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Tunisie: Un organisme international doit faire pression sur la Tunisie pour mettre fin au harcèlement des magistrats

(New York, le 4 novembre 2010) - Plusieurs organisations de défense des droits humains ont envoyé le courrier suivant à des officiels de l'Union Internationale de Magistrats (UIM) avant leur congrès qui doit se tenir à Dakar du 6 au 11 novembre 2010, pour leur demander d'exhorter le gouvernement tunisien à cesser d'entraver l'indépendance des  magistrats tunisiens :

Copenhague, Genève, Londres, Paris, le 4 Novembre 2010

A l'attention de:

M. José Maria Bento Company, Président

Mme Fatoumata Diakite, première Vice-présidente et Présidente du Groupe régional africain

M. Antonio Mura, Secrétaire-général

M. Giacomo Oberto, Sécrétaire-général adjoint, Délégué aux Affaires africaines

M. Raffaele Gargiulo, Sécrétaire-général adjoint, Délégué aux Affaires africaines

Union Internationale des Magistrats, Palazzo di Giustizia, Piazza Cavour, 00193 Rome - Italie

CC: Associations nationales et groupes représentatifs membres de l'UIM

Objet : Situation de l'Association des Magistrats Tunisiens (AMT)

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire Général,

Madame la Vice-présidente,

Mesdames et Messieurs les représentants,

A l'occasion de la tenue du congrès de l'Union Internationale de Magistrats (UIM) à Dakar du 6 au 11 novembre 2010, les organisations signataires souhaitent porter à votre attention le harcèlement permanent que subissent les membres évincés du bureau de l'Association des Magistrats Tunisiens (AMT).

En raison de leur engagement pour la défense des intérêts des magistrats, la protection de l'indépendance de leur profession et l'application des principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la justice, les membres du bureau exécutif démocratiquement élus de l'AMT sont depuis 2005 continuellement exposés à des mesures arbitraires et ont été par la suite évincés.[1]

Les pressions de la part des autorités tunisiennes se sont intensifiées après que l'AMT eut réclamé plus d'indépendance pour le pouvoir judiciaire et critiqué les carences du Conseil supérieur de la magistrature qui est responsable des nominations, des promotions, des transferts et des manquements à la discipline- c'est ce conseil notamment qui peut révoquer les juges. Le gouvernement aurait exercé des pressions sur des membres de l'AMT pour qu'ils désavouent les dirigeants de l'association. En août 2005, le président de l'AMT a été invité à remettre les clés du bureau de l'association au procureur sur ordre semble-t-il du ministère de la Justice et des Droits de l'homme. Il a refusé d'obtempérer en l'absence d'une décision de justice; les serrures ont été changées pour empêcher les membres de l'AMT d'avoir accès au local. Les lignes de téléphone et de télécopie ainsi que la connexion Internet ont été de plus en plus perturbées et finalement fermées.

Suite à la fermeture manumilitari du siège de l'association et sa mise à la disposition d'un comité provisoire désigné par le gouvernement, les membres du bureau exécutif de l'AMT ont été remplacés lors d'un congrès spécial en décembre 2005 par de nouveaux membres élus qui, selon certaines sources, seraient proches du gouvernement. Plusieurs magistrats actifs au sein du bureau exécutif de l'Association ont été arbitrairement mutés à des centaines de kilomètres de leurs familles en violation des normes internationales qui garantissent le principe de l'inamovibilité. En 2006, le règlement intérieur de l'association était modifié afin d'empêcher ces magistrats de se porter candidats au comité exécutif de l'Association. Les congrès organisés en 2006 et 2008 par le ministère de la Justice et des droits de l'Homme ont permis de substituer une direction aux ordres à la direction évincée dans une tentative de réduire au silence les structures légitimes de l'Association.

Les autorités tunisiennes ont aussi établi une véritable stratégie de harcèlement à l'encontre des magistrats évincés de la direction de l'AMT : ceux ci font l'objet de retenues abusives d'une partie de leurs salaires, d'un blocage de leur avancement, d'affectations dans des régions reculées de la Tunisie qui ne semblent pas être motivées par les besoins des services mais s'apparentent davantage à des sanctions au mépris du principe de l'inamovibilité des magistrats, et se voient régulièrement empêchés de quitter le pays pour participer à des congrès et conférences relatifs à leur activité professionnelle. En 2005, les magistrates ont fait appel devant le tribunal administratif de leur mutation et d'autres mesures ; aucune décision n'avait été rendue au moment de la rédaction du présent document.

Il faut souligner que la direction actuelle de l'AMT - qui composera la délégation tunisienne lors du congrès de Dakar - a constamment dénié le traitement inique infligé aux magistrats de la direction évincée de l'AMT[2], au mépris de la raison d'être d'une telle organisation, qui est de défendre les intérêts de la profession et les droits de leurs collègues. Cette direction s'est au contraire illustrée par une attitude de soumission au pouvoir exécutif en tout point contraire aux exigences de neutralité de l'association.[3]

 

Monsieur le Président,

Madame la Vice-présidente,

Monsieur le Secrétaire Général,

Mesdames et Messieurs les représentants,

Aujourd'hui, les juges Kalthoum Kennou, Wassila Kaabi, Ahmed Rahmouni et son épouse Leila Abid, Raoudha Karafi, Leila Bahria, Hamadi Rahmani, Noura Hamdi, Mohktar Yahyaoui et leurs familles continuent de payer quotidiennement le prix de leur engagement courageux en faveur de l'indépendance de la magistrature en Tunisie.

Ayant à l'esprit les principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature et plus généralement les normes internationales relatives à l'indépendance du pouvoir judiciaire, les organisations signataires appellent le Conseil central de l'UIM à inviter les autorités tunisiennes à mettre un terme au harcèlement subi par les juges indépendants en Tunisie et à toute forme d'ingérence dans les activités de l'AMT.

Nos organisations demandent également à l'UIM d'exiger la venue d'une délégation représentant les juges susnommés auprès de son secrétariat pour pouvoir témoigner de l'acharnement dont ils sont victimes, et à défaut de leur rendre visite en Tunisie.

Vous trouverez, pour mémoire, en annexe à la présente lettre les documents et rapports faisant état des constatations de nos organisations relatives à la situation de l'Association des Magistrats Tunisiens.

Vous remerciant de l'attention que vous voudrez bien accorder à la présente, veuillez recevoir, Monsieur le Président, Madame la Vice-présidente, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les Représentants, l'expression de nos salutations respectueuses.

Malcolm SMART, Directeur Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord, Amnesty International

Said BENARBIA, Conseiller Juridique pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Commission Internationale des  Juristes - CIJ

Souhayr BELHASSEN, Présidente de la Fédération Internationale des ligues de Droits de l'Homme - FIDH

Kamel JENDOUBI, Président du Réseau Euro-méditerranéen des droits de l'Homme - REMDH

Rohan JAYASEKERA, Président de l'IFEX-TMG, Directeur gal adjoint, Index on Censorship

Eric SOTTAS, Président de l'Organisation Mondiale de Lutte contre la Torture - OMCT

Sarah LEAH WHITSON, Directrice de la division Afrique du Nord Moyen-Orient, Human Rights Watch -HRW

Annexes :

  • Amnesty International, « Tunisie. Des voix indépendantes réduites au silence », Juillet 2010
  • Groupe d'observation de la Tunisie de l'Echange international de la liberté d'expression (TMG de l'IFEX) « Tunisie: Les juges sont visés parce qu'ils exigent une magistrature indépendante», Septembre 2010.
  • Déclaration de la direction évincée de l'AMT, « Une si chère et coûteuse indépendance»
  • Communiqué de la direction évincée de l'AMT daté du 18 août 2010
  • Motion du Conseil National de l'AMT datée du 18 octobre 2010

[1]Voir notamment les documents suivants annexés à la présente lettre :Groupe d'observation de la Tunisie de l'Echange international de la liberté d'expression (TMG de l'IFEX) « Tunisie: Les juges sont visés parce qu'ils exigent une magistrature indépendante », Septembre 2010, et Amnesty International, « Tunisie. Des voix indépendantes réduites au silence », Juillet 2010

[2]Dans une déclaration au journal Essabah daté du 15 août 2010, Mr Adnene El Heni, président du bureau de l'AMT déclarait : « il n'y a pas eu de mutations abusives [...] le taux de réponses positives aux demandes de mutation dépasse les 70%, à lorsque plus de 120 magistrats ont bénéficié de promotion, et les demandes de rapprochement des conjoints ont été satisfaites à 100%.» Voir le communiqué de la direction évincée de l'AMT daté du 19 août 2010

[3]Voir la motion du Conseil National de l'AMT datée du 18 octobre 2010 (en annexe)

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