs de traduction adéquats ».

À maintes reprises, Human Rights Watch a appelé les autorités françaises à ne pas extrader Ablyazov vers l’Ukraine ou vers la Russie. En vertu du droit international et européen relatif aux droits humains, la France a l’obligation de protéger Ablyazov, dont le statut de réfugié politique  a été reconnu au Royaume-Uni, contre toute extradition vers un pays qui pourrait le reconduire vers le Kazakhstan, où il court un risque grave de subir des mauvais traitements et d’être victime d’un déni évident de ses droits à un procès équitable.

Les avocats d’Ablyazov ont indiqué que, lors de l’audition du 12 décembre, la Russie et l’Ukraine ont assuré qu’il ne serait ni maltraité ni renvoyé vers le Kazakhstan. Ces avocats ont toutefois précisé que la France violerait les obligations lui incombant en vertu du droit international et européen relatif aux droits humains si leur client était extradé vers la Russie ou l’Ukraine, du fait du risque réel de torture ou de mauvais traitements dans l'un ou l'autre de ces deux pays, outre le risque qu’il soit ensuite renvoyé au Kazakhstan.

« Les autorités kazakhes n’ont pas  dissimulé leur souhait de placer Mukhtar Ablyazov en détention », a indiqué Mihra Rittmann, chercheuse sur l’Europe et l’Asie centrale à Human Rights Watch. « Les promesses diplomatiques de la Russie et de l’Ukraine – pays qui se sont déjà tristement illustrés à plusieurs reprises en renvoyant des personnes vers d’autres pays où elles étaient exposées à des risques de mauvais traitements et de torture – ne constituent guère une garantie qu’Ablyazov ne finira pas par se retrouver au Kazakhstan. »

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(Paris, le 8 août 2013) –  Les autorités françaises ne devraient pas extrader Mukhtar Ablyazov, refugié reconnu et critique véhément du gouvernement, vers le Kazakhstan. Au Kazakhstan, il courrait un sérieux risque de subir des mauvais traitements et de voir son droit à un procès équitable être bafoué de façon flagrante. Les autorités françaises ne devraient pas davantage renvoyer Ablyazov vers un pays qui pourrait le remettre au Kazakhstan.

Le 6 août 2013, le bureau du procureur général du Kazakhstan a déclaré qu’il « prendra toutes les mesures mises à sa disposition par la loi pour qu’Ablyazov soit extradé » vers le Kazakhstan.  La déclaration signale également que l’Ukraine et la Russie, pays avec lesquels le Kazakhstan a des accords d’extradition, cherchent également à obtenir son extradition de France pour des chefs d’accusation semblables.

« Les autorités françaises devraient protéger Ablyazov contre tout retour forcé au Kazakhstan ou dans tout autre pays où il court un risque réel de retour forcé vers le Kazakhstan », a souligné Jean-Marie Fardeau, directeur de Human Rights Watch pour la France. « Le Kazakhstan est connu pour l’emprisonnement de ses opposants après des procès inéquitables et pour les mauvais traitements infligés aux personnes en détention. »

Ablyazov est une figure éminente de l’opposition et l’ancien président de la banque BTA au Kazakhstan. Il est recherché par le gouvernement kazakh pour détournement de fonds et d’autres infractions pénales en lien avec le vol présumé de fonds de la banque BTA alors qu’il en était le président au milieu des années 2000. Il est également recherché par les autorités en rapport avec les violences de décembre 2011 survenues à Janaozen.

En 2001, Ablyazov et Galymzhan Zhakianov ont cofondé un mouvement d’opposition, le Choix démocratique du Kazakhstan (DVK). Dans le cadre d’une vague de mesures de harcèlement visant les opposants politiques depuis le début des années 2000, les autorités ont emprisonné les deux hommes à la suite de procès qui, selon les observateurs internationaux, étaient entachés de graves irrégularités. Ablyazov a été libéré par la suite. Puis en 2009, les autorités kazakhes ont à nouveau engagé des poursuites pénales contre Ablyazov, affirmant qu’il avait détourné plus de cinq milliards de dollars américains de la banque que le gouvernement avait nationalisée en début d’année.

Ablyazov a fui le Kazakhstan en 2009. En 2011, le Royaume-Uni lui a accordé l’asile au motif qu’il courait le risque d’être persécuté au Kazakhstan. À la mi-février 2012, un tribunal britannique l’a reconnu coupable d’outrage pour avoir omis de révéler des avoirs après que la banque BTA lui avait intenté un procès pour lui réclamer plus de cinq milliards de dollars américains. Peu de temps après, Ablyazov est entré dans la clandestinité.

Les autorités kazakhes traquent Ablyazov depuis sa fuite du Kazakhstan, a expliqué Human Rights Watch. Au cours des derniers mois, elles ont intensifié leurs efforts, prenant pour cible sa famille et ses associés. Elles ont été activement impliquées dans l’expulsion illégale d’Italie et le transfert vers le Kazakhstan de l’épouse d’Ablyazov, Alma Shalabaeva, et de leur fille de 6 ans le 31 mai dernier. Le gouvernement italien a reconnu depuis lors que la procédure d’expulsion avait été entachée de graves irrégularités et il a annulé l’arrêté d’expulsion.

Le 31 juillet, les autorités françaises ont arrêté Ablyazov dans une villa du sud de la France. Un avocat de la famille Ablyazov a confié à Human Rights Watch que les autorités françaises l’avaient placé en garde à vue en vertu d’une demande de l’Ukraine basée sur des accusations de faux documents et d’escroquerie. Le 1er août, un tribunal français l’a placé en détention provisoire pour une période maximale de 40 jours afin d’examiner la demande d’extradition, bien qu’il ait demandé à bénéficier d’une libération conditionnelle.

Une alerte Interpol lancée pour l’arrestation d’Ablyazov est en vigueur depuis 2009, après que le Kazakhstan a engagé des poursuites à son encontre. Selon des informations relayées par les médias et la déclaration du bureau du procureur général du Kazakhstan, les autorités françaises sont en train d’examiner la demande d’extradition d’Ablyazov introduite par l’Ukraine.

Les autorités kazakhes ont également réclamé l’extradition d’Espagne, où il a demandé l’asile, d’Aleksandr Pavlov, qui avait travaillé pour Ablyazov en qualité de chef de la sécurité, ainsi que l’extradition de Pologne de Muratbek Ketebaev, une autre personnalité de l’opposition, qui, comme Ablyazov, est aussi impliqué dans des infractions liées aux violences survenues à Janaozen.

Les autorités kazakhes semblent espérer que la France envisagera d’extrader Ablyazov vers le Kazakhstan, même sans accord bilatéral. Dans sa déclaration, le bureau du procureur a signalé, « En ce qui concerne … la [possible] extradition d’Ablyazov vers le Kazakhstan, il convient de noter que récemment, une tendance positive se dessine pour ce qui est du transfert de personnes faisant l’objet de poursuites pénales de pays européens [vers le Kazakhstan] sur une base de réciprocité ». La déclaration affirme que cela reflète la « confiance croissante de la communauté internationale dans les organismes chargés de l’application des lois et les instances judiciaires du Kazakhstan, qui respectent les normes internationales de droits humains ».

Pourtant, selon Human Rights Watch, le bilan du Kazakhstan en matière de droits humains est déplorable et ne fait que se détériorer. Au cours des deux dernières années, Human Rights Watch a recueilli des informations sur l’utilisation faite par les autorités kazakhes d’accusations criminelles vagues et trop larges pour réduire au silence les détracteurs du gouvernement lors de procès inéquitables, tels que le procès de Vladimir Kozlov, un militant de l’opposition. Human Rights Watch a également relevé un grave recul général du respect de la liberté de réunion, d’expression et d’association.

Un rapport publié par Amnesty International en juillet 2013 a établi que la torture restait « une pratique courante » au Kazakhstan.

Human Rights Watch a également exprimé son inquiétude à propos des graves accusations de mauvais traitements et d’actes de torture perpétrés dans la foulée des violences de Janaozen en décembre 2011. L’organisation de défense des droits humains s’est entretenue avec des personnes qui avaient été témoins ou victimes de violences physiques infligées par la police en détention. Elles ont expliqué que les policiers avaient donné des coups de pied aux gens, les avaient battus à coups de matraque, avaient déshabillé et piétiné les détenus, et les avaient exposés à des températures glaciales. Les accusés aux procès liés aux violences de décembre 2011 ont  témoigné qu’ils avaient été passés à tabac, asphyxiés et soumis à des mauvais traitements psychologiques, mais les autorités kazakhes ont totalement omis de mener des enquêtes dignes de ce nom et de traduire en justice les responsables de ces actes.

Human Rights Watch a également recueilli des informations sur le non-respect par l’Ukraine et la Russie de l’obligation internationale qui leur incombe de ne pas renvoyer des personnes vers des pays où elles risquent de faire l’objet de mauvais traitements ou d’actes de torture.

En Ukraine, par exemple, Leonid Razvozzhaev, un militant politique russe accusé d’avoir organisé des émeutes populaires lors d’une manifestation en mai 2012, a été porté disparu en octobre 2012. Il avait été aperçu pour la dernière fois à l’extérieur des locaux d’une organisation non gouvernementale partenaire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) alors qu’il était en passe de demander l’asile. Il est réapparu en détention provisoire en Russiedeux jours après sa disparition d’Ukraine. Par la suite, il a déclaré que les enquêteurs russes l’avaient soumis à des tortures psychologiques pour qu’il passe aux aveux, notamment en le menaçant de lui faire du mal ainsi qu’à ses enfants. Il est actuellement en détention à Moscou, dans l’attente d’un procès.

En juillet 2013, le HCR a publié un rapport sur l’Ukraine, pays d’asile, relevant que l’accord conclu par l’Ukraine avec d’autres pays de l’ex-Union soviétique pour coopérer dans l’extradition de criminels présumés « peut aller à l’encontre des obligations qui leur incombent au regard de la Convention de 1951 [sur les réfugiés] ». Le HCR a noté qu’  « en 2012, l’Ukraine a extradé un réfugié dont le statut avait été reconnu à la fois aux termes du mandat du HCR et par un autre État partie à la Convention de 1951 ».

Au cours des dernières années, Human Rights Watch a également répertorié de multiples cas où les autorités russes avaient enfreint le droit international des droits humains en approuvant l’extradition de demandeurs d’asile vers des pays où ils risquaient d’être torturés et maltraités, entre autres l’Ouzbékistan et le Kirghizistan.

L’exemple le plus récent concerne trois hommes de l’ethnie ouzbèke recherchés par le Kirghizistan pour des infractions liées aux violences de juin 2010 qui avaient éclaté dans le sud du pays. En dépit de la grave menace de mauvais traitements et de torture qui pesait sur eux s’ils venaient à être renvoyés dans ce pays, comme décrit par le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et d’autres associations nationales et internationales de défense des droits humains, le procureur général de Russie a approuvé leur extradition, et des tribunaux russes ont confirmé la décision.

« L’Ukraine et la Russie ont une longue tradition et un triste bilan en matière de renvoi de personnes vers des pays, surtout ceux de l’ex-Union soviétique, où ils risquent de faire l’objet d’actes de torture, de mauvais traitements et de procès inéquitables », a fait remarquer Jean-Marie Fardeau. « Nous avons toutes les raisons de craindre que si la France envoie Ablyazov dans l’un ou l’autre de ces pays, leurs gouvernements le remettront aux mains des autorités kazakhes. »

Les États membres de l’Union européenne sont tenus de respecter les mêmes normes et procédures en matière d’asile et d’autres formes de protection, a signalé Human Rights Watch. La France ne devrait extrader aucune personne dont le statut de réfugié a été reconnu par un autre État membre de l’UE, dont le Royaume-Uni, vers un pays où la sécurité de ladite personne ne peut être garantie.

« Lors de l’examen de toute demande d’extradition d’Ablyazov, il est capital que la France respecte pleinement les obligations qui lui incombent au regard du droit de l’UE, des droits humains et des droits des réfugiés, et qu’elle le protège contre les violations graves de ses droits fondamentaux », a conclu Jean-Marie Fardeau.

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