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Tanzanie: Les exactions et tortures policières entravent la prestation de services relatifs au VIH

Les personnes les plus vulnérables sont poussées vers la clandestinité par les discriminations et les violences

(Dar es Salaam) – Les Tanzaniens les plus exposés au risque de contracter le VIH subissent des exactions systématiques de la part de la police et sont souvent privés de tout secours lorsqu'ils sont victimes d'un crime, ont déclaré Human Rights Watch et la coalition Wake Up and Step Forward (WASO), dans un rapport publié aujourd'hui.

Ce rapport de 98 pages, intitulé  « 'Treat Us Like Human Beings:’ Discrimination against Sex Workers, Sexual and Gender Minorities, and People Who Use Drugs in Tanzania » (« 'Traitez-nous comme des êtres humains': Les travailleurs/euses du sexe, les minorités sexuelles et de genre, et les personnes qui consomment des drogues sont victimes de discriminations en Tanzanie»), documente les sévices subis par ces personnes, parmi lesquels des tortures, des viols, des agressions, des arrestations arbitraires et des extorsions de fonds. Les deux organisations ont constaté que la peur d'être maltraité amenait les travailleurs du sexe, les usagers de drogues et les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexuels (LGBTI) à éviter de recourir aux services préventifs et aux traitements. Les deux groupes ont effectué leurs recherches de mai 2012 à avril 2013 et ont interrogé 121 membres de groupes à haut risque, ainsi que des responsables gouvernementaux tanzaniens, des prestataires de services et des universitaires.

« Le gouvernement tanzanien s'est engagé sur le papier à s’attaquer au problème de la stigmatisation des personnes dites à risque, mais cet engagement n'a aucun sens si la police les viole, les agresse et les arrête régulièrement», a déclaré Neela Ghoshal, chercheuse sur les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (droits LGBT) à Human Rights Watch. « La politique du gouvernement en matière de lutte contre le VIH ne peut réussir si la police fait fuir les personnes qui ont le plus besoin de bénéficier des programmes de santé publique.»

Les deux organisations ont également documenté toute une série d'abus commis contre les membres des groupes à risque dans le domaine de la santé, incluant des refus de services, du harcèlement verbal et des violations de la confidentialité des informations. La politique tanzanienne de lutte contre le VIH/sida comprend des efforts pour réduire la marque d'infamie attachée aux groupes marginalisés et les autorités ont pris certaines mesures en ce sens. Mais Human Rights Watch et WASO ont identifié des dizaines d'instances dans lesquelles des prestataires de services de santé ont éconduit des travailleurs/euses du sexe, des personnes LGBTI et des personnes qui consomment des drogues sans leur offrir de services, ou les ont humiliés en public.

Les groupes ont aussi documenté l'exploitation sexuelle commerciale d'enfants. Il est interdit aux enfants de se livrer à des activités sexuelles tarifées mais au lieu de protéger ces enfants et de leur venir en aide, les policiers les violent, leur font subir des agressions sexuelles et les battent en toute impunité, selon les constatations faites par les deux groupes. Dans un cas, une fille âgée de 12 ans travaillant dans l'industrie du sexe à Mbeya a été violée collectivement par des agents de police. Les policiers qui commettent ces exactions contre des enfants devraient faire l'objet d'enquêtes et de poursuites judiciaires.

Les deux groupes ont constaté que les forces de sécurité semi-officielles, notamment les Sungu Sungu, un groupe d'auto-défense, étaient également impliquées dans les violences commises contre les populations à risque, « contrôlant» leur comportement, souvent par la force.

Ces violations des droits humains contribuent à créer un environnement dans lequel les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les personnes transgenres, les travailleurs/euses du sexe et les consommateurs de drogues injectables sont devenus de plus en plus méfiants à l'égard de l'État. Leurs craintes compromettent le succès d'initiatives en matière de santé publique qui dépendent de la coopération et du partenariat entre le gouvernement et certaines populations qui sont le plus exposées au risque d'infection par le VIH.

La politique de la Tanzanie en matière de lutte contre le VIH comprend, entre autres stratégies, l'engagement d'améliorer l'accès de populations clés aux moyens de prévention du VIH et aux services de soins; d'établir des partenariats avec des organisations non gouvernementales représentant ces groupes marginalisés; et d'œuvrer en faveur de la dépénalisation du travail du sexe et des relations sexuelles entre personnes de même sexe. Mais ces stratégies ont été mises en œuvre à contrecœur, quand elles l'ont été, ont constaté Human Rights Watch et WASO.

Les membres des populations les plus exposées se voient également dénier l'accès à l'information sur le VIH. Les campagnes de sensibilisation du public aux dangers du VIH visent presque exclusivement les couples hétérosexuels. De nombreuses organisations locales croient qu'elles ne peuvent offrir leurs services à des catégories dont le comportement est considéré comme un crime, craignant que travailler avec ces catégories ne soit, en soi, illégal. Les personnes LGBTI et les travailleurs/euses du sexe affirment qu'ils ne peuvent pas s'organiser en groupes légalement reconnus et s'enregistrer auprès du gouvernement. En 2011, la police a arrêté et passé à tabac un homme gay à Dar es Salaam, au seul motif qu'il essayait d'organiser un atelier d'information pour d'autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.

La loi tanzanienne prévoit des peines de prison allant de 30 ans à perpétuité pour les relations sexuelles entre hommes adultes consentants, ce qui en fait l'une des lois les plus dures au monde pour les relations sexuelles entre personnes de même sexe. Dans l'île semi-autonome de Zanzibar, la loi interdit les relations sexuelles entre personnes de même sexe consentantes et les punit d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à 14 ans pour les hommes et jusqu'à 5 ans pour les femmes. Ces dernières années, personne n'a été poursuivi en justice pour relations sexuelles entre personnes du même sexe mais l'existence de la loi contribue à l'isolement et à la marginalisation des personnes LGBTI. Le travail du sexe est pénalisé en Tanzanie continentale et à Zanzibar, tout comme la possession et la consommation de stupéfiants, même en petites quantités.

Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) souligne que la criminalisation des populations clés a pour effet de les pousser vers la clandestinité et de les détourner des services relatifs au VIH, avec pour conséquence une marginalisation accrue, des discriminations et des violences. La Commission mondiale sur le VIH et le droit, commission d'experts créée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), appelle également à la dépénalisation du travail du sexe et des relations sexuelles entre adultes consentants de même sexe.

La pénalisation des relations sexuelles entre adultes consentants est en contradiction avec un certain nombre de droits humains internationalement reconnus, dont les droits à la protection de la vie privée et à la non-discrimination. La criminalisation de l'échange volontaire, sur une base commerciale, de services sexuels entre adultes, comme c'est le cas dans les activités sexuelles tarifées entre adultes, est également en contradiction avec le droit à la protection de la vie privée, notamment à l'autonomie personnelle.

Le président tanzanien, Jakaya Kikwete, devrait condamner publiquement les exactions policières, les discriminations dans le domaine des soins médicaux et toutes les autres formes de discrimination à l'encontre des travailleurs/euses du sexe, des usagers de drogues et des personnes LGBTI, ont déclaré Human Rights Watch et WASO. La police et le ministère de la Santé et des Affaires sociales devraient prodiguer leurs services à tous ceux qui en ont besoin.

Les parlements de Tanzanie et de Zanzibar devraient dépénaliser les relations homosexuelles et les activités sexuelles tarifées entre adultes consentants et réexaminer les lois sur la drogue pour s'assurer qu'elles soient compatibles avec la protection des droits humains.

Les bailleurs de fonds devraient s'assurer que le financement de la prévention et du traitement du VIH/sida en Tanzanie comporte des sommes spécialement destinées à faire face aux besoins en termes de santé de ces populations clés, et devraient appuyer le développement d'organisations de la société civile qui les représentent.

« Si la Tanzanie est vraiment déterminée à s'attaquer au problème du VIH/sida parmi les populations les plus exposées, elle doit adopter une approche concertée et basée sur les droits humains », a conclu Neela Ghoshal. « La police et les prestataires de services de santé devraient offrir une protection et des soins aux groupes à risques, plutôt que de donner l'exemple de la haine et de l'intolérance.»

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