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Côte d’Ivoire : Déclaration Lors de la Séance du Conseil des Droits de l’Homme

Déclaration prononcée le 15 juin 2011 par Human Rights Watch

La Commission d'enquête sur la Côte d'Ivoire a mis l'accent à juste titre sur les graves violations des droits humains et du droit humanitaire international commises par les forces armées loyales à l'ancien président Laurent Gbagbo et au président Alassane Ouattara. Le mandat de la Commission devrait être prorogé jusqu'au mois de septembre pour lui permettre de publier un rapport plus long qui contienne la totalité de son travail de recherche sur le terrain.

Depuis le second tour de l'élection présidentielle le 28 novembre 2010, les résidents de Côte d'Ivoire ont subi une vague ininterrompue de violence dans laquelle au moins 3.000 personnes ont été tuées et de très nombreuses femmes ont été violées. Les chercheurs de Human Rights Watch ont interrogé plus de 500 victimes et témoins des violences au cours de cinq missions visant à recueillir des informations sur les graves violations du droit international commises pendant la période post-électorale.

Lors des journées ayant immédiatement suivi l'élection, les forces contrôlées par Gbagbo ont systématiquement pris pour cible les partisans réels ou présumés de Ouattara, y compris ceux qui étaient originaires du nord de la Côte d'Ivoire ou de pays d'Afrique de l'Ouest voisins. Human Rights Watch a documenté des meurtres, des disparitions forcées et des viols perpétrés par les forces pro-Gbagbo selon des critères politiques et ethniques, équivalant à des crimes contre l'humanité. Ces graves violations ont même persisté durant des semaines postérieurement à l'arrestation de Gbagbo.

Les violations généralisées par les Forces républicaines de Ouattara ont commencé pendant leur offensive militaire du mois de mars. Human Rights Watch, tout comme la Commission d'enquête, a documenté des meurtres et des viols commis par les Forces républicaines dans l'extrême ouest du pays, y compris leur participation au massacre de Duékoué. Les violations se sont poursuivies pendant et après la bataille finale pour Abidjan. Occasionnellement, les Forces républicaines ont soumis les membres des groupes ethniques pro-Gbagbo, en particulier les hommes jeunes, à des détentions arbitraires, à des tortures et même à des exécutions extrajudiciaires.

L'établissement des responsabilités pour les crimes graves est essentiel pour les victimes et pour restaurer le respect envers l'État de droit. Ceux qui ont commis ou ordonné des attaques contraires à la loi ou de graves violations des droits humains doivent être amenés à rendre des comptes, quels que soient leur grade militaire ou leur affiliation politique. Comme le démontrent les événements de la dernière décennie, l'impunité risque d'alimenter de nouvelles violations.

La décision de la Commission de garder confidentielle une liste de personnes considérées comme portant la plus grande part de responsabilité dans les crimes graves risque de compromettre la recherche de la vérité et de la justice. Cette liste devrait être publiée, sauf si la Commission peut expliquer clairement en quoi la transparence risquerait d'entraver la justice.

Prolonger le mandat de la Commission jusqu'à septembre 2011 lui donnerait la possibilité de préparer un rapport plus long lui permettant de remplir la totalité de sa mission, incluant un examen approfondi de cas particuliers de violations graves des droits humains et des personnes responsables, ainsi que des différentes dynamiques ayant entraîné les recours systématiques aux violations. Ces détails supplémentaires permettraient de mettre en relief l'urgence qu'il y a à ouvrir rapidement des enquêtes et à faire rendre des comptes au sujet des crimes les plus graves.

Bien que l'engagement du président Ouattara à faire établir les responsabilités constitue un premier pas, nous nous faisons l'écho de l'inquiétude de la Commission devant le fait que pour l'heure, elle n'a pas été informée de procédures effectives contre des éléments des Forces républicaines accusés de violations des droits humains. Par ailleurs, le gouvernement doit soit formellement inculper, soit libérer les personnes qui sont détenues depuis des mois sans chef d'accusation, y compris l'ancien président Gbagbo.

Le président Ouattara a demandé au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) d'ouvrir une enquête. La CPI peut apporter une contribution importante mais la tenue de procès à l'échelon national est un élément indispensable d'une vraie prise de responsabilités. Le président Ouattara doit donner rapidement l'impulsion nécessaire à l'ouverture d'enquêtes impartiales sur les crimes commis par les deux camps, et demander l'aide des bailleurs de fonds pour permettre l'organisation de procès équitables et crédibles.

Enfin, Human Rights Watch appelle le Conseil des droits de l'homme à prendre note de la recommandation de la Commission et à publier le rapport de 2004 de la Commission d'enquête. Ce rapport a été enterré pendant sept ans sous l'hypothèse erronée que la révélation de ses constatations fortes ferait dérailler les négociations de paix. Au contraire, la décision de retarder la justice a permis à de nombreuses personnes mises en cause dans de graves crimes de rester au pouvoir, et ces mêmes personnes sont aujourd'hui de nouveau mises en cause. Si la Côte d'Ivoire doit un jour tourner la page de cette décennie d'impunité, elle doit faire face maintenant à son violent passé et aller de l'avant en s'engageant en faveur de la vérité et de la justice.

Nous nous réjouissons de l'attention que le Conseil a apportée aux graves crimes commis en Côte d'Ivoire et nous exhortons ses États membres à œuvrer à la promotion à long terme des droits humains dans ce pays. Cette attention est essentielle pour que la douleur subie par les nombreuses victimes soit reconnue et pour éviter de nouvelles atrocités en établissant clairement que les graves crimes contre la dignité humaine ne seront pas tolérés.

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