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Traduction en français d'un article d'Anna Neistat paru dans Foreign Policy in Focus le 16/10/09. Traduction par Tamoulobs.com, en ligne sur ce site: http://www.tamoulobs.com/the-news/671-les-etats-unis-devraient-aider-a-debuter-des-enquetes-internationales-sur-les-meurtres-au-sri-lanka--hrw.html

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Depuis plusieurs mois et cela après la fin de la guerre civile entre le gouvernement et les Tigres de Libération de l'Eelam Tamoul (LTTE), le gouvernement du Sri Lanka a ignoré les critiques de l'Occident sur ses pratiques abusives. Il a, au lieu de cela, compté sur le soutien moral et financier d'Etats moins concernés par les droits de l'homme comme la Chine et le Pakistan. Les pays avec des problèmes similaires et avec un passif tout autant questionnable sur les droits de l'homme prêtent une attention particulière à ces événements : le Sri Lanka a-t-il découvert la formule magique pour effrontément ignorer les pays de l'Ouest et s'en tirer impunément ?

La politique du Sri Lanka à complètement nier les faits était initialement un succès. Cependant, désormais, le gouvernement semble avoir découvert qu'ignorer les opinions fortes des pays occidentaux partenaires a des conséquences qui à long terme peuvent aller à l'encontre des intérêts du pays ou de sa classe dirigeante.  
 

Atrocités et black-out  

Le 19 Mai 2009, le gouvernement sri-lankais a déclaré la victoire sur la LTTE. Cela a marqué la fin de 26 années de guerre civile qui a tué des dizaines de milliers de personnes. Les recherches continues de Human Rights Watch dans ce pays ont permis d'établir que durant la phase finale du conflit, les forces armées sri-lankaises (SLAF) et la LTTE ont violé de manière répétée les lois de la guerre causant de nombreuses victimes civiles.  

Forcée de se retirer par les opérations offensives de la SLAF, la LTTE a conduit des civils vers une étroite bande côtière au nord-est du Sri Lanka. Ils ont effectivement utilisé plusieurs centaines de milliers de personnes comme bouclier humain. A plusieurs occasions, les tigres tamouls ont tiré sur ceux essayant de s'échapper pour rejoindre les territoires tenus  par le gouvernement. Les forces de la LTTE se sont déployées près des zones densément peuplées, mettant ainsi les civils en grand danger face aux attaques du gouvernement. Les combats s'intensifiant, la LTTE a renforcé sa pratique de recruter de force des civils, incluant des enfants, pour les utiliser comme combattants ou pour des travaux forcés sur le champ de bataille.

Le gouvernement, à son tour, à utiliser les pratiques terrifiantes de la LTTE pour justifier ses propres atrocités. Les forces sri-lankaises ont, de manière continue et indiscriminée, bombardé des régions densément peuplées par des civils, en utilisant quelques fois des armes à grande surface d'action ne permettant pas de distinguer les civils des combattants. Le territoire tenu par la LTTE se réduisant, le gouvernement avait unilatéralement déclaré des « zones de cessez-le-feu » ou « zones de sûreté » à trois différentes occasions, en encourageant les civils à trouver refuge dans ces zones. Néanmoins, les forces gouvernementales ont continué d'attaquer ces zones. Avec un manque de considération flagrant pour les lois de la guerre, les forces gouvernementales ont effectué des tirs d'artillerie dont les obus ont directement frappé ou explosé tout près des hôpitaux à au moins 30 occasions.  

Le Sri Lanka a clamé, dans les derniers jours de la guerre, qu'il a entrepris « la plus grande opération de sauvetage d'otages » qui a permis de libérer des milliers de tamouls de l'oppression de la LTTE. En réalité, jusqu'à ce jour, la population tamoule « sauvée » n'a vu ni la liberté ni les secours. De mars 2008 jusqu'à présent, le gouvernement a confiné virtuellement tous les civils déplacés par la guerre dans des camps de détention contrôlés par les militaires et nommés par euphémisme « centres de soin ». En violation des lois internationales, le gouvernement a refusé aux personnes déplacées leurs droits à la liberté individuelle et à la liberté de mouvement. Les résidents des camps sont maintenus dans l'obscurité concernant leur futur et le devenir de leurs proches disparus. Plus de quatre mois après la fin des hostilités, le gouvernement continue de maintenir plus de 250.000 civils en détention illégale.  

L'étendue complète des crimes commis par les deux camps est encore inconnue. Le gouvernement sri-lankais n'a ménagé aucun effort pour empêcher une couverture médiatique indépendante de ses opérations militaires et de la situation des civils déplacés. Il a interdit les médias internationaux et locaux ainsi que les organisations des droits de l'homme, il s'est assuré que les témoins de ses abus soient enfermés dans les camps et il a harcelé et persécuté ceux qui ont osé parler comme les docteurs, les activistes et les journalistes. Il a même déporté des membres de l'ONU qui ont parlé librement.
 

Tournant vers l'Est

Malgré l'accumulation de preuves accablantes d'abus au Sri Lanka, la réponse des pays de l'Ouest était initialement faible, mais finalement plusieurs gouvernements dont les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France ont durci le ton. Ils ont fermement condamné les attaques indiscriminées et exhorté le gouvernement à ouvrir un corridor humanitaire pour les civils piégés dans la zone de guerre. Après la guerre, ils ont demandé une enquête indépendante et continuent à protester contre la détention indéfinie des personnes déplacées. Pour montrer leur désapprobation, ces pays, accompagnés de l'Allemagne et de l'Argentine, dans un geste sans précédent, se sont abstenus de voter pour le prêt de 2,6 milliards de dollars, par le Fond Monétaire International (FMI), pour le Sri Lanka. Le prêt retardé de plusieurs mois à cause de ces préoccupations a finalement été approuvé en juillet 2009. Toutefois, chaque versement trimestriel nécessitera un vote séparé d'approbation par le conseil des gouverneurs du FMI.

Le gouvernement sri-lankais, cependant, pari sur l'idée que quelque soit le niveau de mécontentement de l'Ouest, personne ne jugera les « vainqueurs ». Il a rejeté toutes les critiques. Il a attaqué les gouvernements occidentaux pour leur propre pratique des droits de l'homme, qualifiant les dispositifs de protections des civils « d'hypocrites et de moralistes ». Et, il a accusé les gouvernements et les institutions internationales critiques d'être des sympathisants de la LTTE.

 
La confiance du Sri Lanka face à la critique a aussi été  renforcée par une réorientation graduelle de sa politique étrangère en faveur de l'Est. Selon certains experts dans le domaine de la défense, le matériel militaire chinois a été décisif dans les phases finales de la guerre contre la LTTE. Le Pakistan a augmenté le montant annuel des prêts pour le Sri Lanka, dans le cadre de son assistance militaire. Ce montant atteint ainsi près de 100 millions de dollars. L'Iran a accordé un projet d'hydroélectricité de 450 millions de dollars et a fourni une facilité de paiement avec un crédit de 7 mois pour que les besoins en pétrole du Sri Lanka puissent être satisfaites à partir de là. Il a aussi fourni à maintes reprises des prêts à faible taux d'intérêt pour que le Sri Lanka puisse acheter des équipements militaires au Pakistan et à la Chine. La Libye  a promis 500 millions de dollars comme « package » financier de co-opération pour le des projets de développement. Même le Myanmar (anciennement la Birmanie) a fait don de 50.000 dollars au gouvernement sri-lankais.

En plus du soutien financier substantiel, les nouveaux amis du Sri Lanka se sont élevés pour défendre le Sri Lanka contre  les critiques au Conseil de Sécurité de l'ONU. Dans le Conseil des Droits de l'Homme, le Sri Lanka a reçu un soutien sans réserve de pays comme Cuba, le Pakistan, le Venezuela, l'Iran et d'autres. Ce soutien a ainsi permis l'adoption d'une résolution profondément vicieuse qui a largement félicité le gouvernement sri-lankais pour sa politique actuelle. En juin, l'Organisation de Coopération de Shangai, une organisation de sécurité mutuelle intergouvernementale fondée par les dirigeants de la Chine, du Kazakhstan, du Kirghizstan, de la Russie, du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan, a accordé au Sri Lanka le statut de partenaire de dialogue.   

Bien que le soutien au Sri Lanka ait été largement orienté par les motivations politiques et économiques de chaque pays, certains facteurs communs étaient clairement en jeu : un effort pour contrebalancer l'influence de l'Inde dans la région (dans le cas de la Chine et du Pakistan), des problèmes similaires avec des groupes séparatistes et des campagnes abusives de contre insurrection, et une tendance générale à s'opposer, de manière conjointe, aux critiques de l'Ouest et à défier la domination occidentale dans l'arène internationale.  
 

Réalité cruelle

La réponse agressive et impertinente du Sri Lanka aux critiques occidentales a peut-être fonctionné un court moment mais il se pourrait, qu'après tout, qu'elle ne puisse être durable.

La première sanction vient de la menace de l'Union Européenne (UE) de retirer les privilèges commerciaux significatifs accordés au Sri Lanka dans le cadre du programme de commerce appelé Système Généralisé de Préférences  Plus (SGP+). Depuis 2005, les privilèges accordés au Sri Lanka lui permettent d'exporter ses biens et produits sans taxe vers les pays de l'UE. Selon une estimation de l'UE, cet accord apportait près de 900 millions de dollars et des emplois pour plus de 100.000 personnes dans le secteur du textile au Sri Lanka.

En septembre de cette année, l'UE a présenté au gouvernement sri-lankais les résultats d'une année d'enquête sur la conformité du Sri Lanka vis-à-vis des normes en matière de droits de l'homme nécessaires pour l'obtention du SGP+. Le gouvernement sri-lankais a refusé de coopérer avec l'enquête. Cependant, après s'être rendu compte que la menace du retrait du SGP+ était réelle et qu'elle pouvait être politiquement coûteuse si le gouvernement appelle à des élections présidentielles prématurées, les autorités ont lancé une campagne agressive menée par un détachement ministériel spécial mis en place par le président pour s'assurer de la continuité des concessions commerciales. A travers tout cela, le gouvernement a insisté sur le fait qu'il ne « plierait » pas sous la pression de l'Occident.

Pendant ce temps, le Département d'Etat des Etats-Unis (EU) a préparé un rapport d'enquête  mandaté par le Congrès sur les allégations de crimes de guerre commis par les deux camps durant la phase finale du conflit. Aux alentours du 21 septembre, lorsque l'enquête devait être présenté au Congrès, les médias sri-lankais pro-gouvernementaux ont publié une révocation du rapport disant que le rapport était basé sur des ouï-dire et qu'il viole «  les droits du Sri Lanka et sa souveraineté ». Les critiques ont admis qu'ils n'avaient jamais lu le texte, ce qui n'était pas surprenant étant donné que la présentation du rapport avait dû être reportée et que la campagne entière avait pris un faux départ. Cela a cependant montré combien le Sri Lanka était anxieux concernant les possibles conclusions du rapport. Certains des hauts dirigeants devaient être particulièrement concernés sur la possibilité d'être accusés de crimes de guerre par un pays dans lequel ils ont la citoyenneté ou le statut de résident permanent.

La nervosité  du Sri Lanka concernant sa réputation internationale n'a apporté aucune amélioration sur le plan des droits de l'homme, et qu'il n'y a aucune indication permettant de penser que le gouvernement va revoir sa politique. Le changement de discours, cependant, laisse à penser que le gouvernement devrait être plus susceptible à la pression que ce qu'avait pensé la communauté internationale auparavant. Et, la communauté internationale devrait utiliser cet instant pour s'assurer d'un progrès sur certaines questions brûlantes des droits de l'homme : la liberté pour les milliers de civils tamouls déplacés, la fin de la persécution des journalistes et des activistes civils et la reconnaissance des violations commises durant le conflit.

De plus, tout en continuant de faire pression publiquement et en privée pour la libération des personnes déplacées, les Etats-Unis ont un rôle particulier important à jouer sur la question de la responsabilité. Ils devraient utiliser leur influence auprès des Nations Unis pour aider à démarrer une enquête internationale indépendante sur les violations des droits humanitaires. Washington devrait aussi être clair sur le fait que les futures aides au développement pour Colombo dépendront sur le progrès concret concernant ces questions. L'abstention de vote pour la seconde tranche du prêt du FMI pour le Sri Lanka devrait être une manière appropriée  d'envoyer le message.

Anna Neistat est chercheuse senior auprès de la division Urgences de Human Rights Watch, spécialisée dans les crises humanitaires.

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