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Algérie: Les procès pour terrorisme discrédités par les retards

Le refus des tribunaux d’entendre un témoin-clé viole les règles de procédure

(Beyrouth, le 18 juin 2012) – Les retards accusés par les autorités algériennes pour porter devant la justice d’importantes affaires de terrorisme portent atteinte au droit des inculpés à un procès équitable.

Human Rights Watch s’est intéressé de près à huit suspects détenus au secret - certains depuis six ans - en-dehors du système judiciaire, et qui à présent sont confrontés à des procès à l’équité contestable, étant donné que les juges refusent d’autoriser un témoin crucial à témoigner. La plupart des inculpés sont accusés d’avoir participé à l’enlèvement d’un groupe de 32 touristes européens dans le désert algérien en 2003. Ces affaires mettent dramatiquement en évidence les obstacles persistants que rencontrent ceux qui sont accusés de délits terroristes pour obtenir une justice à la fois rapide et équitable, et ce même après la levée de l’état d’urgence en 2011.

« Le président Abdelaziz Bouteflika parle souvent de la réforme de la justice, pourtant quand il s’agit de juger des terroristes présumés, la réforme ne se traduit pas encore par l’équité », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Suite à la levée de l’état d’urgence, l’Algérie a enfin traduit en justice des hommes placés en détention secrète pendant des mois ou des années. Mais les retards dans leurs procès et le refus du tribunal de citer des témoins-clés suggèrent que l’injustice qui frappe ces hommes continue toujours, a déclaré Human Rights Watch.

Le système judiciaire a divisé l’affaire de l’enlèvement de 2003 en plusieurs procès. Certains ont été mis en suspens pendant plus d’un an parce que le tribunal a refusé les requêtes de la défense de citer comme témoin le meneur présumé de l’opération, qui est en détention.

Human Rights Watch a examiné ces affaires avec l’aide d’un des principaux avocats de la défense, ainsi qu’en consultant les comptes-rendus des médias algériens. Les autorités algériennes n’ont pas accédé aux demandes de visas émises depuis 2010 par Human Rights Watch afin de mener une mission officielle dans le pays.

En réponse aux manifestations pro-démocratiques dans la région et en Algérie début 2011, le gouvernement a levé l’état d’urgence instauré 19 ans auparavant, et en avril 2011, le président Bouteflika s’est engagé à réformer les lois et le secteur judiciaire. Le 19 mars 2012, le président a déclaré que « les plans de réforme de la justice, une des priorités nationales, ont progressé en termes structurels, juridiques et humains ».

Pourtant, la façon dont l’Algérie a traité le meneur présumé de l’opération d’enlèvement de 2003, Amari Saïfi (dit “El Para”), illustre l’injustice des traitements auxquels les suspects de terrorisme peuvent encore être soumis. Les autorités algériennes l’ont placé en détention en 2004 et l’ont maintenu dans un lieu secret, sans accès à un avocat, pendant plus de six ans, a déclaré Amine Sidhoum à Human Rights Watch. Sidhoum est l’avocat qui a représenté Saïfi lorsqu’il a finalement été présenté devant un juge en 2011. Bien qu’il soit avéré que Saïfi était détenu au secret à partir de 2004, les tribunaux algériens l’ont tout de même jugé par contumace. Ils l’ont condamné à mort lors d’un procès, et à la prison à vie lors d’un autre, violant ainsi son droit d’assister à son propre procès.

Les autorités ont finalement présenté Saïfi devant un juge d’instruction en mars 2011 et l’ont transféré à la prison Serkadji à Alger. Mais il n’a toujours pas été présenté devant un tribunal, alors que la loi algérienne lui donne droit à un nouveau procès après les condamnations in absentia. Les juges ont également refusé de le citer comme témoin dans les procès des hommes qui étaient supposés être sous ses ordres lors de l’enlèvement.

« La façon de traiter Amari Saïfi suggère que dans les grandes affaires de terrorisme, les tribunaux ne sont pas disposés à respecter les droits des inculpés, ou bien en sont incapables », a déclaré Sarah Leah Whitson. « Les tribunaux devraient respecter le droit à un procès en bonne et due forme, en citant des témoins et en jugeant les inculpés sur la base d’un examen objectif de toutes les preuves disponibles. »

Une autre affaire où les tribunaux ont ignoré de façon flagrante les droits des suspects de terrorisme à un procès rapide et équitable est celle de Malek Medjnoune et Abdelhakim Chenoui, qui ont passé plus de 11 ans en détention provisoire – une violation de leur droit à être jugés rapidement et à être présumés innocents. En juillet 2011, lors d’un procès d’une journée, ils ont été reconnus coupables et condamnés à 12 ans de prison pour complicité dans l’assassinat de Matoub Lounès, le célèbre poète et chanteur, en juin 1998, ainsi que pour appartenance à un groupe terroriste.

Les deux hommes ont déclaré qu’ils étaient innocents et qu’ils avaient été torturés pendant des mois en détention secrète, avant d’être traduits en justice en 2000 et inculpés. Le père de Medjnoune, dans une plainte déposée auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, a déclaré que son fils avait été détenu au secret du 28 septembre 1999 jusqu’à son audition par un juge d’instruction, le 2 mai 2000. Human Rights Watch n’a trouvé aucun signe indiquant que le tribunal avait enquêté sur les allégations de torture. Chenoui et Medjnoune ont été libérés respectivement en mars et en mai 2012, les années de détention provisoire ayant été comptabilisés dans leur peine.

« L’Algérie doit montrer que même ceux qui sont accusés de crimes odieux ont accès au système judiciaire », a conclu Sarah Leah Whitson. « En outre, les suspects doivent être présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit prouvée, si on veut que les verdicts des tribunaux algériens aient la moindre légitimité. »

 

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