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Tchad : Des milliers de personnes se retrouvent sans domicile à la suite d’expulsions forcées

Le gouvernement a démoli des logements sans dédommagement et sans procédure équitable

(Paris)- Les autorités tchadiennes ont expulsé par la force des milliers d’habitants de leurs logements à N’Djamena, la capitale, sur une période de 30 jours entre février et mars 2008, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les expulsions ont eu lieu pendant l’état d’urgence instauré le 15 février par le gouvernement à la suite d’une tentative manquée de coup d’Etat.

« Des personnes qui vivaient dans la capitale depuis des dizaines d’années se sont retrouvées sans abri et démunies, et avec peu de recours légaux », a affirmé Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Dans de nombreux cas, le gouvernement tchadien n’a pas donné de préavis suffisant, ni offert de dédommagement correct ou d’aide à la réinstallation aux communautés touchées, comme l’exige le droit international ».

« Des personnes qui vivaient dans la capitale depuis des dizaines d’années se sont retrouvées sans abri et démunies, et avec peu de recours légaux », a affirmé Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Dans de nombreux cas, le gouvernement tchadien n’a pas donné de préavis suffisant, ni offert de dédommagement correct ou d’aide à la réinstallation aux communautés touchées, comme l’exige le droit international ».

Selon des documents provenant du bureau du maire de N’Djamena et obtenus par Human Rights Watch, les autorités municipales ont détruit 1 798 logements dans 11 quartiers de la capitale au cours des 30 jours de l’état d’urgence qui a pris fin le 15 mars. Human Rights Watch a pu voir des centaines de constructions en ruine dans deux quartiers de la capitale qui n’étaient pas comprises dans les chiffres officiels ; il est donc probable que le nombre total de logements détruits dépasse 2000. Human Rights Watch estime que plus de 10 000 personnes se sont retrouvées sans abri à la suite des évictions en masse. Beaucoup des Tchadiens qui avaient fui N’Djamena à la suite de la tentative de coup d’Etat en février ont constaté à leur retour que leurs foyers avaient été détruits.

Certaines personnes dont les logements ont été détruits ont quitté N’Djamena pour vivre avec des membres de leur famille dans leur région d’origine ailleurs au Tchad, tandis que d’autres ont trouvé refuge auprès d’amis ou de membres de leur famille dans la capitale. Un nombre inconnu de personnes expulsées font partie des 30 000 réfugiés déclarés qui vivent dans le camp de réfugiés de Maltam dans le nord du Cameroun ; ce camp a été mis en place par les Nations Unies pour recevoir les civils qui ont fui la capitale lors des combats du 2 au 3 février. Human Rights Watch s’est entretenu avec sept Tchadiens du camp de Maltam qui ont déclaré avoir été expulsés par la force de leurs domiciles. Human Rights Watch a également remarqué une cinquantaine de personnes déplacées qui campaient près des ruines de leurs maisons dans la capitale. Le gouvernement tchadien n’a pas mis en place de camps de réinstallation pour les personnes qui à cause de lui se sont retrouvées sans abri, et il n’a pas non plus pourvu aux besoins des groupes vulnérables, à savoir les enfants et les personnes âgées, comme l’exige le droit international.

Les autorités tchadiennes ont justifié les expulsions en masse en avançant que les quartiers désignés à la démolition étaient bâtis dans l’illégalité sur des terres appartenant à l’Etat. Un journal contrôlé par le gouvernement a aussi déclaré que les terres devaient permettre le passage de projets d’infrastructure, y compris un immense champ de courses hippiques. L’article 41 de la Constitution tchadienne interdit la saisie de propriétés privées, sauf en cas de nécessité publique urgente.

« La démolition de ces maisons par le gouvernement ne pourrait se justifier que dans les circonstances les plus exceptionnelles », a ajouté Gagnon. « Les expulsions forcées devraient être réalisées en accord avec la loi, s’appuyer sur un intérêt public clairement identifié, et dans la protection des droits des communautés touchées, ce qui ne s’est pas produit ici ».

Les autorités municipales de N’Djamena se sont engagées dans des actions en justice prolongées pour expulser des habitants vivant dans les quartiers de Gardolé, Walia Angosso et Rue de Cars, supposément pour laisser la place à une clinique d’accouchement, mais dans la plupart des cas les communautés touchées n’ont pas eu assez de temps pour contester les expulsions avant que leurs quartiers ne soient transformés en ruines. Selon les chiffres officiels, 591 maisons ont été détruites dans ces trois quartiers, qui ont été expropriés selon les termes d’un décret présidentiel du 22 février. Par ailleurs, 1 201 logements ont été détruits dans huit autres quartiers de N’Djamena, à savoir Sara de Gaulles, Abéna, Darassalam, Goz Ator, Moural Carré 1, Marché al Addala, Marché Atrone et Badigeonnée, dont aucun n’a été officiellement exproprié, contrairement aux exigences de la Loi foncière du Tchad de 1967. Human Rights Watch a constaté la destruction de grande ampleur de logements dans deux autres quartiers qui n’étaient pas compris dans le pointage de maisons démolies fait par le gouvernement, à savoir Farcha et Diguel Tanneur, dont aucune n’a été expropriée dans les formes.

Les évictions forcées des logements se trouvant dans les 10 quartiers qui n’ont pas été expropriés dans les formes semblent avoir été menées de façon impromptue et non coordonnée. Human Rights Watch a obtenu des copies de documents de propriété auprès de 15 résidents dont les maisons ont été détruites à Goz Ator et Diguel Tanneur. Dans chaque cas, un avocat connaissant les règles de la propriété au Tchad a affirmé que les documents apportaient la preuve de titres légitimes, laissant supposer que le gouvernement n’avait pas fait grand chose pour vérifier quels étaient les droits sur la terre que pouvaient avoir les habitants de ces zones avant de les expulser. Le propriétaire d’une maison de Goz Ator a montré à Human Rights Watch un document datant du mois de janvier 2008 émanant d’un inspecteur du ministère de l’Administration territoriale et approuvant les plans d’expansion d’une maison qui a été transformée en ruines moins d’un mois plus tard.

Dans certains cas, les quartiers destinés à la destruction ont été désignés dans des annonces parues dans un journal contrôlé par le gouvernement, mais les autorités ont en général omis de s’assurer que les communautés touchées étaient suffisamment informées ou consultées à propos des évictions prévues. Les employés municipaux ont généralement prévenu les habitants de leur expulsion en peignant la date de la démolition sur un mur extérieur ; dans certains cas, la notification a consisté seulement en un X noir ou rouge. D’autres personnes qui ont dit avoir été insuffisamment prévenues ont pu sauver leurs biens mais n’ont pas eu assez de temps pour récupérer des poutres, des portes, des éléments de toiture en zinc et autres matériaux de construction qui auraient pu être utilisés pour édifier de nouveaux logements ailleurs.

Certaines victimes d’évictions forcées qui ont parlé avec Human Rights Watch ont dit qu’elles n’avaient pas reçu de notification avant que leurs maisons ne soient détruites, mais la plupart ont déclaré que le gouvernement leur avait donné de deux à quatre semaines pour rassembler leurs affaires. Dans le cas d’un homme de 36 ans qui s’est entretenu avec Human Rights Watch à côté des ruines de la maison dans laquelle il était né, le préavis de 30 jours donné par les employés municipaux était insuffisant.

« Ils devaient venir le 22 février, mais ils sont venus le 20 février », a-t-il dit. « Ils sont arrivés de bon matin avec des soldats et trois bulldozers. Ils ont dit qu’ils allaient détruire ma maison et moi dedans. J’ai tout perdu. »

La Loi foncière du Tchad de 1967 interdit la privation de propriété sans procédure équitable, et elle stipule que l’Etat ne peut prendre possession des propriétés expropriées que 15 jours après le versement d’une indemnité. Les Directives globales relatives aux droits de l’homme dans les situations de déplacement basé sur le développement ont aussi insisté auprès des gouvernements pour qu’ils prévoient un dédommagement équitable avant toute éviction. Le gouvernement tchadien a jusqu’ici alloué 2,7 milliards de CFA (6 millions de US $) à des fonds de compensation, mais seulement pour les habitants de Gardolé, Walia Angosso et Rue de Cars. On ne sait pas si des habitants de ces trois quartiers ont réellement reçu de dédommagement. Le maire de N’Djamena, Mahamat Zène Bada, a promis que toutes les personnes expulsées de force recevraient finalement un dédommagement, mais à ce jour le gouvernement tchadien n’a attribué aucun fonds pour l’indemnisation des habitants des 10 quartiers touchés qui n’ont pas été expropriés dans les formes.

Le Tchad est un Etat partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et il a l’obligation de protéger ses citoyens d’une interférence arbitraire ou illégale contre leur foyer et leur famille, et de prendre des mesures pour appliquer le droit à un logement correct. Les évictions forcées violent ces deux obligations fondamentales.

« Le gouvernement tchadien devrait mettre en place une procédure d’expulsion qui soit en conformité avec les normes de l’ONU relatives aux droits humains », a insisté Gagnon. « Le gouvernement devrait consulter les communautés touchées à propos de toutes les alternatives réalisables avant toute éviction, et s’assurer que des aides juridiques sont disponibles. »

De plus, le gouvernement devrait garantir une indemnité à hauteur de la valeur sur le marché pour toute personne ayant des prétentions légales à la propriété et il devrait mettre en œuvre des procédures claires pour la réinstallation des personnes expulsées. Des sites de réinstallation devraient être créés et comprendre des services élémentaires suffisants permettant aux personnes réinstallées de gagner leur vie et aux enfants d’aller à l’école.

La communauté internationale devrait inciter le Tchad à prendre ces mesures.

Selon les objectifs du droit international, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU définit l’éviction forcée comme « l’expulsion temporaire ou permanente de tout individu, famille et/ou communauté chassés contre leur volonté de leur foyer et/ou de la terre qu’ils occupent, sans offrir de mesures appropriées de protection légale ou autres ».

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