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Sa Majesté Mohammad VI
Roi du Maroc
Palais Royal
Rabat, Maroc

Votre Majesté,

Nous tenons à vous exprimer notre inquiétude au sujet du retard que le Maroc semble avoir pris dans la levée de ses réserves au sujet de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF). 

Dans votre discours du 10 décembre 2008, prononcé à l'occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, vous vous êtes engagé à lever toutes les réserves émises à propos de la CEDEF, indiquant qu'elles n'étaient plus nécessaires et étaient même caduques dans le cas du Maroc, au vu des diverses réformes législatives engagées pour promouvoir et protéger les droits des femmes au Maroc. Pourtant, seize mois plus tard, cette décision n'a pas encore été officiellement communiquée au Secrétaire Général des Nations Unies, en sa capacité de dépositaire de la CEDEF. Les réserves restent donc en place et continuent à porter atteinte aux droits des femmes au Maroc.

Le Maroc a ratifié la CEDEF en 1993, tout en émettant des réserves sur les articles 2, 9 (paragraphe 2), 15 (paragraphe 4), 16 et 29. Ces réserves concernent l'égalité légale et constitutionnelle entre les hommes et les femmes, l'égalité au sein de la famille, le droit des femmes à transmettre leur nationalité à leurs conjoints et enfants nés à l'étranger, ainsi que le droit des femmes à la liberté de mouvement.

Ces réserves émises à l'encontre de certaines dispositions de la Convention sont préjudiciables pour l'égalité des femmes dans le domaine du mariage et du divorce. Au Maroc, ces réserves sont actuellement reflétées dans des lois et des pratiques qui prolongent et renforcent la discrimination basée sur le genre.

Par exemple, l'article 16, paragraphe c), de la CEDEF confère aux hommes et aux femmes les mêmes droits au cours du mariage et lors de sa dissolution, alors que le droit marocain de la famille de 2004, ou Moudawana, n'accorde pas les mêmes droits d'accès au divorce aux hommes et aux femmes. Les hommes sont toujours autorisés à répudier leurs épouses sans motif, alors qu'une femme ne peut répudier son époux qu'à travers la procédure du khul et l'octroi à son époux d'une compensation financière ou d'un autre genre. En levant ses réserves au sujet de l'article 16, le Maroc s'engagerait de fait à amender certaines lois nationales discriminatoires en vue de garantir leur conformité aux normes juridiques internationales.

L'article 2, paragraphe d), de la CEDEF demande aux États parties de « s'abstenir de tout acte ou de toute pratique discriminatoire à l'égard des femmes et de faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se conforment à cette obligation ». Toutefois au Maroc, même si la loi fixe actuellement l'âge minimum du mariage à 18 ans tant pour les hommes que pour les femmes, elle autorise le juge à déroger à cette règle et à permettre le mariage de mineurs. Compte tenu du fait que les filles sont souvent mariées à des hommes beaucoup plus âgés qu'elles, et que dans de nombreux cas elles sont encore mineures, cette liberté accordée aux juges a un impact disproportionné sur les jeunes filles. Celles-ci se voient refuser le droit à l'éducation, et sont obligées d'assumer les responsabilités du mariage et de la maternité à un âge beaucoup trop jeune. La levée de la réserve concernant l'article 2 et d'autres articles de la CEDEF fournira un cadre juridique permettant au Maroc de commencer à remédier aux lois et aux pratiques discriminatoires de ce genre.

Nous sommes conscients que le Maroc a déjà pris des mesures importantes pour réformer les lois visant à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes, et nous exhortons le pays à continuer dans cette voie. Réformée en 2004, la Moudawana est devenue l'un des cadres juridiques les plus avancés du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord en termes de promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes. La Moudawana a accordé les mêmes droits et responsabilités aux maris et aux femmes, tout en conférant aux femmes davantage de droits concernant le divorce qu'elles n'en avaient précédemment.

D'autres réformes juridiques ont été instituées, par exemple par rapport aux lois sur la nationalité qui permettent dorénavant aux femmes marocaines mariées à des hommes nés à l'étranger de transmettre leur nationalité à leurs conjoints et à leurs enfants. Dans d'autres pays de la région, cette question reste délicate pour de nombreuses femmes qui ne bénéficient toujours pas de pleins droits de citoyenneté.  Malgré les progrès accomplis, le Maroc n'a pas encore aboli toutes les lois et pratiques discriminatoires, que ce soit en matière de divorce (comme indiqué ci-dessus) ou de nationalité puisque les femmes ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants si leurs maris ne sont pas musulmans.

En 2002, le Maroc a cherché à améliorer l'accès des femmes à la justice en réformant son code de procédure pénale. L'article 336, qui n'autorisait les femmes à poursuivre leurs maris au civil qu'avec l'autorisation préalable du tribunal, a été abrogé, offrant aux hommes et aux femmes l'égalité d'accès aux tribunaux. Toujours en 2002, le parlement marocain a créé des tribunaux de la famille pour favoriser l'application de la Moudawana. En 2003, certains articles du code pénal ont été modifiés de manière à imposer des amendes plus lourdes à une personne qui blesse son conjoint. L'article 446 du code pénal a également été amendé pour permettre aux travailleurs de santé de déroger au principe du secret professionnel en cas de violence suspectée entre époux ou de violence basée sur le genre et de signaler de tels incidents aux autorités judiciaires ou administratives.

Le Maroc a par ailleurs entamé des réformes relatives au droit du travail. En 2003, le principe de non-discrimination entre les hommes et les femmes a été codifié dans le nouveau code du travail marocain, avec des mesures telles que l'égalité en termes de salaire, d'accès à l'emploi et de promotion. La durée du congé maternité rémunéré a en outre été prolongée jusqu'à 14 semaines, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

Au vu des efforts que vous avez déjà entrepris pour réduire la discrimination entre les hommes et les femmes, nous vous exhortons également à ratifier le Protocole facultatif de la CEDEF. Ce Protocole facultatif permettra au Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de recevoir les plaintes de particuliers et de groupes. Un mécanisme de communication est ainsi créé, qui permet aux groupes et aux particuliers de tenter d'obtenir réparation une fois tous les recours nationaux épuisés. La ratification du Protocole facultatif serait un nouvel exemple de votre engagement en faveur des droits des femmes.

Nous apprécions les mesures que le Maroc a prises pour favoriser l'éradication de la discrimination à l'égard des femmes et pour améliorer l'égalité entre les hommes et les femmes. Une décision visant à lever officiellement les réserves émises à propos de la CEDEF serait une étape très importante pour améliorer et renforcer les droits des femmes au Maroc. Elle servirait d'exemple à de nombreux pays voisins qui ont, eux aussi, émis des réserves au sujet de certains articles essentiels de la Convention. En ratifiant le Protocole facultatif de la CEDEF, le Maroc serait également un modèle pour les pays de la région qui n'ont pas encore ratifié cet important Protocole. 

Dans l'attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Votre Majesté, en l'assurance de notre haute considération.

Liesl Gerntholtz

Directrice

Division Droits des femmes

Human Rights Watch

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