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Tunisie: Un chanteur de rap acquitté après avoir passé 3 semaines en prison

Mais le crime d'« outrage à l'égard de fonctionnaires » devrait être révisé

(Tunis) – Une Cour d'appel tunisienne a annulé, le 17 octobre 2013, une condamnation prononcée précédemment contre un chanteur de rap pour avoir « insulté la police », a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Mais les législateurs tunisiens devraient abolir les lois qui pénalisent la diffamation et les « insultes» à l'égard des agents et institutions de l'État.

Un tribunal cantonal avait condamné le rappeur, Klay BBJ, à six mois de prison pour des paroles de chansons qu'il avait jugées « insultantes» lors d'un festival de musique d'été. Les lois qui pénalisent la critique pacifique et même les « insultes» à l'égard des agents ou des institutions de l'État violent les normes internationales en matière de liberté d'expression, a déclaré Human Rights Watch.

« C'est bien que Klay BBJ soit désormais libre mais il a tout de même passé trois semaines en prison et il n'aurait jamais dû être inculpé », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du nord à Human Rights Watch. « La Tunisie doit cesser d'arrêter des personnes pour avoir offensé des fonctionnaires ou les institutions de l'État et se débarrasser des lois qui pénalisent ce genre de critiques».

Depuis la révolution tunisienne de 2011, les autorités ont utilisé à plusieurs reprises ces lois, ainsi que d'autres dispositions répressives héritées du précédent gouvernement, pour poursuivre en justice les auteurs de déclarations qu'elles considèrent répréhensibles. L'Assemblée nationale constituante, l'actuel parlement, n'a pris aucune mesure pour abolir ces lois.

Durant la procédure d'appel devant la Cour de première instance de Grombalia, la défense a argué que Klay BBJ n'avait pas insulté la police et que de toute façon, sa chanson était une création artistique protégée par le droit à la liberté d'expression aux termes de la loi tunisienne et du droit international. La défense a également affirmé que l'article du code pénal tunisien qui vise les insultes à l'égard d'un fonctionnaire ne pouvait s'appliquer qu'aux injures envers des individus, alors que la chanson s'adresse à la police en tant qu'institution. La Cour révèlera le raisonnement sur lequel elle s'est fondée pour annuler la condamnation lorsqu'elle publiera son jugement.

Les chefs d'accusation retenus contre Ahmed Ben Ahmed, alias Klay BBJ, et un autre rappeur, Alaa Eddine Yaakoubi, plus connu sous le nom de Weld El 15 (« Le garçon de 15 ans » en arabe tunisien), ont pour origine leur prestation au Festival international d'Hammamet le 22 août, lors de laquelle ils ont interprété des chansons critiquant la police et les autorités.

Peu après leur passage sur scène, la police a agressé les deux chanteurs, les a arrêtés et gardés à vue pendant plusieurs heures, avant de les libérer dans l'attente des résultats d'une enquête. Ils ont été déclarés coupables une semaine plus tard, par le Tribunal cantonal d'Hammamet, d'« outrage à fonctionnaire », de « diffamation d’un corps constitué » et d'atteinte à la moralité publique, aux termes des articles 125, 247  et 226 bis du code pénal tunisien.

Le tribunal n'avait pas informé les deux hommes à l'avance de la tenue du procès et les a condamnés par contumace, a déclaré Ghazi Merabet, un des avocats des deux rappeurs, à Human Rights Watch. Le 18 septembre, Klay BBJ a usé de son droit d'être de nouveau jugé en sa présence. Lors de ce procès, le 26 septembre, le même tribunal l'a condamné à six mois de prison pour les mêmes chefs d'accusation. Il a passé trois semaines en prison, avant d'être libéré le 17 octobre.


Lors de l'audience d'appel le 17 octobre, les responsables ont tout d'abord empêché les représentants des médias, un chercheur de Human Rights Watch et des partisans du rappeur de pénétrer dans le tribunal, dans ce qui constituait une entorse au principe de la publicité des procédures. Des agents de police ont déclaré aux personnes qui tentaient d'accéder au prétoire que le procureur leur avait ordonné de ne pas faire entrer le public mais au bout de deux heures, les policiers les ont laissés entrer.

Lors de l'audience d'appel, les avocats du rappeur ont invoqué une affaire jugée en France, dans laquelle la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Rouen avait acquitté les membres du groupe de rap Sniper de l'accusation d'incitation à la violence. Cette Cour avait affirmé dans ses attendus que les chansons de rap étaient provocatrices par nature et parfois grossières mais qu'elles devaient être respectées et protégées en tant que forme d'expression libre.

Six témoins de la défense, qui avaient assisté au concert du 22 août à Hammamet, ont affirmé lors de l'audience d'appel qu'ils n'avaient pas entendu le rappeur prononcer des mots ou des expressions injurieuses à l'égard de la police ou d'autres institutions de l'État. Les chansons de Klay BBJ dénoncent habituellement les injustices, les violences policières et ce qu'il appelle l'autoritarisme du gouvernement actuel.

En mars, Weld El 15 a mis en ligne une vidéo pour sa chanson « Cops Are Dogs » (« Les flics sont des chiens ») contenant un montage de scènes montrant la police frappant des personnes. Le tribunal de première instance de Manouba l'a d'abord condamné à deux ans de prison, également par contumace car il s'était caché. Il s'est rendu à la police par la suite et a demandé que son dossier soit rouvert. Le 2 juillet, la Cour d'appel de Tunis a réduit sa peine à six mois avec sursis.

L'article 125 du code pénal tunisien punit d'un maximum d'un an de prison quiconque commet un outrage à un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions. L'article 247 prévoit une peine pouvant aller jusqu'à six mois de prison pour diffamation de personnes ou de corps constitués et l'article 226 bis interdit de porter atteinte à la moralité publique ou aux convenances par des actes ou des paroles.

Depuis le début de 2012, les autorités judiciaires tunisiennes ont poursuivi en justice de nombreux journalistes, blogueurs, artistes et intellectuels pour avoir fait usage pacifiquement de leur droit d'expression.

Les normes internationales interdisent d'appliquer la notion de diffamation à des organes ou à des institutions d'État. Les gouvernements et leurs institutions ne devraient pas être habilités à engager des poursuites judiciaires pour diffamation ou à faire engager de telles poursuites en leur nom. Dans un rapport daté du 20 avril 2010, le rapporteur spécial de l'ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, Frank La Rue, a déclaré: « Les lois qui pénalisent la diffamation ne doivent pas être invoquées pour protéger des notions ou des concepts abstraits ou subjectifs, tels que l'État, les symboles nationaux, l'identité nationale, les cultures, les écoles de pensée, les religions, les idéologies ou les doctrines politiques. »

Les Principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale, à la liberté d'expression et à l'accès à l'information, une série de principes auxquels adhèrent de nombreux experts et qui sont largement utilisés comme référence, contiennent notamment leprincipe 7(b) suivant:

Nul ne peut être puni pour avoir critiqué ou insulté la nation, l'État ou ses symboles, le gouvernement, ses institutions ou ses fonctionnaires, ou une nation étrangère, un État étranger ou ses symboles, son gouvernement, ses institutions ou ses fonctionnaires, à moins que la critique ou l'insulte ne soit destinée à inciter à la violence imminente.

« Un artiste devrait être en mesure de réaliser des œuvres critiques et provocatrices sans crainte d'être arrêté et poursuivi en justice », a conclu Eric Goldstein.

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