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Afrique : Les violences électorales alimentent les inquiétudes concernant les droits humains

Les manipulations d'élections et la faiblesse des institutions ont freiné l'évolution du continent vers la démocratie en 2011

(Johannesburg, le 22 janvier 2012) – Les élections qui se sont tenues dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne en 2011 ont reflété un engagement formel croissant en faveur de la démocratie mais les dirigeants africains ont eu recours à la violence et ont mis des entraves à l'exercice des droits humains pendant les périodes électorales et au-delà, afin de se maintenir au pouvoir, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch dans son Rapport mondial 2012.

En 2011, des élections présidentielles ont eu lieu en République démocratique du Congo (RDC), au Libéria, au Nigéria, en Ouganda et en Zambie, entre autres pays d'Afrique subsaharienne. Les forces nationales de sécurité en RDC et en Ouganda ont fait un usage excessif de la force contre les sympathisants des partis d'opposition et s'en sont pris aux journalistes, aux candidats des partis d'opposition et aux activistes de la société civile, ainsi qu'à des citoyens ordinaires. Au moins 42 personnes ont été tuées en RDC pendant les journées ayant précédé l'élection et immédiatement après, dans certains cas après que des soldats eurent tiré sur des groupes de partisans présumés de l'opposition. Dans certains pays, les conséquences difficiles d'élections tenues en 2010 ont été ressenties tout au long de l'année 2011.

« L'année qui vient de s'écouler a donné la preuve que de très nombreux Africains désirent pouvoir choisir leurs dirigeants de manière pacifique et équitable », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Mais hélas, les processus électoraux ont été souvent entachés par des manœuvres d'intimidation de la part des gouvernements, par des violations des droits humains commises par les militaires ou la police et par des conflits créés par des politiciens. S'il n'est pas remédié à ces graves problèmes, il est probable que les Africains seront confrontés à des situations similaires lors de futures élections. »

Dans son rapport de 676 pages, Human Rights Watch a évalué les progrès effectués au cours de l'année passée dans le domaine des droits humains dans plus de 90 pays, y compris dans le cadre des soulèvements populaires dans le monde arabe, que bien peu d'observateurs auraient pu imaginer. Etant donnée la violence des forces qui résistent au « Printemps arabe », la communauté internationale a un rôle important à jouer pour faciliter l'avènement de démocraties respectueuses des droits humains dans la région, affirme Human Rights Watch dans ce rapport.

En Afrique subsaharienne, après le second tour de l'élection présidentielle en Côte d’Ivoire en novembre 2010, l'ancien président Laurent Gbagbo a refusé de céder le pouvoir malgré sa défaite électorale face à Alassane Ouattara. Cette décision a déclenché six mois de violences, dans lesquelles au moins 3 000 personnes ont été tuées. M. Gbagbo est désormais à La Haye, en instance de procès devant la Cour pénale internationale (CPI), ce qui témoigne de la portée de plus en plus grande de la justice internationale. Cependant, aucun effort n'a été fait pour punir les graves crimes commis par les forces fidèles au président Ouattara, que ce soit en Côte d’Ivoire ou à la CPI.

Les élections d'avril 2011 au Nigéria ont été généralement proclamées comme les plus équitables dans toute l'histoire du pays. Quoi qu'il en soit, au moins 165 personnes ont été tuées dans des violences pendant la campagne et l'élection présidentielle a déclenché des émeutes et des tueries interconfessionnelles dans le nord du Nigéria, qui ont fait plus de 800 morts. Le Nigéria n'a pas traduit en justice les responsables de ces crimes.

La Guinée et le Burundi ont tenu des élections en 2010 mais certains événements de 2011 ont démontré la nécessité pour ces deux pays de renforcer leurs systèmes judiciaires, de contrôler les membres de leurs services de sécurité qui ont souvent tendance à commettre des violations des droits humains et de résister à la tentation d'évoluer vers l'imposition d'un système à parti unique. Au Rwanda, l'intolérance vis-à-vis de l'opposition politique est restée inchangée depuis les élections de 2010. Le Kenya, bien que coopérant officiellement avec la CPI, s'est livré à une série de manœuvres juridiques et politiques afin d'empêcher les poursuites judiciaires contre six personnalités politiques influentes accusées d'avoir fomenté les violences qui ont marqué les élections de 2007.

Le Soudan a tenu un référendum sur l'indépendance du Sud de son territoire en janvier 2011, dans lequel les habitants ont voté à une très large majorité en faveur de la sécession après deux décennies de guerre avec le Nord, aux termes d'un accord de paix signé en 2005. Le Soudan du Sud a accédé officiellement à l'indépendance en juillet, devenant le 54ème État d'Afrique, mais un Etat qui est confronté à des défis politiques et économiques considérables. Bien que la sécession du Soudan du Sud se soit déroulée de manière relativement paisible, les forces gouvernementales soudanaises ont attaqué des civils dans la région frontalière disputée d'Abyei et dans deux Etats volatils – le Nil bleu et le Kordofan méridional – situés juste au nord de la frontière avec le Soudan du Sud. Le gouvernement du Soudan a également mené de nouvelles attaques contre les civils au Darfour. Le président soudanais Omar el-Béchir fait l'objet d'un mandat d'arrêt émis par la CPI pour les atrocités commises au Darfour.

Tout au long de l'année, les conflits armés et les crises humanitaires ont affecté la Somalie, le nord et l'est de la RDC et certaines régions du Soudan, accroissant les difficultés économiques et rendant nécessaires des efforts internationaux de maintien de la paix de la part des Nations Unies et de l'Union africaine. Rien qu'au Soudan du Sud, plus de 2 600 personnes ont été tuées dans les combats. En Somalie, les médias ont fait état d'environ 2 500 morts; sans aucun doute, le bilan est en réalité plus lourd. Human Rights Watch a appelé à la fois ces gouvernements, les forces internationales et les groupes armés d'opposition à mettre fin aux violations commises par les leurs. Les gouvernements devraient effectuer des enquêtes et faire rendre des comptes aux personnes ayant commis des crimes de guerre. En particulier, les forces internationales doivent déployer davantage d'énergie à la protection des civils contre les violences et à l'aide aux personnes déplacées dans leur propre pays, a déclaré Human Rights Watch.

En 2011, les États-Unis ont dépêché 100 conseillers militaires pour venir en aide aux forces régionales engagées dans des opérations militaires contre l'Armée de résistance du seigneur (LRA), un groupe rebelle ougandais réputé pour ses innombrables violations des droits humains et qui sévit dans le nord-est de la RDC, au Soudan du Sud et en République centrafricaine. Le Kenya et l'Ethiopie ont envoyé des troupes en Somalie pour lutter contre Al-Chabab, un groupe armé islamiste qui a imposé sa férule sur une large partie du pays.

« Tous les camps participent aux conflits armés en Afrique, avec bien peu de considération pour les populations civiles », a déploré Daniel Bekele. « Les organismes inter-gouvernementaux et les pays influents devraient déployer davantage d'efforts pour protéger les civils de tous les maux qui accompagnent les guerres. »

La réalisation des droits économiques et sociaux en Afrique subsaharienne a continué en 2011 de constituer un défi majeur, a souligné Human Rights Watch. En dépit d'engagements verbaux de la part des gouvernements en faveur de la santé maternelle et infantile, des taux élevés de décès et de lésions imputables à la fonction de procréation des femmes ont continué à être observés sans que des remèdes y soient apportés, dans des pays comme l'Afrique du sud et le Kenya, qui ont pourtant les ressources nécessaires pour fournir de meilleurs soins. L'accès aux services de santé infantile est insuffisant dans tout le continent, y compris au Kenya.

D'autres pays bien pourvus en ressources comme la Guinée équatoriale, l'Angola, le Nigéria et la Guinée n'ont investi qu'une faible part de leurs revenus dans les programmes d'aide sociale ou dans la lutte contre la corruption, au détriment des droits économiques et sociaux de leurs habitants. Le Rwanda et l'Ethiopie ont semblé faire des progrès au regard de certains indices de développement. Mais dans ces deux pays, des gouvernements répressifs ont réprimé les militants locaux des droits humains et emprisonné des journalistes, des membres des partis d'opposition et d'autres personnes considérées comme des critiques du pouvoir.

Un nombre croissant de pays, notamment la Chine et l'Inde, ont accru leur présence sur le continent. Si l'investissement croissant de ces pays ouvre certaines perspectives économiques aux gouvernements africains et à leurs peuples, il suscite également des préoccupations en ce qui concerne certaines populations particulièrement désavantagées. Au Soudan du Sud et en Ethiopie, par exemple, des terres exploitées par des agriculteurs locaux leur ont été retirées de force pour être attribuées à des investisseurs qui les destinent à l'agriculture commerciale, ce qui pourrait menacer la sécurité alimentaire dans la région.

Le mauvais traitement des ouvriers dans les mines de cuivre contrôlées par des intérêts chinois en Zambie et l'exposition au mercure d'enfants employés dans des mines d'or au Mali ont souligné la nécessité d'une meilleure protection des travailleurs contre les risques les plus graves liés à l'activité professionnelle. Remarquablement, les gouvernements africains ont joué un rôle de pointe dans la création d'une convention internationale réglementant le traitement des travailleurs et travailleuses domestiques. Le mauvais traitement d'enfants employés comme travailleurs domestiques est un problème endémique sur le continent africain.

Le « Printemps arabe » s'est propagé discrètement en Afrique subsaharienne, où les populations ont essayé d'exercer leur droit aux libertés de réunion, d'association et d'expression. Sans beaucoup attirer l'attention internationale, des manifestations contre l'autoritarisme et l'injustice politique et pour exprimer des préoccupations économiques ont eu lieu en Angola, en Guinée, au Kenya, au Malawi, au Sénégal, au Soudan, au Swaziland et en Ouganda. Partout sauf au Kenya, ces manifestations ont été violemment réprimées.

Au Zimbabwe, où des élections sont prévues en 2012, les autorités ont mis des activistes en prison pour avoir regardé un film sur les événements du Moyen Orient; de nombreux Zimbabwéens ont subi des tracasseries et des détentions arbitraires. Au Sénégal, qui se prépare également à une élection en 2012, des protestations ont eu lieu contre des propositions de changements constitutionnels qui renforceraient l'emprise du président sur le pouvoir. Le gouvernement a engagé une répression contre des dirigeants de la société civile, signe inquiétant dans un pays qui est souvent présenté comme un modèle de démocratie stable en Afrique. En Afrique du Sud, autre pays phare sur le continent, le parlement a adopté une loi sur la protection de l'information qui, si elle entre en vigueur, menace de limiter la liberté d'expression et l'accès public à l'information.

« Le Printemps arabe a montré au monde combien les peuples du Moyen Orient et d'Afrique du nord veulent être traités avec dignité et respect », a conclu Daniel Bekele. « Les Africains du sud du Sahara ont les mêmes aspirations. Les gouvernements de la région et d'ailleurs doivent en tenir compte. »
 

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