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Maroc: Les poursuites contre un rappeur emprisonné doivent être abandonnées

Malgré une nouvelle constitution favorable aux droits humains, les lois réprimant la liberté d’expression sont toujours appliquées

(Casablanca, le 18 avril 2012) – Les autorités marocains devraient libérer un rappeur qui a passé trois semaines en détention préventive, après avoir été inculpé d’avoir insulté la police dans ses chansons et dans une vidéo accompagnant sa musique, et abandonner les poursuites à son encontre, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 29 mars 2012, la police a arrêté Mouad Belghouat, alias Al-Haqed (« l’indigné »), à cause d’une vidéo sur YouTube montrant une photo de policier dont la tête a été remplacée par celle d’un âne. Les paroles dénoncent la corruption de la police.

Le 16 avril, la Cour de première instance de Casablanca, située à Aïn Sebaa, a reporté pour la seconde fois le début du procès de Belghouat. Le juge, comme la première fois, a rejeté la requête de la défense de placer l’inculpé en liberté provisoire.

« Il s’agit dans cette affaire, purement et simplement, de liberté d’expression », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Chaque jour que Belghouat passe en prison rappelle l’écart qui sépare encore les lois et les pratiques actuellement en vigueur au Maroc, des droits garantis par la nouvelle constitution. »

Un observateur de Human Rights Watch a assisté à l’audience du 16 avril, au cours de laquelle le tribunal a accordé, à la requête de la défense, un report du procès au 25 avril.

Le 1er juillet 2011, les Marocains ont voté lors d’un référendum pour approuver une constitution proposée par le roi Mohammed VI qui proclame la liberté d’expression. L’article 25 énonce :

« Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d'exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique. »

Le tribunal poursuit Belghouat pour avoir « outragé des fonctionnaires publics dans l’exercice de leur fonctions » dans l’intention de « porter atteinte à leur honneur », en vertu de l’article 263 du code pénal, et pour avoir « outragé des corps constitués » selon l’article 265. S’il est reconnu coupable, il pourrait être condamné jusqu’à deux ans de prison.

Les productions « outrageantes » citées dans le dossier de l’affaire consistent en une chanson de rap composée et enregistrée par Belghouat, intitulée « Kilab Ed-Dowla » (« Chiens de l’État »), ainsi qu’une vidéo sur YouTube constituée d’un montage photo accompagnant cette chanson. La chanson dénonce la corruption de la police avec des paroles du type : « Vous êtes payés pour protéger les citoyens, pas pour ramasser l’argent des gens et l’amener à votre chef ».

L’affaire résulte d’une plainte déposée par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), le corps sécuritaire qui inclut la police judiciaire, entre autres divisions de la police. La plainte, pour étayer l’accusation, se réfère à la photographie dans la vidéo où la tête d’un policier a été remplacée, à l’aide d’un logiciel de retouche photo, par une tête d’âne; à un autre cliché de trois policiers portant une personne - un manifestant semble-t-il - en tenant ses bras et ses jambes ; ainsi qu’aux paroles qui accusent les policiers de corruption et, d’après la plainte, les traitent de chiens.

Dans ses déclarations à la police, Belghouat a nié tout lien avec la vidéo, disant qu’elle avait été faite par des inconnus, qui l’avaient adaptée à sa musique et ensuite l’a mise en ligne. Un autre enregistrement de Belghouat chantant « Kilab Ed-Dowla », mais sans aucune des images controversées, existe sur YouTube.

Belghouat, 24 ans, vit dans le quartier défavorisé de Oukacha à Casablanca. Ses chansons de rap dénonçant la corruption, l’injustice et le fossé entre l’opulence royale et la pauvreté au Maroc l’ont fait connaître comme une voix du « mouvement du 20-Février », en faveur de réformes, qui a débuté juste après le début des manifestations dans d’autres pays arabes, début 2011. Les policiers ont en général autorisé ce mouvement à tenir des rassemblements de protestation dans toutes les villes du pays, mais sont à plusieurs reprises violemment intervenus pour disperser les manifestants. Un certain nombre de membres du mouvement du 20-Février purgent des peines de prison après avoir été condamnés pour des motifs tels que destruction de biens publics et agression ou insulte d’agents de police.

Belghouat a beaucoup fait parler de lui lorsque la police l’a arrêté dans une première affaire en septembre 2011, l’accusant d’avoir frappé un manifestant pro-gouvernemental dans une altercation de rue. Son procès à Casablanca a attiré une foule de sympathisants, qui clamaient que l’affaire était montée de toutes pièces. Les avocats de la défense ont soutenu qu’il y avait beaucoup d’incohérences dans le récit fourni par la victime supposée de Belghouat. En janvier, le tribunal a reconnu Belghouat coupable d’agression, et l’a condamné aux quatre mois de prison qu’il avait déjà purgés en détention préventive, avant de le libérer.

« Si le Maroc veut donner un sens réel aux libertés proclamées dans sa nouvelle constitution, il devrait commencer par abolir les lois répressives qui peuvent vous envoyer en prison pour avoir enregistré des chansons de rap et des vidéos à connotation politique », a déclaré Sarah Leah Whitson.

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