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Moyen Orient/Asie : Les réformes partielles du droit du travail ne suffisent pas à protéger les employés de maison migrants

À l'occasion de la Journée internationale du travail, les gouvernements devraient s'engager à entreprendre des réformes exhaustives

(New York, le 28 avril 2010) - Les réformes entreprises par les gouvernements du Moyen Orient et d'Asie sont bien loin de couvrir les protections minimales requises pour venir à bout des abus perpétrés contre les employés de maison migrants, a affirmé aujourd'hui Human Rights Watch dans un rapport publié à la veille du 1er mai, Journée internationale du travail. Malgré les récentes améliorations, des millions d'employées asiatiques et africaines font toujours partie des populations à haut risque, exposées à l'exploitation et la violence avec peu d'espoir de recours, a ajouté Human Rights Watch.

Le rapport de 26 pages, intitulé « Slow Reform: Protection of Migrant Domestic Workers in Asia and the Middle East », (« Lenteurs des réformes et protection des travailleurs domestiques migrants en Asie et au Moyen Orient ») fait le bilan des conditions de travail dans huit pays comptant un grand nombre d'employés de maison migrants : le Liban, la Jordanie, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn, Singapour et la Malaisie. Le rapport examine les progrès réalisés en matière d'extension de la protection des droits du travail aux employés de maison, de réforme des systèmes de « parrainage » des migrants qui contribuent aux abus, de garantie de réponse effective de la part de la police et de la justice aux cas de violence physique et sexuelle et d'autorisation de la société civile et des syndicats à s'organiser.

« Au cours des cinq dernières années, plusieurs gouvernements ont procédé à des améliorations concrètes en faveur des employés de maison migrants, mais en général ces réformes sont lentes, mises en œuvre petit à petit et le fruit d'efforts laborieux », a expliqué Nisha Varia, chercheuse auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « La Jordanie a eu le mérite d'intégrer le travail domestique dans son droit du travail, mais son application reste problématique. Singapour a engagé des poursuites judiciaires contre les auteurs d'abus physiques perpétrés à l'encontre des travailleurs domestiques mais n'a toujours pas réussi à leur garantir ne serait-ce qu'un jour de repos hebdomadaire. »

De nombreux pays du Moyen Orient et d'Asie accueillent un grand nombre de travailleurs domestiques migrants : ils sont estimés à 196 000 à Singapour et 200 000 au Liban, jusqu'à 660 000 au Koweït et 1,5 million en Arabie Saoudite. Le travail domestique des migrants est une source importante d'emploi pour les femmes d'Indonésie, du Sri Lanka, des Philippines, du Népal, d'Inde et d'Ethiopie. Les revenus des employés immigrés constituent en outre une part non négligeable des milliards de dollars de fonds envoyés dans ces pays chaque année.

Les études menées par Human Rights Watch au cours des cinq dernières années démontrent que les employés domestiques migrants sont exposés à toutes sortes d'abus. Les plaintes les plus courantes concernent les salaires impayés, le nombre excessif d'heures de travail sans période de repos ainsi que les lourdes dettes dues à des frais de recrutement exorbitants. L'isolement dans des maisons individuelles ainsi que la séquestration sur le lieu de travail contribuent au développement de violences psychologiques, physiques et sexuelles, au travail forcé et à la traite d'êtres humains.

« Les réformes rencontrent souvent une forte résistance à la fois de la part des employeurs habitués à avoir un employé de maison à son service 24 h/24 et de la part des pourvoyeurs de main d'œuvre qui profitent largement d'un système peu réglementé », a observé Nisha Varia. « Les gouvernements devraient faire de la protection de ces travailleurs vulnérables une priorité. »

La plupart des gouvernements excluent les employés de maison de leur droit du travail et les privent ainsi des protections garanties aux autres travailleurs, telles que le nombre limité d'heures de travail ou la journée de repos hebdomadaire. Seule la Jordanie a amendé son droit du travail pour intégrer les travailleurs domestiques et leur garantir des protections comme le paiement mensuel de salaire sur un compte bancaire, une journée de repos hebdomadaire, des congés annuels payés et des congés maladie ainsi qu'un temps de travail quotidien limité à 10 heures. Ces travailleurs domestiques ne peuvent toutefois pas quitter leur lieu de travail sans l'autorisation de leur employeur.

Les gouvernements du Liban, des Émirats Arabes Unis, du Koweït, du Bahreïn, d'Arabie Saoudite et de Malaisie ont tous annoncé publiquement leur volonté d'amender le droit du travail existant dans leur pays ou de travailler à un projet de loi sur le travail domestique. Malgré des années de propositions toutefois, aucun de ces pays n'a encore adopté de telles réformes. Le conseil consultatif (Shura) d'Arabie Saoudite a approuvé une annexe au droit du travail portant sur le travail domestique mais cette annexe n'a pas encore été approuvée par le gouvernement. À Singapour, le Ministère du travail a rejeté à plusieurs reprises les appels en faveur de l'extension des protections prévues par le droit du travail aux employés de maison.

« Au lieu de garantir les protections prévues par le droit du travail, les gouvernements ont choisi de s'en remettre aux contrats de travail standard ou aux accords bilatéraux avec les pays d'origine de la main d'œuvre », a commenté Nisha Varia. « Ces contrats de travail et ces accords bilatéraux sont mieux que rien, mais avec des protections plus faibles que le droit du travail, ils renforcent en pratique la discrimination vis à vis des travailleurs domestiques. »

Les réformes relatives à l'immigration évoluent encore plus lentement que les réformes en matière de travail, explique Human Rights Watch. Dans les pays étudiés, les employés de maison immigrent avec des visas à durée déterminé, en vertu desquels les employeurs jouent un rôle de « parrain » d'immigration. Le système renforce le risque d'abus en donnant une emprise excessive aux employeurs qui peuvent décider du renvoi de leurs employés comme bon leur semble ou de les empêcher d'être employés par un nouvel employeur.

« Les gouvernements ont traîné des pieds pour réformer le système de parrainage d'immigration qui alimente le travail forcé et la traite d'êtres humains »,  a ajouté Nisha Varia. « Ils doivent agir rapidement pour trouver des alternatives et transférer ce parrainage des employeurs aux autorités de régulation du travail ou surveiller de plus près les agences de placement. »

Human Rights Watch a également examiné les réponses qu'apportent les gouvernements aux abus physiques perpétrés à l'encontre les employés de maison. Certains gouvernements ont commencé à enquêter sur les abus contre les employés de maison et à intenter des actions en justice, avec succès, mais nombreux sont encore les obstacles qui subsistent sur la voie de telles victoires, estime Human Rights Watch. Ainsi, les systèmes de dépôt de plainte sont-il souvent inaccessibles aux travailleurs domestiques séquestrés dans des maisons et ne parlant pas la langue locale.

Certains cas retiennent l'attention des autorités mais la procédure juridique traîne alors souvent des années, années pendant lesquelles les victimes patientent généralement dans des centres d'hébergement bondés, incapables de travailler. Ces temps d'attente infinis et l'incertitude du résultat poussent de nombreux employés de maison à retirer leur plainte ou à négocier des arrangements financiers pour pouvoir rentrer chez eux rapidement. Dans d'autres cas, les travailleurs domestiques qui portent plainte sont forcés de se défendre eux-mêmes contre des allégations de vols, de sorcellerie ou d'adultère.

« Les victoires enregistrées dans le cadre d'actions en justice contre les employeurs abusifs et les pourvoyeurs de main d'œuvre ne servent pas uniquement la justice mais sont également une arme de dissuasion contre les abus », a conclu Nisha Varia. « Les gouvernements devraient faciliter les procédures d'enregistrement des plaintes, accélérer les actions judiciaires et garantir un niveau minimal de service social, tel que l'hébergement et la santé pendant le procès. »

Ces réformes de régulation du travail domestique ne se jouent pas uniquement au niveau national mais également au niveau international. Conscients de l'importance de la protection de cette principale source d'emploi historiquement négligée, les membres de l'Organisation Internationale du Travail vont débuter des discussions officielles en juin pour définir des normes de travail internationale pour le travail domestique. Le Liban, le Bahreïn et la Jordanie sont favorables à des normes juridiquement contraignantes alors que la Malaisie, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis soutiennent une recommandation à caractère non contraignant. Singapour et le Koweït n'ont pas donné de réponse officielle.

 Human Rights Watch demande instamment aux gouvernements d'entreprendre les actions suivantes pour prévenir et prendre des mesures contre les abus à l'encontre des employés de maison migrants :

  • étendre les protections prévues par le droit national du travail aux travailleurs domestiques et traiter les problèmes liés à leur situation particulière concernant les heures de travail, le logement et l'immigration ;
  • améliorer la réglementation et la surveillance des agences de placement et des frais imputés à ces travailleurs par les agences de recrutement privées ;
  • réformer les politiques d'immigration pour que les visas des travailleurs ne soient pas liés à des parrains particuliers afin que les travailleurs puissent changer d'employeur sans le consentement du premier employeur ;
  • améliorer l'accès des travailleurs au système judiciaire, y compris par des mécanismes de dépôt confidentiel de plaintes, d'actions en justice et d'extension des services aux victimes ;
  • coopérer avec les pays d'origine de la main d'œuvre pour surveiller le recrutement transnational, traiter les plaintes d'abus et faciliter les rapatriements ;
  • s'engager en faveur d'une convention contraignante sur le travail domestique accompagné d'une recommandation au cours de la conférence internationale du travail en juin.

 

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